Autant qu’on puisse s’en souvenir, la dinde a toujours été associée aux repas du temps des Fêtes. Mais ça n’a pas toujours été le cas. En fait, la dinde a usurpé la place d’un autre oiseau, l’oie, qui tenait fièrement le rôle de volaille festive depuis 5000 ans. Comment l’oiseau de basse-cour s’est-il imposé ?

Faire le plein de lumière

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Oies blanches en migration au Québec

« Mettre une volaille sur la table dans le temps des Fêtes est une réminiscence celte, raconte Alexander Cruz, associé chez École-B, cabinet spécialisé en marketing agroalimentaire. À la Fête du solstice, il y a 5000 ans, on mangeait de l’oie parce qu’elle partait suivre le Soleil. On mangeait aussi un oiseau qui allait revenir avec la lumière. Manger une oie, c’était manger de la lumière. Et quand cette fête-là a été christianisée au IVe siècle, on a conservé à Noël toute la notion de lumière. »

Poule d’Inde

PHOTO ERIC HOOD, GETTY IMAGES/ISTOCKPHOTO

Dindon sauvage

L’oie est restée très longtemps au cœur des célébrations de Noël. La dinde était de toute façon inconnue des Européens, car le grand gallinacé est endémique en Amérique du Nord. D’ailleurs, la dinde tire son nom du fait que les explorateurs européens, se croyant aux Indes, l’on baptisée « poule d’Inde ». Les Britanniques l’ont rapidement appelée « poule turque », ou turkey, nom qui a collé jusqu’à ce jour.

Leur Thanksgiving

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le tableau First Thanksgiving du peintre Jean-Léon Gérôme Ferris, réalisé entre 1900 et 1920 et qui met en scène les colons anglais de Plymouth qui célèbrent la première Thanksgiving avec les Wompanoag et leur chef, Massasoit.

C’est ici que survient le mythe fondateur de la Thanksgiving américaine. « Les Autochtones ont sauvé les colons anglais à Plymouth en 1621 en leur montrant notamment comment cultiver le maïs, la courge et les haricots, explique M. Cruz, passionné d’histoire culinaire et proche collaborateur de Michel Lambert, auteur de la série de volumes Histoire de la cuisine familiale du Québec. On aurait ainsi fêté la première Thanksgiving l’automne suivant pour célébrer la récolte commune. Les colons se seraient alors fait servir la dinde avec des atocas par le chef des Wompanoag, Massasoit. La dinde aux atocas est un plat traditionnellement algonquin ; l’association fruit et viande est typiquement autochtone. » Quant à l’Action de grâce canadienne, elle a été popularisée chez nous par les loyalistes américains, qui ont amené avec eux les traditions associées à la dinde, à la courge et à la citrouille.

Cantique de Noël

PHOTO APN ILLUSTRATIONS

Charles Dickens

D’abord ramenée en Europe par le conquistador espagnol Hernan Cortez, la dinde gagne en popularité sur le Vieux Continent, notamment grâce aux jésuites, qui vont en faire l’élevage. Mais la volaille profite d’une publicité inespérée quand Charles Dickens publie son très populaire Cantique de Noël (A Christmas Carol), en 1843. « Charles Dickens présente la dinde comme quelque chose d’important pour l’élite, dit Joanne Burgess, professeure associée au département d’histoire de l’UQAM et spécialisée dans l’histoire de l’alimentation et de la transformation industrielle des aliments. Dans l’histoire, la famille du pauvre Bob Cratchit organise un souper de Noël au cours duquel on mange une oie. Mais quand Scrooge change en mieux, il vient offrir une dinde. Ça marque le passage vers une nouvelle tradition. »

Aliment distinctif

  • Une histoire drôle mettant en scène la dinde et se déroulant au marché Bonsecours en page 8 de La Presse du 24 décembre 1920

    IMAGE TIRÉE DE BANQ

    Une histoire drôle mettant en scène la dinde et se déroulant au marché Bonsecours en page 8 de La Presse du 24 décembre 1920

