Trois des plus grands scientifiques canadiens spécialisés en environnement demandent au gouvernement fédéral d'écouter plus attentivement les résultats de leurs études sur l'avenir.

Dans une lettre publiée lundi, ils appellent les politiciens à mettre de côté leurs divergences partisanes pour résoudre ce que les scientifiques qualifient de crise.

Dans leur missive adressée au premier ministre, aux chefs des partis de l'opposition et aux premiers ministres des provinces et des territoires, ils insistent sur le fait que des gestes forts doivent être posés au cours de prochaines années.

Ils précisent qu'il ne reste plus de temps pour les «économies de transition» que brandissent certains élus pour apaiser les investisseurs des combustibles fossiles, et qui mènent à de nouveaux investissements dans des infrastructures dédiées aux énergies fossiles.

La lettre est signée par William Peltier, directeur du Centre for Global Change Science de l'Université de Toronto ; John Smol, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en changement environnemental à l'Université Queen's ; et David Schindler, éminent écologiste et professeur émérite de l'Université de l'Alberta.

Tous trois ont reçu la Médaille d'or Gerhard-Herzberg en sciences et en génie du Canada, la plus haute distinction scientifique au pays.

La lettre porte aussi la signature de David Suzuki, communicateur scientifique et militant écologiste de longue date.

Le document comprend notamment une liste des effets déjà causés par les changements climatiques au Canada, de la diminution des remontées de saumons à la réduction du couvert de glace en mer, en passant par les conditions météorologiques extrêmes.

«L'effet global sur l'économie et l'environnement sera aussi dévastateur qu'une lente guerre internationale», écrivent-ils. «Dans toute démocratie fonctionnelle, il est de coutume que les partis politiques mettent de côté leurs divergences dans de tels moments afin de faire face à une menace qui met en péril l'avenir des citoyens.»

«Il s'agit de l'un de ces moments.»

Sortir des laboratoires

M. Smol, qui a récemment été nommé à la Société royale du Canada, croit qu'il est temps que les scientifiques sortent des laboratoires.

«La situation est devenue si grave que nous n'avons plus le luxe d'être complaisants», a-t-il tranché.

La semaine dernière, John Smol a publié un article invitant les scientifiques à faire entendre leur voix pour remédier à ce qu'il qualifie de carence paralysante de connaissances scientifiques au Canada.

«Le manque d'information scientifique sérieuse et de communication permet aux groupes de pression, qui disposent souvent de ressources considérables en relations publiques et de grands pouvoirs d'influence sur l'opinion publique, de propager librement les messages qui favorisent leurs objectifs», écrit-il.

«Le fardeau incombe de plus en plus aux scientifiques universitaires.»

Beaucoup se disent d'accord, mais voient des obstacles.

«Les universitaires ne sont pas récompensés pour passer leur temps à communiquer des informations scientifiques au public», a souligné Andrew Derocher, biologiste à l'Université de l'Alberta. «Dans notre système, ce qui compte, c'est le nombre de publications par année.»

Il ajoute que la crédibilité de la science est également mise à mal par les médias sociaux.

«Le scientifique n'obtient que la moitié de l'attention du public. Plus une personne blogue souvent, plus son message circule.»

Éviter le battage publicitaire

Brian Pratt, géologue à l'Université de la Saskatchewan, convient que les scientifiques devraient s'adresser au public, mais rappellent qu'ils doivent veiller à ne pas franchir les limites de ce que leurs recherches peuvent démontrer.

«Nous devrions promouvoir la science, mais en évitant le battage publicitaire», croit-il. «Si ça devient politisé, ce sera vraiment difficile.»

Helen Longino, professeure de philosophie des sciences à l'Université Stanford en Californie, reconnaît que les scientifiques ont évité les débats par le passé.

«Les scientifiques croient que leur crédibilité repose dans leur neutralité», observe-t-elle, en ajoutant que c'est une grave erreur de penser que cela les empêche d'aborder les enjeux actuels.

«C'est échouer à vivre pleinement son humanité que de croire qu'on n'est rien d'autre qu'un chercheur universitaire.»

Plus tôt cette année, 540 scientifiques ont demandé au gouvernement fédéral d'exiger que les entreprises révèlent davantage de détails sur les effets des produits chimiques contenus dans leurs produits.

«Les choses changent, a souligné John Smol. Certaines des choses qui se passent dans le monde nécessitent une intervention urgente.»