(Ripon et Frelighsburg) Les campagnes débordent de fruits et de légumes ces jours-ci. Parmi les milliers de producteurs dont le travail nourrit les Québécois, certains font cette année leurs premières récoltes… au prix d’efforts acharnés. Qui sont-ils ? Pourquoi se sont-ils lancés ? De nouveaux maraîchers se racontent.

Ferme aux colibris : le beau retour à la terre

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Michaël Daudelin et Clémence Briand, sur leur ferme de Ripon, en Outaouais

Comme beaucoup d’autres producteurs, Clémence Briand et Michaël Daudelin viennent de connaître un premier été sur leur nouvelle ferme, à Ripon, en Outaouais. Un rêve devenu réalité au moment où les défis se multiplient pour les maraîchers du Québec.

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La Ferme aux colibris s’étend sur une série de petits plateaux entrecoupés de ruisseaux qui ont creusé de profonds fossés. Pour la première année, à peine 6 des 50 acres ont été cultivés (au centre).

Dans les vallons verdoyants de la Petite-Nation, en Outaouais, la Ferme aux colibris s’étend sur une série de petits plateaux entrecoupés de ruisseaux qui ont creusé de profonds fossés. De la route, on se demande un peu comment accéder à ces parcelles de terre sablonneuse qui coiffent un sol argileux…

Mais Clémence Briand et Michaël Daudelin, installés ici avec leur fille de 15 mois depuis à peine un an, n’ont pas de mal à trouver le chemin qui se faufile entre les plateaux. Ils l’ont franchi des centaines de fois pour passer de la vieille maison qu’ils habitent près de la route 317 aux six acres qu’ils ont drainés en vitesse avant l’hiver en vue d’une première récolte.

« Je n’aurais recommandé à personne de se lancer si vite en culture », observe Clémence, 32 ans, agronome de formation, au milieu des champs.

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Clémence Briand

Je vois toutes les carences du sol, c’est dur pour moi d’accepter ça. J’aurais préféré attendre un an avant de commencer. Mais maintenant que ça produit, même avec trois semaines de retard, je suis heureuse !

Clémence Briand, de la Ferme aux colibris

« Je suis surpris qu’on ait réussi à tout faire en même temps », ajoute Michaël, 33 ans, qui tenait pour sa part à se lancer sans attendre. Parce que pour lui comme pour sa conjointe, une ferme sur une terre qui leur appartient, c’est un rêve qui se réalise enfin, après des années à travailler pour d’autres.

Beaucoup de nouveaux fermiers

  • La ferme a produit quantité de tomates assez tôt en saison grâce à la construction d’une serre.

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    La ferme a produit quantité de tomates assez tôt en saison grâce à la construction d’une serre.

  • Les concombres sont aussi très nombreux dans la serre.

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    Les concombres sont aussi très nombreux dans la serre.

  • Dans les champs, quelques fleurs poussent aussi pour ajouter des bouquets aux paniers bios.

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    Dans les champs, quelques fleurs poussent aussi pour ajouter des bouquets aux paniers bios.

  • La terre compte autour de 160 acres de forêt, où Michaël Daudelin a semé du ginseng.

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    La terre compte autour de 160 acres de forêt, où Michaël Daudelin a semé du ginseng.

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Au Québec, Clémence et Michaël sont loin d’être les seuls à avoir enfin leur ferme. Pour la première fois depuis 1941, le nombre d’exploitations agricoles est en croissance dans la province. Selon le recensement de 2021, on y trouve aujourd’hui 461 exploitations de plus qu’en 2016, soit 29 380. Ailleurs au pays, Statistique Canada observe plutôt une baisse.

Si la production laitière et les grandes cultures continuent de dominer le paysage agricole québécois, de petites fermes maraîchères font leur apparition partout.

Beaucoup s’inspirent du modèle de culture bio-intensive en circuit court mis de l’avant par Jean-Martin Fortier, de la ferme des Quatre-Temps, qui forme aujourd’hui de nouveaux maraîchers partout dans le monde avec son cours en ligne. Les diplômés en culture biologique du cégep de Victoriaville sont aussi nombreux à tenter leur chance aux quatre coins de la province.

Adapter le modèle

Forts de leurs expériences dans des organismes comme le Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité ou le Marché de l’Outaouais, un important débouché pour les produits locaux, Clémence et Michaël connaissent très bien le modèle qui gagne en popularité dans les campagnes. Mais ils ont décidé de faire les choses un peu autrement…

Avec quelque 210 acres, dont 50 cultivables, la terre qu’ils ont acquise l’an dernier est trop vaste pour se passer de tracteur, comme c’est en général le cas en culture bio-intensive.

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Le couple de maraîchers entoure Lovna Fortin, leur unique employée.