  • La une de La Presse du 24 décembre 1920

    IMAGE TIRÉE DE BANQ

    La une de La Presse du 24 décembre 1920

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L’influence anglo-saxonne se fera rapidement sentir chez nous, la dinde se retrouvant de plus en plus sur les étalages des marchés, sans toutefois détrôner l’oie, plus abordable. « Dans un article du Devoir de 1910, on voit que la dinde coûte presque deux fois plus que l’oie, poursuit la professeure Burgess. Dans Le Soleil, à la même époque, un salon de quilles organise un tirage pour une dinde à la veille de Noël, ce qui laisse entendre que c’est quelque chose qu’on aimerait gagner ! Et dans La Presse du 24 décembre 1920, on peut lire une histoire drôle se déroulant au marché Bonsecours : on constate que la dinde avait déjà un attrait plus grand. Il y a donc déjà une valorisation de la dinde à l’époque, mais elle n’occupe pas toute la place parce qu’elle coûte plus cher. »

La dinde de Charlevoix

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

C’est à partir des années 1940 que les élevages de dinde ont vu le jour dans la région de Charlevoix.

Dans les années 1940, la région de Charlevoix accueille beaucoup de touristes américains et anglophones, et on y servait de la dinde à l’automne. « Murray Bay, l’ancien nom de La Malbaie, était considérée comme une station balnéaire belle et pure », explique Alexander Cruz. Par manque de confiance pour leur dinde locale, celle de Murray Bay était ensuite ramenée à New York, « qui connaissait à l’époque de graves enjeux de salubrité. Quand la métropole américaine a réglé ses problèmes, les éleveurs de Charlevoix ont dû trouver d’autres débouchés au Québec. Par la suite, on est passé des petits éleveurs familiaux aux élevages professionnels, qui vendent leurs dindes dans les grandes épiceries. »

La conquête

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉLEVEURS DE DINDON DU CANADA

Avec une masse critique sur le marché, un meilleur transport et la réfrigération, la dinde a supplanté l’oie à la faveur d’un meilleur prix.

Avec une masse critique sur le marché, un meilleur transport et la réfrigération, la dinde a supplanté l’oie à la faveur d’un meilleur prix. Avec des campagnes de publicité et du marketing soutenu au milieu du XXe siècle, la dinde s’est imposée à Noël, la tradition migrant ainsi au Québec de l’Action de grâce vers le temps des Fêtes. « Les traditions restent à table beaucoup plus qu’ailleurs, car l’idée de cuisiner et de manger ensemble est bien souvent tout ce qui reste de traditions dans la vie moderne, explique l’autrice et critique culinaire Lesley Chesterman, adepte assumée de la dinde. Chez nous, la farce, la bûche de Noël, les choux de Bruxelles et la dinde font tous encore partie de nos traditions. »

« Donnez-lui une nouvelle chance ! »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Il faut bien apprêter la dinde pour l’apprécier à sa juste valeur.

Évidemment, il faut bien apprêter la dinde pour l’apprécier à sa juste valeur. « Il ne faut surtout pas la cuire lentement à feu doux, comme on le faisait à l’époque, avertit Lesley Chesterman. Je la fais en crapaudine, mais aussi entière ; quand on pique la cuisse, le jus qui coule doit être clair. Si les cuisses sont cuites, la poitrine l’est aussi parce que la viande blanche cuit plus rapidement. J’ai un truc, aussi : il faut toujours laisser reposer la dinde avant de la couper. On peut attendre une heure si on la couvre d’un papier d’aluminium, de papier journal et d’une couverture. On peut donc la sortir du four pendant qu’on prépare le reste du repas. Elle se coupe aussi bien mieux, les jus ne vont pas se répandre partout. »

En savoir plus
  • 42 %
    Proportion de dindons vendus pendant le temps des Fêtes ; 2,7 millions de dindons entiers sont vendus au Canada dans les semaines précédant Noël.
    Les Éleveurs de dindon du Canada
    32 %
    Proportion de dindons vendus à l’Action de grâce ; 2,1 millions de dindons entiers sont vendus au Canada dans les premières semaines d’octobre.
    Les Éleveurs de dindon du Canada
  • 154
    Nombre d’éleveurs de dindon au Québec. Il y en a 156 en Ontario, sur un total de 513 au Canada.
    Les Éleveurs de dindon du Canada
    15 livres
    Poids idéal d’une dinde pour 10 personnes ; prévoir un temps de cuisson de 2 à 3 heures.
    Chez Lesley : mes secrets pour tout réussir en cuisine, de Lesley Chesterman