(Saint-Pascal-de-Kamouraska) Ils ont quitté Montréal pour la campagne éloignée afin de s’établir dans une petite ferme, de planter leurs légumes et d’en vivre toute l’année. Voici pourquoi. Et en prime comment.

Le grand virage

« Est-ce qu’on va aimer ça ? », « est-ce qu’on va être bons ? », « est-ce qu’on va être à notre place ? »

Maha Farah Elmir et Olivier Bissonnette-Lavoie s’en sont posé, des questions, avant de faire le saut. Et quel saut. D’un trois et demie dans le Centre-Sud à Montréal à une petite ferme maraîchère au cœur du Kamouraska, après un détour par l’Estrie, on peut dire que leur vie a fait tout un virage. Comme quoi les études féministes (pour elle) et les communications (pour lui, doctorat inclus, postdoc en cours) mènent à tout. Même aux petits paniers de légumes bios hivernaux. Concept plutôt inusité dans ce petit coin de pays, aux hivers notoirement arides, faut-il le préciser.

À les voir sourire, satisfaits après leur toute première saison, on comprend qu’ils ne regrettent pas trop leur décision.

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Maha Farah Elmir prépare ses derniers paniers de légumes de la saison.

J’avais envie de vivre et de travailler pour améliorer un peu le monde.

Maha Farah Elmir, copropriétaire de la Ferme des Rhizomes

Nous sommes allés à leur rencontre dans leur jolie ferme fraîchement rénovée de leurs mains (« tout s’apprend ! ») dans le Bas-Saint-Laurent, un vendredi ensoleillé de la fin mars, alors qu’ils s’apprêtaient à vendre leurs tout derniers paniers d’hiver — hiver qui n’était pas encore tout à fait fini dans ce coin de pays. Parce que qui dit paniers de légumes hivernaux dit évidemment vente l’hiver, typiquement de novembre à avril. Culture tout le reste de l’année. Il ne restait, lors de notre passage, que quelques sacs d’oignons, des rutabagas ici, des carottes là, en plus de quelques bacs de courges. Le chien Ziggy a tout de même trouvé le moyen de voler un daikon !

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Le chien Ziggy grignote un daikon.

Mais n’allez pas croire que Maha et Olivier vont se la couler douce le reste de l’année. S’ils ont vendu 55 paniers toutes les deux semaines au cours de l’hiver, ils ont l’intention, liste d’attente oblige, de doubler le nombre l’an prochain. Pas mal, pour une première année dans un créneau niché auquel personne ne croyait trop par ici ! Sauf erreur, une seule autre ferme a tenté le projet dans la région.

Déjà, les semis sont en pot pour plantation au printemps et c’est en taillant des poireaux ou en arrosant des oignons que le couple de jeunes trentenaires intellos devenus fermiers nous raconte son histoire improbable, mais non moins inspirante. Ah oui, pendant que le fils du couple, Youssef, 17 mois, dort confortablement dans sa poussette, en plein milieu de cette ancienne grange bovine reconvertie pour les besoins de la cause. Une grange qui fait aussi office de salle de jeu à ses heures, comme en fait foi cette balançoire savamment plantée en plein milieu de l’espace.

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L’ancienne grange bovine abrite désormais les salles de conservation des légumes (et fait office de salle de jeu !).

Rêver d’ailleurs

Par où commencer ? Maha et Olivier se sont rencontrés il y a 10 ans, en plein printemps érable, à Sherbrooke. Ils ont rapidement emménagé ensemble à Montréal pour y poursuivre leurs études. Maha en histoire, culture et société, Olivier en communications. Après une maîtrise, puis un doctorat sur les mouvements sociaux et la question de la colonialité au Québec (on s’entend qu’on est loin de la gestion des sols ou de l’irrigation), et pendant que Maha codirigeait un petit festival de films (Les Filministes), Olivier se préparait à enseigner au cégep. « Je n’ai pas vraiment trouvé de poste. Mais je n’ai pas vraiment cherché », sourit-il, en récoltant ses micropousses de tournesol.

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Le couple trie ses micropousses de tournesol.

