Est-ce que la chasse rend gourmand, ou est-ce plutôt que les chasseurs sont préalablement amoureux de la bonne chère ?

« C’est comme me demander si la poule est arrivée avant l’œuf ! » nous a répondu en riant Éric Manseau, qui pratique à peu près tous les types de chasse depuis son tout jeune âge, mais qui s’est aussi doté de fumoirs, de moulins à saucisse et d’équipement de charcuterie fine pour apprêter sa précieuse viande de gibier. « Quand je veux aller plus loin en cuisine, je prends du gibier, nous a confié le biologiste de 51 ans. Et quand je veux faire plaisir à mon monde, j’y vais aussi pour du gibier, parce que peu de gens ont goûté à ça. C’est ce qui rend mes recettes uniques. »

Orignal, cerf, canard, ours et même castor, il faut simplement avoir eu l’occasion de humer le fumet des viandes apprêtées longuement par Éric Manseau pour se convaincre de l’intérêt du chasseur de Rimouski pour la cuisine. Une passion qu’il a transmise à ses enfants, mais aussi à son ami Alexandre Roy, avec qui il part chasser chaque année à l’automne. « Bien sûr, la chasse est une quête, une passion, une aventure », nous a expliqué celui qui est aussi l’associé d’Éric Manseau au sein du Groupe AIM, firme de consultation en environnement et en faune. « Mais la chasse m’a aussi ouvert des horizons culinaires incroyables. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LAPRESSE

Magret de canard

Chez nous, on mangeait toujours la même chose ; aujourd’hui, je m’inspire de grands chefs du Québec pour trouver des recettes ! Tu n’as pas idée comment les gens dans nos familles s’attendent à ce que l’on apprête notre viande, ils savent qu’ils vont vivre une expérience culinaire incomparable.

Alexandre Roy

Même ceux qui ont l’habitude de faire la fine bouche se laissent tenter par la viande cuisinée par les deux amis. « Mon petit neveu Raphaël, il aime juste le bœuf, nous a raconté Éric Manseau en rigolant. Mais quand il vient à la maison, je lui offre du bœuf d’orignal, du bœuf de chevreuil, du bœuf de caribou, et il mange toute son assiette ! »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le cerf

Quand on leur demande quelle viande de gibier ils préfèrent, les deux chasseurs du Bas-du-Fleuve hésitent. « Le caribou, c’est imbattable, tu ne mangeras jamais une meilleure viande que ça », soutient Alexandre Roy, avant de se raviser pour nous parler d’une recette de gigot d’ours qu’il réussit particulièrement bien. « C’est comme si tu demandais à quelqu’un de choisir entre ses huit enfants, s’est exclamé de son côté Éric Manseau. Mais honnêtement, je crois moi aussi que c’est l’ours qui gagne à être connu. Un méchoui d’ours sur charbon de bois, c’est divin ! »

Attiré par le ventre

Tout compte fait, la passion de la chasse viendrait-elle de l’amour de la bonne bouffe ? « On forme les gens par notre enthousiasme, a reconnu Alexandre Roy. Tu leur fais goûter de la viande de gibier et tu réussis à les convaincre par le ventre. D’ailleurs, un de mes amis ne mangeait rien ou presque, jusqu’à ce qu’il goûte à mes plats. Il est maintenant vendu, il faut qu’il passe son cours de chasse. »

PHOTO FOURNIE PAR ÉRIC MANSEAU

Alexandre Roy et Éric Manseau (en haut) ont abattu un imposant orignal cet automne en compagnie de leurs fils respectifs Éliot (à droite) et Jérémi (à gauche).

C’est un peu ce qui est arrivé à Julie Hamel, qui chasse depuis trois ans sur la terre de son père, à Saint-Raymond-de-Portneuf. Amoureuse de la nature et très soucieuse de son alimentation, la jeune mère de famille de 39 ans a commencé à cuisiner la viande de gibier quand un ami chasseur lui a donné de belles pièces de chevreuil et d’orignal. « Il m’a donné la moitié de sa viande de chevreuil et une partie de son orignal, la porte de mon congélo ne fermait pas ! s’est rappelée Julie Hamel. C’est lui qui m’a ensuite appris à chasser. »

PHOTO FOURNIE PAR JULIE HAMEL

Julie Hamel a tué sa première perdrix cet automne, sur la terre familiale de Saint-Raymond-de-Portneuf.

Si elle n’a pas encore tué de gros gibier, elle sait déjà parfaitement comment l’apprêter. Elle se fait d’ailleurs un point d’honneur d’inviter chaque année son mentor à souper, un évènement qu’elle prépare avec minutie. « Je me donne dix fois plus quand je cuisine de la viande de gibier, parce qu’elle mérite plus d’attention, nous a-t-elle confié. Je pense au menu six mois à l’avance, je réfléchis à ce que je veux faire, la mise en bouche, l’entrée, le repas principal. Je fais des tests au fil de l’année, je me donne pour vrai. Je trouve que ça vaut la peine de mettre autant d’efforts. Une viande ordinaire n’arrivera jamais à la hauteur des pièces de gibier. Une viande comme ça, c’est comme sacré. »

PHOTO FOURNIE PAR JULIE HAMEL

Un repas de semaine cuisiné à la hâte par Julie Hamel pour les besoins du reportage : chevreuil assaisonné avec thym et un soupçon d’épices boréales, accompagné de champignons, oignons, poivrons rouges et purée de navet, carottes, pommes de terre et persil.

C’est pourquoi elle ne veut surtout pas dénaturer la saveur du gibier. « Je vais la cuire directement, il faut que ça goûte. Mais les accompagnements vont être sur la coche », a expliqué la femme de Saint-Alban. Elle fait son fond de viande avec des os de gibier, des légumes passés au tamis, une décoction qu’elle laisse ensuite lentement épaissir. Elle va aussi soigneusement choisir ses épices — elle apprécie particulièrement les saveurs boréales. « Mon chum dit que je suis arrogante, mais j’ai du goût, nous a-t-elle avoué en rigolant. Quand je vais au resto, je sais que je peux faire mieux que ça. Il faut que tu me surprennes, alors ça devient un peu un problème ! »