(Mérignac) « Dès que vous voyez du jaunissement : clac ! », les tuyaux d’eau s’enfoncent au pied des ceps. Près de Bordeaux, au Château Picque Caillou, les jeunes vignes mal en point sont arrosées depuis juillet, une pratique proscrite sauf, sur dérogation, en cas d’intense sécheresse.

Alors que la France, à l’instar de l’Europe occidentale, vit son troisième épisode de canicule depuis juin, sauver la récole est crucial pour les professionnels du monde viticole, déjà touché par une production médiocre en 2021 après de fortes gelées et des épisodes de grêle, notamment.

Et pour cause : la France est le premier exportateur de vins au monde et le Bordelais, le premier vignoble appellation d’origine contrôlée (AOC) de France avec plus de 100 000 hectares cultivés et 600 millions de bouteilles produites par an.

Un peu moins de la moitié est exportée, principalement vers l’Asie (Chine et Japon) et l’Europe (Belgique, Allemagne, Royaume-Uni, Suisse).

Au Château Picque Caillou, dans les allées du vignoble de Mérignac (Gironde, Ouest), cultivé sous l’AOC Pessac-Léognan, deux ouvriers viticoles à la peau roussie par le soleil s’affairent, un tuyau d’arrosage à la main.  

Ils ferment la marche d’un tracteur vert, qui, depuis mi-juillet, transporte de l’eau.

En début de matinée, dans des nuages de fumée dégagés par une terre sèche et sablonneuse, le thermomètre frôle déjà les 30 °C.

« Nous irriguons chaque matin, de 6 h 30 à midi », confie Paulin Calvet, propriétaire du domaine. Chaque pied de vigne reçoit un volume de cinq litres d’eau, via un tuyau relié à la citerne et enfoncé au plus près des racines.  

La dérogation exige que l’eau ne provienne pas du réseau, mais par chance, un puits en activité est situé à quelques centaines de mètres des parcelles.

Sur les 25 hectares de vignoble, près de 10 % seront irrigués cet été pour limiter les effets de la sécheresse actuelle : les jeunes vignes « âgées de trois à huit ans », précise Paulin Calvet, fragiles de par leurs racines trop courtes pour absorber l’humidité en profondeur.

Selon le prévisionniste Météo France, la France n’avait pas connu un mois de juillet aussi sec depuis le début des relevés en 1959.  

« Zéro millimètre de précipitations, ça fait peur », déplore le viticulteur. D’autant que la Gironde a cruellement manqué d’eau les saisons passées, laissant à l’été des sols desséchés en profondeur.  

Feuilles flétries, jaunies, brunies voire brûlées… bien que la vigne se plaise en climat aride, sur sol graveleux et pauvre en eau, elle ne peut supporter une trop forte déshydratation.  

« Chacun se débrouille »

« Autour du 10 juillet, on a vu apparaître les premiers signes de sécheresse », explique M. Calvet. « On commençait vraiment à s’inquiéter. »

En viticulture, l’irrigation est proscrite chaque année, du 1er mai jusqu’aux vendanges.

Une dizaine d’appellations girondines peuvent toutefois demander une dérogation dès lors qu’un stress hydrique est « susceptible de remettre en cause la qualité de la production viticole », selon le code rural.

Cet été, alors que s’enchaînent les périodes de canicule en Gironde, trois ont obtenu l’autorisation d’irriguer : celles de Pessac-Léognan, Pomerol et Saint-Émilion.  

Mais l’irrigation doit se faire avec parcimonie, uniquement sur les ceps dont la survie en dépend.

« Arrêtez l’eau ! », lance M. Calvet à ses ouvriers. « Ici, les pieds sont vigoureux, cela n’a aucun intérêt. »

Du côté de Saint-Émilion, « chacun se débrouille », confie le président du Conseil des vins de l’AOC Jean-François Galhaud, car « personne n’est encore vraiment équipé pour l’irrigation ».

Peu de dérogations ont pour l’heure été demandées mais à terme, si la sécheresse perdure, « c’est sûr qu’il faudra compenser », « encore faudra-t-il que les réserves d’eau soient suffisantes », ajoute M. Galhaud.

La profession, qui a subi ces derniers mois du gel et de la grêle, et maintenant la sécheresse, espère maintenant « deux ou trois orages ces prochaines semaines » qui promettront, assure l’interprofession des vins bordelais (CIVB), « un joli millésime ».