C’est que tous les deux rêvaient déjà d’ailleurs. Maha vient d’une famille de restaurateurs et Olivier de… fermiers. Mais pas des maraîchers, plutôt des éleveurs de porcs. Or il n’était pas question, ni pour lui ni pour sa fratrie, de reprendre l’entreprise familiale à laquelle il a néanmoins travaillé de nombreux étés. Parce qu’il connaît trop la charge de travail. La vie de fou, très peu pour lui. Très peu pour eux.

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C’est dans le Kamouraska que Maha Farah Elmir et Olivier Bissonnette-Lavoie ont finalement trouvé une terre avec une grange en prime.

Ils se sont donc d’abord installés à Sutton tout juste avant la pandémie et avant que ce retour à la terre ne devienne la mode que l’on sait. Faute d’une terre disponible à prix raisonnable, ils ont décidé de pousser plus loin… jusque dans le Kamouraska.

Olivier vient de la région et ses parents ont acheté une terre et en prime une grange : celle-ci. Avec cette occasion en or et après avoir mijoté mille projets (du café-spectacle aux herbes médicinales), voilà donc comment nos fermiers en herbe en sont venus aux légumes bios. Précision : après un été (pandémique), dans la région toujours, à travailler bénévolement à la ferme d’un ami.

« On aimait le cadre, pas de boss, et puis ça a éveillé plein d’intérêts qu’on avait. »

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Olivier Bissonnette-Lavoie, copropriétaire de la Ferme des Rhizomes

Comment travailler les sols le moins possible, comment maximiser la matière organique pour cultiver en régénérant le sol, plutôt qu’en extrayant le sol. On a trippé là-dessus.

Olivier Bissonnette-Lavoie, copropriétaire de la Ferme des Rhizomes

« Et puis le contact avec les plantes, poursuit-il, il y a quelque chose de magique. Il y a des milliards d’interactions avec des organismes. C’est le fun, tu découvres tout le temps. […] Mais oui, ça exige une curiosité et une soif d’apprendre. » Soif qui ne lui manque pas, on l’aura compris.

S’ils ont opté pour les légumes hivernaux, c’est pour œuvrer en « complémentarité » de l’offre déjà existante. « Et on est super contents. Parce que ça amène une charge de travail beaucoup plus équilibrée durant toute l’année », explique Maha, contrairement aux paniers d’été. « Et ça contribue à la conciliation famille-travail. »

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« On ne veut pas devenir des gestionnaires ! », précise Maha Farah Elmir.

D’ailleurs, n’allez pas croire qu’ils voient ici très gros. « Vraiment pas ! On est une petite entreprise en démarrage. Et notre objectif, c’est d’être le plus petit possible en étant capable d’en vivre. […] On ne veut pas devenir des gestionnaires ! » Il y a quelque chose là de générationnel : « Je pense que oui, confirme celle qui travaille aussi comme organisatrice communautaire pour arrondir les fins de mois. Les jeunes ne sont plus intéressés par la monoculture avec de la grosse machinerie et des pesticides, avec plein d’employés. On le voit, il y a beaucoup de petites fermes qui émergent. »

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Les semis demandent beaucoup de soins et d’arrosage.

Pour cause : « Il y a beaucoup de choses qui sont remises en question par rapport à notre alimentation, à l’environnement, à notre empreinte sur cette terre, enchaîne Olivier. Comment est-ce qu’on peut faire pour ne pas juste léguer des problèmes environnementaux aux générations à venir ? »

Avec ces paniers bios et locaux, ils répondent à leur petite échelle à cette bien grande question. Et à voir l’enthousiasme de leurs abonnés, ça a tout l’air de ne pas trop mal marcher.

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Un panier de légumes d’hiver

Le Kamouraska ne consomme pas très local encore, mais les gens réalisent de plus en plus que cela vient avec des légumes souvent — tout le temps ! — meilleurs !

Olivier Bissonnette-Lavoie, copropriétaire de la Ferme des Rhizomes

Et différents : lui-même ne connaissait pas si bien le daikon ni le chou-rave jusqu’ici. Imaginez ses clients. L’an prochain, grâce aux deux serres qu’ils se promettent de construire et de chauffer au minimum (sous l’inspiration de la ferme Du coq à l’âne en Estrie), ils comptent en prime offrir de la verdure dans leurs paniers. Au menu : roquette, oignons verts, chou frisé (kale), épinards, même des verdures asiatiques ! « On a fait découvrir à des gens de nouveaux modèles d’approvisionnement et des nouveaux légumes ! »

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« Ça a l’air bucolique ces gens qui s’amusent et qui ont des poules. Mais c’est tough d’en vivre… », explique Maha Farah Elmir.

