Si on glisse plus spontanément des fleurs comestibles dans nos assiettes aujourd’hui, on se limite souvent à leur beauté, déplorent certains chefs. « Il reste probablement une étape à franchir pour en exploiter davantage les saveurs », estime Normand Laprise, du Toqué !, qui les aborde comme tout autre aliment : pour leur intérêt gustatif.

Les boîtes à surprises de Mme Duquet

Celle qu’on qualifie de reine du Toqué ! porte un chapeau de paille en guise de couronne et a, pour tout royaume, quelques acres de terre lovés dans les vallons de Dunham. Discrète, la souveraine est à l’image du jardin qu’elle gouverne, et dont rien, de prime abord, ne laisse présager les trésors : quelques plateaux de fleurs et de plantes odorantes dissimulés de la route et vaillamment transformés au fil des années, à coups de pioche, de patience et de minutie.

Des derniers gels du printemps aux tout premiers de l’automne, c’est là, dans le jardin Calendula, que Dianne Duquet veille sur chaque pousse qui s’invite, s’employant à découvrir l’étendue des richesses de plantes sauvages ou cultivées du bout des racines aux pétales. Elle dévoile ainsi des parfums étonnants que convoitent les plus hardis des fins palais.

L’horticultrice fournit le chef Normand Laprise et sa descendance professionnelle en produits de sa terre. Charles-Antoine Crête (Montréal Plaza, FoodChain) et Mehdi Brunet-Benkritly (Marconi), tous deux formés au Toqué !, ont conservé ce lien dans leurs propres établissements, par amour du travail bien fait et par affection pour cet esprit libre que rien ne prédestinait à approvisionner les grandes tables montréalaises.

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Dianne Duquet en compagnie du chef du Toqué !, Normand Laprise, venu lui rendre visite au jardin.

Cliente de longue date du Toqué !, l’ancienne interprète apportait à l’époque ses propres baguettes au restaurant, pour mieux déguster les plats. Ce rituel n’est pas passé inaperçu. Graduellement, un lien d’amitié s’est tissé avec l’équipe en cuisine. Quand Normand Laprise lui a proposé de produire légumes et aromates en petite quantité pour son établissement, il y a près de 20 ans, la perfectionniste a pourtant refusé, avant de se laisser convaincre que son jardin avait un réel potentiel.

Un jardin comme laboratoire

« Je me suis vite aperçue que je n’avais pas les ressources pour faire du maraîchage. J’ai donc commencé à faire des choses plus petites pour réaliser que ce que j’aime, ce sont les fleurs. » Sa terre, rocailleuse et chaude, y est propice. Les fleurs, sauvages en grande partie, y poussent vite et beaucoup.

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Les fleurs qui poussent dans le jardin de Dianne Duquet sont pour la plupart sauvages.

Moi, je fais le contraire de pas mal tout le monde. Je cueille les herbes qui sont dites mauvaises, mais qui sont souvent excellentes, et je les incorpore à mon jardin. Il y a presque toujours des fleurs à cueillir dans la nature.

Dianne Duquet, propriétaire du jardin Calendula


Pissenlit, marguerite sauvage, cerfeuil, cresson, orpin… « Ces trucs sur lesquels on marche », décrit-elle, composent le tiers de sa production. Même les verdures qui poussent à travers le pavé de sa propriété obtiennent l’attention de ses clients. Le chef du Montréal Plaza en fait d’ailleurs un savoureux mesclun.

Les pissenlits cueillis dans la neige, et offerts en cadeaux à ses clients à Noël, sont sa grande fierté. Une fleur de concombre à laquelle s’accroche un minuscule début de légume, son nec plus ultra. « Elle est tellement assidue et délicate dans ce qu’elle fait ! Sa production est à l’image de sa personnalité : sensible et saine », dit d’elle Charles-Antoine Crête.

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Les boutons de marguerite sont apprêtés comme des câpres au Toqué !

Plus petit, plus savoureux

Chaque semaine, Dianne Duquet livre à ses clients des boîtes de fleurs et d’aromates confectionnées avec un soin peu commun et quasi artistique. À découvrir « comme on ouvre un coffre à bijoux », dirait Charles-Antoine Crête. Ou comme « une boîte à épices qu’on utilise avec parcimonie », de décrire Normand Laprise, de passage dans les jardins de Dianne Duquet lors d’une journée ensoleillée d’août, propice à la cueillette.

Une balade à travers les allées de végétaux de Calendula, dont émanent des effluves variés, a de quoi attiser le cerveau bouillonnant d’un chef et faire surgir des idées de plats riches en parfums : tartelette aux bleuets et aux fleurs d’estragon, bégonias incorporés dans un dessert aux petits fruits, lait glacé aux fleurs de basilic, pesto de pétales de capucines, tombées d’hémérocalles sur poisson…

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Normand Laprise, chef du Toqué !, dans les allées odorantes de Calendula.

[Une fleur punchée] a le pouvoir de changer un plat pour l’amener ailleurs. Ça change tout ! Et c’est pour cette différence que les gens viennent manger chez Toqué !.

