(Wellington) La réputation des plages du comté Prince Edward, entre Toronto et Kingston, n’est plus à faire. Mais la notoriété de ses vins, oui. Pour ce faire, plusieurs vignerons élaborent des cuvées pour plaire aux principaux visiteurs de la région : les Québécois.

L’automne s’amorce dans le comté du Prince Edward, et les douces vagues du lac Ontario meurent sur les plages maintenant désertes. Si les touristes ont quitté les dunes, ils sont encore nombreux dans les vignobles. Surprise : plusieurs ont l’accent québécois.

Sur le plateau calcaire d’Hillier, dans la partie ouest de l’île, le domaine Trail Estate a totalement changé de style en 2015. À son arrivée, la vinificatrice Mackenzie Brisbois a créé une gamme de vins orange, des pétillants naturels et même cinq piquettes.

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La vinificatrice Mackenzie Brisbois et le propriétaire Alex Sproll, au domaine Trail Estate

Le propriétaire Alex Sproll ne s’en cache pas : ce style connaît beaucoup de succès avec les Québécois. « On a développé deux gammes de vin, explique-t-il. Les bouteilles funky sont pour les consommateurs du Québec et les bouteilles classiques sont pour ceux de l’Ontario. »

Comme plusieurs autres producteurs de l’île, Alex Sproll observe que les Québécois sont plus nombreux à visiter le comté depuis la pandémie. La productrice Sherry Karlo, du vignoble Karlo Estates, avance même que 40 % de sa clientèle vient du Québec. Sur la route des Loyalistes, la responsable de l’accueil au domaine Keith-He, Laura Penberthy, estime quant à elle que ce chiffre est encore plus élevé.

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Le comté compte moins de 400 hectares de vignes sur son territoire. Situé sur la route des Loyalistes, le domaine Keith-He est très visité.

Le représentant du domaine Closson Chasse, Francis Bertrand, remarque que les Québécois ne viennent plus uniquement pour profiter des plages et, accessoirement, pour acheter du vin. Désormais, les vignobles sont souvent la raison principale de leur déplacement.

Le comté est devenu une destination gourmande. Les gens viennent pour les restaurants, pour les activités de plein air et aussi pour le vin.

Francis Bertrand, représentant du domaine Closson Chasse

Une région, des défis

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Vendange de pinot noir au RoseHall Run

Pourtant, avec moins de 400 hectares de vignes, le comté du Prince-Édouard ne produit même pas 1 % des vins de la province. Son climat froid exige que les vignes soient enterrées en hiver et la période estivale courte limite le nombre de variétés de raisins qu’il est possible de cultiver dans l’île.

Les vignerons du comté ont néanmoins trouvé une solution pour ne pas manquer de vin : ils achètent des raisins dans la péninsule du Niagara.

Dans la salle de dégustation, le domaine RoseHall Run propose une large gamme de vins. Or, toutes les cuvées ne sont pas élaborées avec les raisins du vignoble. « On achète la moitié de nos raisins à Niagara, précise Dylan Sullivan, surtout les cépages qui ne marchent pas dans le comté comme le cabernet sauvignon et le merlot. »

La famille Sullivan n’est pas seule à procéder de cette manière. Une grande majorité de producteurs de l’île achète des raisins dans la péninsule. Selon le vigneron Mike Traynor, l’achat de raisins est une question de survie.

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Le vigneron Mike Traynor et son assistant aux vinifications, Richard Narayan

« Les vendanges sont en dents de scie dans le comté, on ne sait jamais la production qu’on va avoir, surtout avec les vitis vinifera – les variétés européennes. En achetant des raisins, on sait qu’on aura une production chaque année », justifie-t-il.

Cultiver la vigne au nord du lac Ontario pose plusieurs défis. Pour que les variétés européennes survivent au froid hivernal, elles doivent être enterrées avant l’arrivée du gel, puis déterrées au printemps. Cette opération, appelée le buttage, est coûteuse et se reflète sur le prix élevé des vins du comté. De plus, les saisons difficiles réduisent parfois les rendements. Les vignerons doivent alors augmenter le prix des bouteilles pour demeurer rentables.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE TRAYNOR WINEYARD

Faire du bon vin accessible, telle est la mission que s’est donnée Mike Traynor.

