Entre le manque de main-d’œuvre, les conditions de travail difficiles, l’augmentation du prix des aliments, la saturation de la métropole (et ses éternels chantiers !), la bureaucratie excessive et plusieurs autres défis, la restauration est en crise. Mais nombreux et nombreuses sont les passionnés et passionnées qui cherchent des solutions et qui révolutionnent vos sorties à table. En voici cinq exemples !

Menu Extra : faire les choses à l’envers

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Menu Extra en formule service à la chambre (d’hôtel) durant la pandémie

L’équipe de Menu Extra souhaite un jour ouvrir « un des meilleurs restos au monde ». Ça pourrait sonner pompeux si Francis Blais, Camilo Lapointe-Nascimento, Alexis Demers et Martin C. Pariseau n’avaient pas amplement fait leurs preuves depuis le début de la pandémie. On sait de quoi ils sont capables.

Les circonstances que l’on sait ont obligé le quatuor à faire les choses à l’envers. Plutôt que d’établir sa notoriété avec un restaurant à succès, Menu Extra a organisé de somptueux repas champêtres, lancé un service de menus gastronomiques « prêts à enfourner », donné de divertissants cours de cuisine en ligne, bref, proposé toute une série de « services dérivés ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Alexis Demers, Camilo Lapointe-Nascimento, Francis Blais et Martin C. Pariseau, de Menu Extra

Deux ans après l’annulation de son projet de table ultra-exclusive, l’équipe bien soudée n’est pas pressée d’ouvrir un restaurant, même si ça demeure le rêve ultime et qu’elle est sans doute beaucoup plus outillée que la moyenne des propriétaires de premiers restaurants. Ça se réalisera lorsque tous les ingrédients seront bien alignés et, entre-temps, les grands chums continuent d’ajouter des cordes à leur arc.

En entrevue dans leur local du boulevard Saint-Laurent, Camilo et Alexis se réjouissent d’avoir accumulé une foule de compétences qu’ils n’auraient pu acquérir si Menu Extra n’avait pas existé. Le plus essentiel de tous ces outils ? « Connaître les forces de chacun des membres de l’équipe pour que personne ne se marche sur les pieds et que tout le monde fonce, déclare le gagnant de l’émission Les chefs !. Au début, ça piétinait beaucoup. Mais aujourd’hui, on est plus prêts que jamais à ouvrir un restaurant ensemble. »

« Mais on est vraiment perfectionnistes, ajoute Alexis. On a des forces en cuisine et en expérience client, bien sûr, mais encore quelques lacunes en marketing et en finances, alors on travaille fort à se créer une situation financière stable pour APRÈS faire notre projet passion : le restaurant. Pour nous, c’est le bonheur avant l’argent. »

Le Mousso : le tout pour le tout

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

L’équipe mange avec Antonin Mousseau-Rivard (au bout de la table).

Antonin Mousseau-Rivard et son équipe ont pris des décisions radicales, à l’automne 2021, pour la grande réouverture du Mousso. Le restaurant recevrait les clients trois soirs par semaine seulement, tous à la même heure, avec un menu gastronomique unique à prix juste mais important. Les employés — presque tous des cuisiniers qui servent aussi — travailleraient quatre jours. Les salaires ont été augmentés, les conditions améliorées, le stress considérablement diminué.

« Maintenant, quand tu sors au restaurant, fais-le comme il faut ! résume le chef. Allons-y moins souvent, peut-être, mais mieux. Il y a de gros changements qui se font actuellement dans la compréhension que les gens ont de la restauration », poursuit Antonin Mousseau-Rivard, qui, lors de notre rencontre, rentrait tout juste du lancement de La table ronde. Ce nouveau collectif de restaurateurs indépendants a pour objectif de contribuer à l’essor et au rayonnement de la gastronomie québécoise.

La clientèle commence à mieux comprendre les enjeux : le manque de main-d’œuvre, nos conditions de travail difficiles, le prix des aliments. Depuis le début de la pandémie, ils ont davantage cuisiné à la maison. Alors une bonne table, ça se doit d’être quand même spécial.

Antonin Mousseau-Rivard

Et pour que ce soit durable, il faut que les restaurateurs « fassent attention à leur monde ». « Je n’étais plus capable de courir comme on le faisait quand on avait Le Mousso et Le Petit Mousso, raconte le chef. On servait trop de tables. On en a peut-être négligé. J’étais tellement stressé. J’ai perdu le contrôle. L’environnement n’était plus sain. Les employés partaient d’ici brûlés. Quand les cuisiniers migrent massivement pour devenir infirmiers ou pour travailler en construction, c’est que c’est vraiment de la merde, travailler en cuisine ! Les temps d’arrêt des deux dernières années nous ont permis de nous recentrer et de décider ce qu’on avait vraiment envie de faire. »

  • La cuisine en action

    PHOTO PHILIPPE BOIVIN, LA PRESSE

    La cuisine en action

  • On prépare la salle avant l’ouverture.

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    On prépare la salle avant l’ouverture.

  • La table est mise.

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    La table est mise.