Normand Laprise, chef du Toqué !


« Dianne jardine et défriche un peu comme nous en cuisine : avec ce qu’elle a », souligne Normand Laprise.

« La nature ne se brusque pas », estime la principale intéressée, qui jamais ne pousse une plante à produire davantage, quitte à obtenir moins de volume, mais plus de saveurs. Et, de l’avis de ceux qui la connaissent, cette toute petite phrase résume à elle seule tout l’intérêt de ses récoltes. Son travail, mené par une curiosité et un respect pour le vivant, « se goûte » et contribue à faire d’un plat une expérience qu’on n’oublie pas.

« Une fleur de serre en hiver, c’est très joli, mais ça ne goûte pas. Ici, quand tu manges une fleur, ça peut durer cinq minutes ou dix minutes en bouche. C’est ça, les saveurs qui peuvent exploser dans un plat et qui restent, affirme Normand Laprise. C’est comme un vin. Il y a des petits vins qui sont agréables, mais sans grande personnalité. » Les fleurs de Mme Duquet, elles, ne manquent pas de couleurs.

Connaître pour mieux savourer

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Avec sa saveur astringente, le bégonia se classe parmi les fleurs favorites du chef Normand Laprise.

Les fleurs offrent un éventail de saveurs encore peu connu, et pourtant diversifié : des parfums d’agrumes, d’anis, d’ail, de girofle, de citron, d’herbes fines et même d’huître. Pour les découvrir, il faut goûter, lire et se renseigner, de l’avis de celle qui en a fait sa spécialité.

« Mon principe, c’est si tu veux arracher une plante, nomme-la d’abord. Tu sauras alors pourquoi tu veux l’enlever », résume Dianne Duquet, du jardin Calendula, qui approvisionne certaines grandes enseignes de la gastronomie montréalaise, notamment le Toqué !

Bon nombre de plantes qui nous entourent ont un intérêt certain en cuisine. C’est le cas de la matricaire camomille, du trèfle, de l’églantier, de la violette ou de l’orpin sauvage (consommé quand ses feuilles ont atteint une certaine maturité), que l’on piétine souvent sans le savoir. Ou encore de l’hémérocalle, de l’hosta, de la rose et du bégonia qui garnissent nos jardinières et plates-bandes.

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Le fenouil bronze au parfum d’anis

Il faut surtout arrêter de faire des jardins propres ou parfaits, et apprendre à connaître les plantes qui nous accompagnent pour savoir quoi en faire.

Dianne Duquet, propriétaire du jardin Calendula

« Si je peux arriver à nommer toutes les herbes qui composent mon cinq acres, je serai contente », indique l’horticultrice en évoquant toutes les espèces indigènes dont on ignore le potentiel.

La Cuillère de fleurs

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La Cuillère de fleurs

La Cuillère de fleurs, réalisée par le Toqué ! alors que Dianne Duquet venait de livrer plusieurs fleurs différentes, rassemble en une seule bouchée les parfums de son jardin. « Comme un pétard qui reste dans la bouche pendant 10 minutes, et qui évolue au fil de la saison avec ce qu’on trouve au jardin, décrit Charles-Antoine Crête. C’est une création qui a sa propre vie et qui ne goûte jamais la même chose, d’une fois à l’autre. »

Ingrédients

  • De 4 à 6 petites fleurs comestibles d’au moins 3 ou 4 variétés (bégonia, calendula, fleur de livèche, œillet, sauge sclarée, etc.), nettoyées
  • Quelques petits fruits de saison au choix (fraises, framboises, cassis, gadelles)
  • Sucre biologique, au goût
  • Une pincée de sel

Préparation

  1. Couper les baies au besoin pour qu’elles tiennent dans la cuillère.
  2. Défaire les fleurs trop grosses en pétales.
  3. Assembler tous les ingrédients en plaçant les plus petits au fond de la cuillère et les plus gros sur le dessus.
  4. Saupoudrer de sucre et terminer avec une pointe de sel.
  5. Servir avec un verre d’eau glacée aromatisée d’un peu de jus de citron.

Découvrir de nouveaux arômes

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Plus connue des gastronomes, la capucine (à l’avant-plan) est pourtant sous-utilisée en cuisine, selon Normand Laprise, qui fait entre autres un pesto de ses fleurs et une huile à partir de ses feuilles.

La pensée est parmi les variétés qui viennent à l’esprit quand il est question de fleurs comestibles. « Or, ce n’est pas sa fleur, mais sa feuille qui est intéressante », précise Dianne Duquet, du jardin Calendula.

Parfois, c’est la fleur qui étonne, à d’autres moments, c’est la feuille ou les graines. Toutes les plantes ne sont pas égales sur le plan des saveurs. Certaines fleurs ont un goût insipide, mais en jettent en décoration. Quelques-unes ont un parfum si prononcé, comme c’est le cas pour la sauge sclarée, qu’il n’en faut qu’une infime quantité pour assaisonner une préparation. D’autres, enfin, sont carrément toxiques : notamment les fleurs de tomate, d’aubergine, de pomme de terre, de muguet ou de ricin.