On se mécanise pour réduire les coûts de production. On aurait besoin de beaucoup trop de main-d’œuvre…

Michaël Daudelin, de la Ferme aux colibris

Ce serait aussi vraiment exigeant physiquement, précise Michaël, un ancien joueur de football qui n’a pourtant pas peur des efforts. Clémence, adepte de water-polo et marathonienne, non plus. « Mais si on veut de la relève, il faut trouver toutes les façons d’être efficaces et de simplifier la vie des travailleurs », insiste Michaël, en pensant à sa fille. Et sans doute à leur unique employée, Lovna Fortin, qui a 18 ans.

Pour assurer la croissance de la ferme, il faut aussi trouver des façons de vendre la production, surtout dans un contexte où l’offre se multiplie et où la demande pour les paniers bios, après deux années de vive croissance dopée par la pandémie, semble être retombée d’un coup au niveau de 2019.

Le kiosque construit le printemps dernier a beau être plus populaire que prévu (« Les gens du coin, qui est un peu un désert alimentaire, sont contents », dit Clémence), la Ferme aux colibris mise sur la coopérative Racines rurales, qui réunit une poignée de fermes bios du coin, afin d’élargir son bassin de clients. Et pour pouvoir se concentrer à l’avenir sur certaines cultures sans nuire à la diversité des paniers proposés.

Tous les membres de la coop veulent se spécialiser un peu. On se rend compte que c’est un peu fou de tout vouloir faire pousser. Quand tu fais 50 légumes, ce serait mentir que de dire que tu les maîtrises tous.

Michaël Daudelin, de la Ferme aux colibris

Là pour de bon

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La serre a permis de démarrer la culture de tomates avant l’arrivée des beaux jours.

Avec une inflation galopante, toutes les nouvelles fermes ne passeront pas l’épreuve du temps, croit par ailleurs Michaël, qui voit aussi dans l’engouement actuel pour le maraîcher un certain effet de mode. « C’est bon qu’il y ait de l’écrémage, dit-il. Ceux qui réussissent mieux vont passer au travers, et les autres vont se réorienter. »

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La ferme biologique fait aussi de l’élevage de poulets.

Pour multiplier ses chances de succès, la Ferme aux colibris ne souhaite d’ailleurs pas se cantonner à la culture des tomates, aubergines, oignons et autres légumes. Plus tôt cet été, elle a élevé avec succès 300 poulets et possède un quota pour en faire jusqu’à 2000. Quelques fleurs pour des bouquets poussent aussi dans les rangs. Et Michaël a planté du ginseng dans la forêt derrière les champs. « Dans 10 ans, ça va valoir 1000 $ la livre, calcule-t-il. Si tout se passe comme prévu, ça va être payant ! »

Le couple s’estime chanceux d’avoir mis la main sur une terre pleine de promesses. Et de pouvoir compter pour les concrétiser sur de nombreuses subventions, « pas toujours faciles à aller chercher », convient Clémence, mais qui font l’envie de leurs collègues ontariens. C’est aussi une belle revanche sur l’histoire. « Tous les deux, on vient de familles de la campagne, mais nos parents ont été coupés de la terre, observe-t-elle. On vit un beau retour à la vie agricole. »

Consultez la page Facebook de la ferme

43,7 %

Le Québec compte davantage d’exploitations agricoles ayant déclaré une production biologique que toute autre province. En fait 43,7 % de ces exploitations au pays se trouvent au Québec. En cinq ans, le nombre d’exploitations agricoles qui font du bio a presque doublé au Québec, passant de 4,4 % à 8,4 % de l’ensemble des exploitations.

Source : Statistique Canada

20,9 %

C’est aussi au Québec que la vente directe, adoptée par beaucoup de petites fermes maraîchères, est la plus répandue au pays, avec plus d’une exploitation sur cinq qui la pratique (20,9 %).

Source : Statistique Canada

Ferme Les siffleux : le long chemin vers la ferme

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Alexandre Soulier récolte des zucchinis.

Démarrer une ferme n’a rien de reposant. Même quand on s’y prépare depuis des années, comme l’ont fait Les siffleux, qui ont cultivé cet été quelque 35 légumes, dont beaucoup (trop !) de concombres, sur une terre de Frelighsburg, en Estrie.

« C’est énormément de travail, mais là au moins, on a des légumes à récolter », souffle Pasquinel Huneault, 40 ans, l’un des quatre partenaires de la ferme Les siffleux, au milieu d’une parcelle cultivée entourée de mauvaises herbes. « En plus des heures pour lancer la production au printemps, il a aussi fallu construire des installations pour pouvoir laver et entreposer nos légumes. »

« Mais à date, le bilan est positif sur toute la ligne », poursuit l’ancien planificateur de production des costumes au Cirque du Soleil.