Dans ce contexte, Mike Traynor change peu à peu sa stratégie. Lors de notre passage en septembre, il avait arraché son sauvignon blanc et son chardonnay pour les remplacer par des variétés que les Québécois connaissent bien : des hybrides. Le marquette, le frontenac gris et la petite perle sont plus résistants au froid, exigent souvent moins de traitements et permettent de produire des vins plus accessibles.

Mon but, ce n’est pas de faire le meilleur pinot noir du monde. Mon but, c’est de produire un bon vin que tout le monde peut se payer.

Mike Traynor, vigneron

Le coût moins élevé des raisins de Niagara explique aussi pourquoi Closson Chase achète toujours 25 % de sa production dans la péninsule. « Proposer des vins à bas prix produits à partir de raisins de la région de Niagara peut nous aider à pénétrer dans certains segments de marché ou à y augmenter notre part, remarque Francis Bertrand. Ces vins peuvent servir de point d’entrée aux consommateurs qui ne connaissent pas Closson Chase et, nous l’espérons, les encourager à découvrir les vins de notre domaine. »

Comté du Prince-Édouard, ou Niagara ? Il n’y a que deux façons de savoir d’où proviennent les raisins : lire l’étiquette et, bien entendu, goûter le vin.

Mackenzie Brisbois, du domaine Trail Estate, sera présente au salon du Raspipav les 14 et 15 octobre à Montréal. Elle fera cependant goûter des vins de son projet en Afrique du Sud.

À découvrir

Frais comme une bière

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Green Meanie, par Traynor Wineyard

Mike Traynor a été le premier producteur du comté à élaborer du pétillant naturel. Ce type de vin légèrement effervescent représente aujourd’hui près de la moitié de sa production. Sa cuvée Green Meanie est élaborée avec du vidal. Avec 10 % d’alcool et très peu de sucre résiduel, le vin se compare à une bière de type pilsner, observe son assistant aux vinifications, Richard Narayan. Les notes de poire remplissent le verre et de subtils amers ajoutent de la longueur. Simple et efficace.

Green Meanie, Traynor Wineyard, 26,78 $ la bouteille, offert en caisse de 12 bouteilles en importation privée par l’agence Glou

Naturel et frais

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE REDTAIL

La cuvée FieldHand par RedTail

Peu d’alcool, une robe trouble et peu d’intervention dans le vignoble : cette cuvée du vignoble RedTail coche toutes les cases d’un vin nature. Thomas Stallinga a racheté le domaine en 2018 avec un ami d’enfance. Déjà à l’époque, le vignoble était connu pour ses méthodes différentes. Uniquement préparée avec du pinot noir récolté dans le comté, la cuvée FieldHand charme avec ses notes surettes de griotte. Il suffit de rafraîchir ce vin juteux et floral et de l’ouvrir quelques heures avant le service pour en profiter pleinement.

FieldHand, RedTail, 2021, 31,50 $ la bouteille, offert en caisse de 6 bouteilles en importation privée par l’agence La QV

Chardonnay du comté

PHOTO TIRÉE DU SITE DE LA SAQ

Rosehall Run Chardonnay Prince Edward County 2017

La famille Sullivan produit plusieurs vins audacieux comme le Sully’s Mix, un rouge léger issu d’un assemble de pinot noir et de tempranillo – une rareté dans l’île. Pour y goûter, il faut cependant se déplacer au domaine, car ce sont les cuvées plus classiques qui arrivent sur les tablettes de la SAQ. Ce chardonnay a déjà 6 ans d’âge, mais le terroir frais du comté lui a donné assez d’acidité pour traverser le temps. Les notes d’épices se fondent dans une bouche gourmande et fruitée. Les parfums de poire et de fleurs sont invitants. Un vin d’automne parfait ! Offert en quantité limitée.

Rosehall Run Chardonnay Prince Edward County 2017, 38,75 $