Il faut oser, mais avec prudence.

Dianne Duquet, du jardin Calendula

Dianne Duquet suggère de goûter une plante du bout des lèvres, dans un premier temps. « Si c’est bon, faites vos recherches avant de l’incorporer à vos plats. »

Pour vous initier, commencez par les fleurs qui vous entourent à la maison, conseille-t-elle, un avis qu’elle partage avec l’horticultrice Hélène Baril, autrice de Fines herbes et fleurs comestibles du Québec, édité pour la première fois en 2007 et premier ouvrage du genre adapté à la flore d’ici.

Au potager, de nombreuses fleurs sont à découvrir : celles des pois, des haricots, des carottes, de la roquette ou des courges. Parfois plus concentrées que leur feuillage, dans d’autres cas plus délicates, les fleurs des fines herbes ne devraient surtout pas être ignorées, encore moins arrachées ! précise Hélène Baril en donnant en exemple les fleurs de ciboulette, aussi décoratives que riches en saveurs.

Consultez la liste des principales fleurs comestibles, selon Espace pour la vie

Les apprêter simplement

« Souvent, j’utilise des grosses fleurs [de courgette, de concombre, d’hémérocalle ou de glaïeul] comme petit plateau de service mangeable pour servir un guacamole, une salsa ou un sorbet, suggère Hélène Baril. Glacées [on fait figer un peu d’eau dans le bac à glaçons, on dépose la fleur couverte d’un peu d’eau, puis on remet au congélateur], elles gardent aussi leurs couleurs. »

La lavande, la calendula, le souci, la fleur de menthe, l’œillet de poète, la rose et la bourrache s’intègrent particulièrement bien aux desserts, propose-t-elle encore, tandis que d’autres, notamment la monarde et les fleurs de fines herbes, font leur effet ciselées dans un fromage ou un beurre. Dans tous les cas, on apprête très peu les fleurs pour les préférer fraîches, ou à peine poêlées.

Pour capturer leur fraîcheur d’été, Toqué ! en fait des sirops, des huiles (les feuilles de capucines s’y prêtent bien), des vinaigres, des marinades, des eaux comme celle de vinaigrier dont les fleurs sont récoltées après les premiers gels, alors que les parfums se concentrent dans le bouquet. Les boutons de marguerite ou d’hémérocalle sont quant à eux utilisés pour faire des câpres.

Dans la plupart des cas, les sépales qui supportent la corolle et qui sont amers doivent être retirés, quoique l’amertume est parfois sous-estimée en cuisine, relève Dianne Duquet. Ceux qui sont allergiques au pollen devraient s’abstenir de consommer des fleurs, avertit par ailleurs Hélène Baril, en conseillant également de retirer le pistil, les étamines et la partie blanche située à la base des pétales pour limiter l’amertume.

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Les fleurs d’hémérocalle se cuisinent de toutes les façons, selon le chef Charles-Antoine Crête.

Les multiples vies de l’hémérocalle

Charles-Antoine Crête est probablement de ceux qui ont le plus décliné l’hémérocalle, de l’avis de Dianne Duquet. « Une fleur qui ne goûte rien, c’est sans intérêt, estime le chef. Mais s’il y en a une qui se cuisine de toutes les façons, c’est bien l’hémérocalle ! »

« On commence par cuisiner ses pousses. Lorsqu’elles sont un peu plus grosses, on les apprête comme des poireaux, décrit-il. Puis la première tige sort. On la casse comme une asperge pour en garder la portion moins fibreuse. Les boutons de fleur sont ensuite mis à mariner. Lorsque la tige devient trop dure, elle est utilisée comme paille pour brasser les cocktails. La fleur est finalement poilée et quand elle commence à faner, on la fait caraméliser au sucre pour la casser sur des desserts pendant l’hiver. » Rien ne se perd ; tout se crée !

Des fleurs à boire

PHOTO NANCY GUIGNARD, FOURNIE PAR LES JARDINS DE MÉTIS

Le Stephen

C’est sans surprise que le chef du restaurant des Jardins de Métis, Frédérick Boucher, s’intéresse aux fleurs pour ses cocktails botaniques. Le Stephen, un Negroni de son cru, est fabriqué à partir d’ingrédients québécois et a été conçu en l’honneur de Lord Mount Stephen, instigateur de la villa Redford, à Métis-sur-Mer.

Le Stephen

Ingrédients

  • 1 oz de gin Mugo de la Distillerie Mitis
  • 1 oz d’Amermelade, un apéritif à base de gentiane des Spiritueux d’Iberville
  • 1 oz de vermouth Rouge Gorge du Domaine Lafrance
  • Fleurs de tagette

Préparation

  1. Assembler les ingrédients et y faire infuser des fleurs de tagette. Garder au frais.
  2. Tamiser et garnir de fleurs fraîches au moment de servir.