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Jusqu’à maintenant, la réponse semble positive. Le restaurateur ne nie pas qu’il était très inquiet de la réaction de la clientèle. « Je ne voulais pas que personne sorte d’ici en disant : “ Je n’en ai pas eu pour mon argent. ” » Le menu coûte maintenant 250 $ par dîneur avant taxes et pourboire. L’accord (115 $) est très fortement recommandé, puisqu’il fait partie intégrante de l’expérience. La sommelière Luana Aubert travaille ses mariages avec minutie.

Rappelons qu’en 2017, Les faux bergers a ouvert dans Charlevoix avec la formule menu dégustation, tablée unique et service à voix haute, avec beaucoup de succès. Le restaurant Alma, dans Outremont, fait maintenant payer son menu carte blanche à 89 $ sur réservation (mais tient plusieurs tablées par soir), ce qui décourage fortement les no shows. Au Bic, Colombe St-Pierre va aussi instaurer la tablée unique, mais en service de type « familial », plats à partager. Bref, les restaurateurs s’organisent, aux clients de suivre !

Parcelles : le modèle champêtre

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La Ferme Parcelles

L’été dernier, Parcelles a démontré que la restauration champêtre avait plus que jamais du potentiel au Québec. Ce printemps, alors que tout le monde s’arrache la rare main-d’œuvre disponible, Dominic Labelle a l’embarras du choix. « Les gens se magasinent de beaux étés à travailler quatre jours par semaine à la campagne », lance le chef-fermier. Comme le dit l’anglicisme, la preuve est dans le pudding !

Victime de son succès, la petite ferme maraîchère des Cantons-de-l’Est a servi des milliers de pizzas, salades, bouteilles de vin d’artisans pendant les beaux mois de 2021. Le rêve a même failli virer au cauchemar quand Dominic Labelle a frôlé l’épuisement, mais Parcelles a néanmoins jeté les bases d’une manière plus connectée à la source de pratiquer un métier en crise. L’avenir de la restauration est-il dans le pré, comme à La Cabane d’à côté, à la Ferme et cuisine Bika, au projet La Famille ?

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Dominic Labelle, de Parcelles

Dominic a donné 12 ans à la restauration montréalaise, au défunt hôtel Herman, entre autres, puis a étudié l’agriculture biologique à l’Université McGill. « Au début, je rêvais surtout de travailler dehors l’été plutôt que dans un sous-sol éclairé au néon [comme c’est souvent le cas en restauration urbaine]. Parcelles était d’abord et avant tout un projet maraîcher. Mais la terre que je loue à mes parents est trop chère pour ne se payer qu’avec des légumes. L’hypothèque ici, c’est plus de 3000 $ par mois, donc 36 000 $ par année, et je produis pour à peu près 38 000 $ de légumes. »

Du reste, l’endroit était aussi « trop beau » pour ne pas recevoir des gens. Le mot s’est vite passé, a été relayé par quelques médias et le chemin Taylor, à Austin, est devenu le coin le plus hip du Québec ! Mais pour que le modèle Parcelles puisse faire des petits, il faudra que les règles soient plus claires et moins contraignantes pour les petits producteurs agricoles qui souhaitent pratiquer des activités de restauration sur leur terre.

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La Ferme Parcelles

« L’esprit du Conseil de protection des terres agricoles du Québec, c’est de promouvoir l’activité agricole. »

On a acheté la ferme de deux retraités qui ne faisaient que passer le tracteur John Deere sur le terrain. Nous, on fait plein de légumes, on fournit 12 restos, on donne des produits à la communauté, etc. Mon jardin n’est pas un apparat.

Dominic Labelle

En attendant la chaleur, on peut profiter de Parcelles à l’intérieur, pour une expérience culinaire un peu plus formelle : un menu fixe en six services à 90 $ par personne (on refuse ici les pourboires), boissons en sus. La table communale accueille 20 personnes. Les portions, les coûts sont prévus d’avance. La perte est quasi inexistante. Tout le monde, y compris la nature, gagne !

Lawrence/Larry’s : pas de pourboire, meilleures conditions

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Depuis l’été dernier, Lawrence et Larry’s ont offert à leurs employés et employées de salle un taux horaire équivalent à celui qu’ils et elles gagnaient avec pourboire et augmenté radicalement le salaire de leurs employés et employées de cuisine pour qu’éventuellement, tout le monde soit sur la même échelle.

« Pendant très longtemps, à part le chef, tous les employés d’un restaurant étaient invisibles, déclare Sefi Amir, copropriétaire de Lawrence et de Larry’s, puis de la boucherie Lawrence. Aujourd’hui, l’aspect humain est mis de l’avant. Le fonctionnement de la restauration avait tellement de retard sur les avancées sociales. On est en train de se rattraper. »

Le processus était déjà amorcé au sein de l’entreprise de Sefi Amir et de Marc Cohen, mais a été accéléré par des dénonciations dans les réseaux sociaux concernant de malheureux évènements de discrimination insuffisamment pris en compte par l’équipe de direction. « On était tétanisés, admet Sefi. On en a profité pour faire un examen de nos pratiques. »

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Marc Cohen et Sefi Amir

Aujourd’hui, pour éviter le plus possible que les conflits ne dégénèrent, Sefi Amir et Marc Cohen font systématiquement cinq rencontres individuelles par semaine. Comme l’équipe frôle les 50 employés, il faut plusieurs semaines avant d’avoir fait le tour de tout le monde, mais c’est devenu une pratique indispensable.