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Pasquinel Huneault, Mélissa Racine LeBreton et Alexandre Soulier, trois des quatre fondateurs de la ferme Les siffleux

Les concombres ont beaucoup trop bien poussé, mais les gens sont contents de nos légumes. On va atteindre nos objectifs financiers, et tout le monde aura eu sa semaine de vacances cet été !

Pasquinel Huneault, de la ferme Les siffleux

Avec son partenaire, Alexandre Soulier, 36 ans, comme lui les mains dans la terre tous les jours, Pasquinel aura même eu droit à un petit salaire, ce qui est loin d’être évident pour une première année. Les deux autres associés n’auront pas eu cette chance…

  • La serre, bâtie avant l’hiver dernier, a tenu ses promesses : les tomates y sont abondantes.

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    La serre, bâtie avant l’hiver dernier, a tenu ses promesses : les tomates y sont abondantes.

  • Les tomates cultivées dans la serre de la ferme

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    Les tomates cultivées dans la serre de la ferme

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Ce qui n’a pas empêché l’investisseur Alexandre Guertin, 34 ans, de s’occuper d’irrigation et de comptabilité. Et Mélissa Racine LeBreton, 39 ans, qui vit en couple avec Pasquinel, de faire de la mise en marché et de livrer des paniers dans Villeray et Rosemont. L’ancienne enseignante a plutôt gagné sa vie en consacrant quelques heures chaque semaine à l’OBNL Les Cocages, propriétaire du terrain de 40 acres où s’est installée la ferme.

Du livre… au champ

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La ferme loue une parcelle de trois acres, dont deux et demi seront cultivés à terme. Cet été, à peine un acre a été planté.

Titulaire d’une maîtrise en environnement, Pasquinel sait qu’il veut faire pousser des légumes depuis qu’il a offert Le jardinier-maraîcher de Jean-Martin Fortier, sorti en 2012, à Mélissa comme cadeau de Noël. « Finalement, c’est moi qui l’ai lu ! », dit-il. « Avec des tonnes d’autres livres », ajoute Mélissa en riant.

L’autodidacte a ensuite travaillé tout un été sur une ferme, puis tenté un projet de paniers bios avec un ami dans les Laurentides. « Ç’a super bien été, mais pas tant avec mon ami », dit-il.

Ça fait donc un moment que les deux amoureux ont envie d’avoir une ferme ensemble. Mais pas seuls. La rencontre des deux Alexandre au fil de leurs démarches leur a donné l’élan qu’il fallait pour aller de l’avant.

« Nous avons d’abord dû trouver un terrain à cultiver », dit Alexandre Soulier, qui fait de l’horticulture depuis une dizaine d’années déjà, notamment avec l’organisme Sentier urbain, qui travaille à verdir Montréal.

La quête a duré près de quatre ans pendant lesquels les futurs fermiers ont visité, en vain, une vingtaine d’endroits par l’entremise d’Arterre, un service qui jumelle de nouveaux agriculteurs avec des propriétaires fonciers.

Maintenant qu’ils ont enfin accès à une terre, où ils ont déjà bâti une serre, Les siffleux se voient à Frelighsburg pour longtemps. « Ici, on a un bail de 25 ans, donc on est à l’aise d’investir, ça nous permet d’avoir une vision », lance Mélissa.

Sur la ferme de trois acres, dont un seul est en culture cette année, il reste d’ailleurs pas mal d’espace pour concrétiser cette vision, avec le concours de l’organisme Les Cocagnes.

L’OBNL, qui accueille déjà aussi la ferme de légumes asiatiques Rizen, a récolté 600 000 $ en 2020 et multiplie les projets pour faire de l’endroit une destination agrotouristique. Il organise déjà des repas champêtres pour lesquels des chefs utilisent les récoltes de l’été et a commencé la rénovation d’un vaste bâtiment délabré pour en faire une cuisine de transformation. D’autres projets agricoles, qui partageront expertise et équipement, devraient aussi y voir le jour.

Le chemin vers la ferme a été long, mais Les siffleux ont au final trouvé beaucoup plus qu’une simple terre. « Ce modèle collectif, de partage, c’est une solution innovante qui va nous permettre d’être résilients, conclut Pasquinel. Pour nous, c’est vraiment l’avenir. »

Consultez le site de la ferme

87 %

Le prix des terres est le principal frein au démarrage et au transfert d’entreprises agricoles au Québec pour 87 % des répondants à un sondage mené en 2021 auprès de membres de la Fédération de la relève agricole du Québec.

Source : Fédération de la relève agricole du Québec

10 %

La valeur moyenne des terres agricoles a augmenté de 10 % en 2021 au Québec. Cette hausse suit celles de 7,3 % en 2020 et de 6,4 % en 2019. Les régions où les hausses ont été les plus prononcées sont Chaudière-Appalaches (15 %), l’Outaouais (14,3 %) et la Montérégie (13,9 %).

Source : Financement agricole du Canada