Alors qu’on valorise plus que jamais l’achat local et la consommation de la ferme à la table, notre journaliste a pris la route pour aller à la rencontre de travailleurs agricoles. Voici le quatrième d’une série de cinq portraits avec Sascha Bienvenue-Blum, superviseur de la plus grande serre commerciale sur toit du monde.

« C’est la première journée de récolte des tomates cerises », lance-t-il.

Ce n’est pas tous les cultivateurs qui habitent un quartier central de Montréal et qui peuvent se rendre au travail en transports en commun. C’est le cas de Sascha Bienvenue-Blum, qui supervise la plus grande serre commerciale sur toit du monde.

Il s’agit de la serre de Lufa située sur le toit d’un édifice du boulevard Thimens, soit l’ancien centre de distribution de Sears, dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Sa superficie est de 15 000 m2. On y récolte chaque semaine 35 000 lb de tomates et d’aubergines.

Là-haut, difficile de croire que nous sommes en plein cœur d’un quartier industriel, à cinq minutes de l’autoroute 40 et d’un IKEA.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Dans cette serre, on cultive plusieurs variétés de tomates.

C’est depuis l’automne dernier que Sascha Bienvenue-Blum a les deux mains dans la terre et une vie sédentaire. Il fait partie des nombreuses personnes qui ont réorienté leur carrière pendant la pandémie.

« Je n’ai pas un background en agriculture, mais en cuisine », indique-t-il.

Chose certaine, Sascha sait mettre les deux mains à la pâte, gérer des imprévus, fouetter des troupes et faire des virages à 180 degrés.

Près de 10 ans au Cirque du Soleil

Reprenons les choses du début. La mère de Sascha vient des Cantons-de-l’Est alors que son père est américain. Sascha est né à New Haven, dans l’État du Connecticut, mais il a passé sa jeunesse à Granby après le divorce de ses parents. À l’âge de 17 ans, il a obtenu un diplôme en cuisine à Cowansville.

Il a travaillé en restauration pendant de nombreuses années aux États-Unis avant d’être engagé par le Cirque du Soleil. « La première personne que j’ai rencontrée à ma première journée au Cirque, c’est celle qui allait devenir ma femme, raconte-t-il. C’est elle qui est venue me chercher à l’aéroport de Houston. »

D’origine brésilienne, Paola Muller Head De Freitas était chef de cuisine de tournée (comme allait le devenir son futur mari). Au départ, Sascha était son employé. Ils ont travaillé sur la tournée du spectacle OVO avant d’enchaîner sur celle de Kurios. Leur fille Kima est née en Australie en 2013 et leur deuxième enfant, leur garçon Joaquin, est né en 2019.

Quand les frontières ont commencé à fermer en raison du coronavirus, Sascha se trouvait à Houston pour le spectacle Alegria. Sa femme était heureusement restée à Montréal — où avait débuté la tournée — avec leurs deux enfants.

Le 13 mars 2020, Sascha a dit « à bientôt » à ses collègues pour rentrer au Québec. Sans le savoir, il rentrait pour de bon et il avait terminé sa dernière journée pour le Cirque du Soleil, dans la même ville du Texas où il avait commencé.

« Physiquement, j’avais besoin de repos, raconte-t-il. Et pour une première fois, nous pouvions passer du temps en famille tous les quatre ensemble. »

Après six mois de pause, Sascha entend parler de Lufa par sa sœur. Il voit l’annonce d’un poste enviable : superviseur de la serre sur le toit de Saint-Laurent.

Je cherchais une entreprise dont les valeurs cadraient avec les miennes et où le côté humain était important.

Sascha Bienvenue-Blum

Un emploi avec des cycles et des imprévus, il connaissait. « Je pouvais appliquer ce que j’avais appris au Cirque. »

Lufa était en pleine croissance, de surcroît. Sascha est entré en fonction le 9 novembre 2020, en paix avec l’idée de laisser une presque décennie au sein du Cirque du Soleil derrière lui.

Objectif zéro déchet

Depuis le début de la pandémie, le nombre d’employés de Lufa a bondi de 300 à 650.

Lufa compte quatre serres sur toit. Celle de Saint-Laurent, soit « la plus grande ferme urbaine au monde », a été inaugurée au printemps 2020. On y capte l’eau de pluie et de fonte, ce qui alimente en bonne partie le système d’irrigation qui fonctionne à circuit fermé (ce qui permet de faire recirculer l’eau).

Quand on change le substrat de culture de chaque plant environ une fois par an, on composte la vieille terre. Cela semble anodin, mais c’est beaucoup d’efforts, car il faut l’extraire d’un sac, à la main. Il faut savoir que l’on compte dans la serre 22 000 plants de tomates cerises, 11 000 plants de tomates cœur de bœuf et 8000 plants d’aubergines !

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Le principal défi est d’éloigner les insectes nuisibles selon les principes de l’agriculture biologique.

« On tend vers le plus zéro déchet possible », indique Sascha.

Ce dernier aime le côté start-up de Lufa. S’il y a un problème, on trouve une solution. « On s’écoute, on brainstorme et on prend des décisions rapides. »

Le principal défi est d’éloigner les insectes nuisibles selon les principes de l’agriculture biologique. Il peut aussi parfois faire chaud dans la serre, mais les employés peuvent commencer leur journée plus tôt et faire preuve d’ingéniosité pour la ventilation. « On travaille fort, mais on travaille ensemble. Moi, c’est tout le côté humain que j’aime », répète Sascha.

J’apprends constamment. Et travailler dans les plantes sous le soleil, c’est tellement sain !

Sascha Bienvenue-Blum

Lufa voit grand. Sascha aussi. « On veut nourrir tout le monde », lance-t-il.

En parlant à Sascha, on constate à quel point nourrir les gens est gratifiant. C’est ce qu’il faisait au Cirque du Soleil et c’est ce qu’il fait chez Lufa, mais en pouvant rentrer le soir — dans un endroit qu’il peut appeler sa maison — après être allé chercher son fils à la garderie.