« Ce n’est pas simple. On travaille tous comme si on avait le feu au derrière ! Et c’est tellement facile de trouver des excuses pour ne pas faire ces rencontres quand le frigo vient de lâcher ou que la connexion internet du resto ne fonctionne pas. Mais c’est devenu LA priorité. »

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Des membres de l’équipe de Lawrence et de Larry’s

Depuis l’été dernier, Lawrence et Larry’s sont des établissements « sans pourboire ». Ils ont offert à leurs employés et employées de salle un taux horaire équivalent à celui qu’ils et elles gagnaient avec pourboire et augmenté radicalement le salaire de leurs employés et employées de cuisine pour qu’éventuellement, tout le monde soit sur la même échelle. Sur la carte, les prix ont été augmentés d’environ 15 à 18 %.

Les établissements ont malheureusement dû renoncer à une redevance gouvernementale sur les pourboires avec cette nouvelle politique, la loi et les programmes n’étant pas du tout adaptés à cette réalité, mais ils ont persisté malgré la perte. Pourquoi ?

« Parce que c’est attirant pour les gens qui veulent avoir une certaine stabilité financière et savoir exactement combien ils vont gagner. Parce que ça nous permet d’être plus équitables avec la cuisine. Parce que ça retire cette interaction parfois floue entre les clients et nous », explique Sefi Amir.

« Au début, les réactions n’étaient pas toutes positives. “ Êtes-vous en train de voler à vos employés ? ”, se demandaient certains clients. Mais notre personnel est resté, alors ça a rassuré les inquiets. »

Les travailleurs du petit groupe bénéficient également de la formation continue payée (cours de sommellerie, cours sur le café), d’une plateforme de soins de santé virtuelle (Dialogue) et de rabais dans les restaurants et la boucherie du groupe, entre autres.

L’idéal : plus qu’un resto

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Dans la salle arrière de L’idéal, ce « bar à contenu » de 240 places, il y a un studio de balado.

Le concept n’est pas nouveau. Des cafés et restaurants hybrides ont évidemment déjà existé. Certains ont fait un tabac — souvenez vous du Lux (1984-1996), restaurant, bar, librairie, tabagie, studio d’enregistrement de l’émission La bande des six. D’autres se sont cassé la gueule pour cause de crise d’identité (mais pas seulement), comme Maison sociale, avec sa programmation radio, qui a vécu moins d’un an, de 2015 à 2016.

À L’idéal, dans l’ancien Mme Lee, rue Ontario, l’équipe de direction à 100 % féminine a l’ambition d’attirer la clientèle avec sa belle carte de vins d’artisans et les petits plats fins de sa chef, bien sûr, mais aussi avec une programmation culturelle éclatée. Dans la salle arrière de ce « bar à contenu » de 240 places, il y a un studio de balado. On peut assister aux enregistrements tout en sirotant son verre de pet nat. Il y a aussi des DJ invités, des lancements, un club de vin et une foule d’autres activités à venir.

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Émilie Amyot, Frédérique-Anne Brosseau et Florence Gagnon, de L’idéal

La salle est inondée de belle lumière le jour, offrant un environnement agréable aux élèves et aux étudiants (cégep du Vieux, UQAM) et aux professionnels pour étudier ou travailler. Ici, contrairement aux petits cafés de quartier de 20 places, on n’a pas à se sentir mal d’étirer un peu sa visite. Il y a de l’espace et des prises partout.

« L’idéal, pour nous, ça peut devenir plein de choses. C’est encore un work in progress, mais on veut que ce soit un lieu multidisciplinaire, avec plusieurs offres, et profiter du fait qu’on est dans le Quartier des spectacles pour devenir un pôle culturel », explique la programmatrice Florence Gagnon. Avec la restauration-gastronomie qui commence à être reconnue comme faisant partie intégrante de la culture québécoise par la Ville de Montréal et le gouvernement provincial, c’est plus possible que jamais. À condition de trouver la main-d’œuvre pour faire rouler cette grosse machine, bien entendu.

Le Brouillon

  • Le Brouillon

    PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

    Le Brouillon

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    Le Brouillon

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Le Brouillon, situé Plaza Saint-Hubert, est un café-buvette avant tout, sans programmation culturelle, pour l’instant, mais les propriétaires, qui sont aussi ceux du studio TUX situé au-dessus, se voient bien organiser des happenings ponctuels.

« L’agence de création amène surtout une certaine affluence et une diversité de gens. Ce n’est pas une cafétéria ! précise Dominic Tremblay. Pour le client qui entre, ça ressemble à un resto. On voulait que ça se tienne tout seul. Mais en le connectant à l’agence, ça fait une belle pollinisation. »