(Ottawa ) La Coalition avenir Québec a remporté une quinzaine de sièges de plus aux élections de lundi que lors du précédent scrutin en 2018. À Ottawa, cela importe peu. Dans la capitale fédérale, on calcule que François Legault n’a plus du tout le même rapport de force qu’il y a un an à peine.

Considéré comme l’acteur le plus influent de tous les premiers ministres des provinces en raison de sa popularité qui s’est maintenue pendant la majorité de son premier mandat, malgré une dure pandémie, M. Legault a perdu ce statut en jouant son va-tout l’automne dernier, tandis que la campagne fédérale battait son plein.

François Legault a alors multiplié les sorties pour faire trébucher les libéraux de Justin Trudeau au Québec. Il a invité les électeurs à rejeter le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique (NPD) – deux partis trop centralisateurs à ses yeux – et à appuyer le Parti conservateur.

Cet appel à la mobilisation contre les partis « centralisateurs » s’est avéré un immense coup d’épée dans l’eau. Les libéraux de Justin Trudeau ont remporté le même nombre de sièges au Québec (35), tout comme le Bloc québécois (32), le Parti conservateur (10) et le NPD (1).

« Je suis intervenu, je ne le regrette pas », avait dit le premier ministre du Québec au lendemain des élections fédérales. M. Legault s’était alors mis à additionner les suffrages obtenus par le Parti conservateur et le Bloc québécois pour dire que sa vision autonomiste du Québec recevait l’appui d’une majorité des électeurs.

À Ottawa, tous les partis politiques ont pris bonne note de l’influence somme toute limitée de François Legault sur les Québécois durant un scrutin fédéral.

Des leçons de l’Ontario

À l’inverse, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a opté pour la plus grande neutralité durant la campagne fédérale, au grand dam des conservateurs, alors dirigés par Erin O’Toole. Au fil du temps, M. Ford a réussi à tisser des liens étroits avec certains ministres du gouvernement Trudeau, en particulier la ministre des Finances, Chrystia Freeland.

Ces liens étroits ont donné lieu à des investissements historiques de la part du gouvernement fédéral et de l’Ontario dans le secteur de l’automobile pour accélérer la transition vers la fabrication de véhicules électriques. En quelques mois, des milliards de dollars d’investissements ont été annoncés par Doug Ford et son homologue fédéral, assurant la pérennité de cette industrie qui demeure d’une importance capitale pour l’économie de l’Ontario.

La stratégie a été payante. Aux élections provinciales de l’Ontario, en juin, les conservateurs de Doug Ford ont obtenu l’appui des grands syndicats – un geste sans précédent dans la province qui a eu pour effet de couper l’herbe sous le pied du NPD – et remporté un second mandat majoritaire.

Bien installé au pouvoir, Doug Ford s’est ainsi arrogé un rapport de force tout aussi considérable que celui que détenait auparavant François Legault.

Aujourd’hui, l’influence du premier ministre de l’Ontario est telle qu’il pourrait, s’il le souhaite, déterminer la couleur du prochain gouvernement à Ottawa. Justin Trudeau le sait. Le nouveau chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, en est aussi conscient. Il ne faudrait pas se surprendre de voir l’un et l’autre faire davantage la cour à Doug Ford qu’à François Legault au cours des prochains mois. L’Ontario, qui comptera 122 sièges à la Chambre des communes, sera plus que jamais au cœur de la prochaine bataille électorale.

Réélu, François Legault a sur sa table de travail des dossiers prioritaires qui nécessiteront la collaboration d’Ottawa : le financement des soins de santé, l’intégration des immigrants et l’avenir de la langue française, entre autres.

Dans le dossier des soins de santé, les provinces réclament une hausse substantielle des transferts fédéraux, soit 28 milliards de dollars par année. M. Legault a été aux premières loges de cette bataille. Mais il a affaibli sa position de négociation en promettant des baisses d’impôt aux contribuables s’il était reporté au pouvoir.

En matière d’immigration, M. Legault réclame plus de pouvoirs d’Ottawa. Mais il s’est aussi attiré les foudres durant la campagne électorale en faisant un lien maladroit entre l’immigration et la violence au Québec. Il a présenté des excuses dans les heures qui ont suivi ces propos controversés. Cela lui a valu une semonce de la part d’un ministre du gouvernement Trudeau – la seule de la campagne venant d’Ottawa. « C’est la première fois que je suis considéré comme une menace », a ironisé le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, qui est arrivé tout jeune avec sa famille au Québec en tant que réfugié de l’Argentine et qui a appris le français au Québec.

Des tensions de l’Alberta

À brève échéance, le gouvernement Trudeau aura d’autres chats à fouetter sur le front des relations fédérales-provinciales. L’Alberta risque de représenter un plus grand défi dans le dossier de l’unité nationale que le Québec si la candidate Danielle Smith remporte, comme prévu, la course à la direction du Parti conservateur uni de la province. Cette ancienne journaliste, qui tente un retour en politique, promet de faire adopter un projet de loi, la loi sur la souveraineté de l’Alberta, qui accorderait à la province le droit de se soustraire des lois fédérales qui iraient à l’encontre de ses intérêts.

Cette promesse a été dénoncée par plusieurs, y compris Jason Kenney, pour qui il s’agit d’une idée « stupide » qui ne passerait pas le test des tribunaux. La lieutenante-gouverneure de la province, Salma Lakhani, est sortie de sa réserve le mois dernier en indiquant que son bureau évaluerait la constitutionnalité de cette future loi avant de l’avaliser.

Qu’à cela ne tienne, Danielle Smith a fait savoir que le dépôt d’un tel projet de loi constituerait le tout premier geste qu’elle ferait si elle était élue à la tête du parti et devenait première ministre le 6 octobre.

Devant cette nouvelle dynamique, François Legault aura du mal à imposer sa liste d’épicerie dans les cercles du pouvoir à Ottawa.