Tout cela étant dit, le couple reste drôlement lucide. « Ça a l’air bucolique, nuance Maha, ces gens qui s’amusent et qui ont des poules. Mais c’est tough d’en vivre… » On le sait, les temps sont durs pour les fermiers québécois. Plus d’une ferme sur 10 songe à fermer, révèle même un sondage récent de l’Union des producteurs agricoles (UPA). L’objectif de nos deux néophytes ? Trouver le moyen de pérenniser le projet. Et on ne sera pas surpris : toutes les options sont à l’étude. « On va rester à l’affût des réflexions, chercher à développer des liens, développer de nouvelles formes organisationnelles plus pérennes », conclut Olivier. On le leur souhaite.

Une année dans la vie du fermier maraîcher

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Maha taille ses semis de poireaux.

Fini le blues du lundi. Non seulement Maha Farah Elmir et Olivier Bissonnette-Lavoie de la Ferme des Rhizomes, dans le Kamouraska, travaillent désormais tous les jours, mais ils sont surtout motivés. Et inspirés par la cause : cultiver des légumes bios de conservation, pour nourrir les gens du coin tout l’hiver. Explications en quatre saisons.

Le printemps

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Le printemps, c’est le temps des semis.

Le printemps, c’est le temps des semis. Notamment des oignons et ce, dès la mi-mars. Pas le choix : « Le temps de maturité des oignons est trop long pour notre climat, alors on les part à l’intérieur, sous la lumière », explique Olivier après sa toute première année de culture, en les arrosant religieusement, comme il le fait ces jours-ci quotidiennement. Pas de répit pour les semis. Dès le mois de mai, oignons et poireaux peuvent être ensuite plantés dans les champs, une fois ceux-ci désherbés et irrigués.

L’été

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Les cultures ne nécessitant pas de semis sont plantées directement aux champs.

Suivront, les mois suivants, les autres cultures ne nécessitant pas de semis, plantées directement aux champs : carottes, betteraves, radis, panais, pommes de terre, etc. À noter qu’ici, si le terrain fait plus de 100 hectares, seuls 2 sont utilisés pour les plants, soit l’équivalent d’un terrain de football, judicieusement situé à l’abri du vent. L’été, les journées sont longues. De 7 h à 19 h, il faut désherber, irriguer, bref, entretenir les terres. L’an dernier, outre la sœur d’Olivier, toute l’équipe des Filministes est venue donner un coup de main.

L’automne

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Nos amis ont eu leur lot de petits soucis et ont été attaqués par la mouche de la carotte.

C’est le temps des récoltes. À commencer par l’ail (août) et les oignons (septembre), puis tout le reste en octobre. Secret d’initié : « Plusieurs légumes sont plus sucrés s’ils subissent un gel, nous glisse Olivier. Le truc, c’est de les laisser un peu plus tard aux champs ! » Cela étant dit, nos amis ont aussi eu leur lot de petits soucis : par peur d’en manquer, ils ont planté beaucoup trop d’oignons, ils ont été attaqués par la mouche de la carotte (et ils ont perdu beaucoup de plants), ainsi que par le doryphore de la pomme de terre (mieux connu sous le nom de « bibitte à patate »). Bonne nouvelle : « On les a aspirées avec un aspirateur et ça a bien marché ! »

L’hiver

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L’hiver, il faut nettoyer les légumes.

Fin novembre, il faut nettoyer les légumes, puis les entreposer dans les différentes chambres de conservation (ou froides) construites à ces fins dans la grange. Ils y resteront tout l’hiver pour être distribués ensuite aux clients. Et ils portent très bien leur nom, ces « légumes de conservation » : lors de notre passage, ils sont encore tout beaux, frais à souhait. Toutes les deux semaines, il faut ensuite confectionner les paniers, que viennent chercher ici les clients, souvent en famille. La cueillette devient une sorte d’évènement. « On savait qu’il y aurait une demande, mais pas à ce point, se félicite Olivier. Les gens trippent sur le goût ! » « Les gens viennent ici voir le chien, le bébé, il y a un côté très humain. Les gens aiment ça ! », renchérit Maha. Et de toute évidence, eux aussi.

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