Les adversaires politiques de François Legault dénoncent avec force les nouvelles déclarations du chef caquiste et de son ministre sortant Jean Boulet, sur l’immigration. Ces propos sont « irresponsables », « dommageables » et « dangereux » pour la société, ont-ils accusé. Paul St-Pierre Plamondon va plus loin en affirmant que le chef caquiste est en panique parce qu’il voit une érosion de ses appuis au profit du PQ.

« Je pense qu’il est en mode panique. Il voit les mêmes chiffres que de moi », a dénoncé le chef péquiste lors d’une mêlée de presse à Montréal. Il a rappelé qu’il y a quelques jours, François Legault « a déclaré qu’il ne fallait pas parler d’immigration parce que c’était un sujet trop délicat », et qu’aujourd’hui, il sort « un lapin de son chapeau », avec sa déclaration et en laissant entendre en entrevue à Radio-Canada qu’un référendum sur l’obtention de pouvoirs en immigration pourrait être envisagé, tout en affirmant qu’il n’était pas « rendu là ».

Le chef de la Coalition avec Québec (CAQ) a soutenu mercredi qu’il « serait un peu suicidaire » d’accueillir plus de 50 000 immigrants par année lors d’un discours devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Ces déclarations surviennent alors que les propos du ministre sortant de l’Immigration tenus lors d’un débat à Trois-Rivières refont surface.

Pour Paul St-Pierre Plamondon, ce sont des déclarations irresponsables et dommageables pour la société qui sont faites pour des raisons politiques. « J’ai de la difficulté à croire qu’à chaque fois, ce sont des accidents. […] C’est une façon d’essayer de faire oublier la pauvreté de leur programme, la pauvreté de leur bilan, et de ce qu’ils ont à proposer en matière de langue française », a-t-il dénoncé.

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Le chef du Parti québécois Paul St-Pierre Plamondon

« Ça fait plusieurs déclarations irresponsables de la CAQ sur ce sujet-là. On se souviendra du lien entre la violence et l’immigration. […] Sur le fond, sur l’avenir de la langue française, sur la capacité d’intégration, c’est très, très faible, la proposition de la CAQ. Et c’est comme si la CAQ tente de faire oublier la faiblesse de ce qu’ils ont à dire sur ce sujet, par des déclarations irresponsables qui vont faire la une, mais pas pour de bonnes raisons », a affirmé M. St-Pierre Plamondon lors d’une conférence de presse dans l’est de Montréal.

Il affirme que son parti politique est capable de proposer une baisse des seuils d’immigration, mais à en parler de façon responsable.

Un choix délibéré, selon Anglade

Dominique Anglade devait mercredi matin à Québec tenir un point de presse sur la pénurie de main-d’œuvre, mais les propos tenus à la fois par François Legault et Jean Boulet ont bousculé les plans de la cheffe libérale, visiblement ébranlée.

« Un moment donné, ça fait, les excuses. C’est aussi de réfléchir aux propos que tu dois tenir dans le cadre d’une campagne électorale », a tonné la cheffe du Parti libéral du Québec. « Quand on est rendu à avoir utilisé tous ces mots-là, ce n’est plus des erreurs, c’est un choix délibéré que [François Legault] fait. Il fait délibérément le choix de la fermeture, du choix de la division, parce que ça le sert politiquement ».

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Gabriel Nadeau-Dubois

Gabriel Nadeau-Dubois était bouche bée lorsqu’il a pris connaissance des propos du chef caquiste. « Je ne sais même pas par où commencer… C’est quoi, le suicide ? Le suicide, c’est se donner la mort. Accueillir des gens au Québec, ça nous mène à la mort de la nation québécoise ? C’est ça qu’il dit, le premier ministre sortant du Québec ? […] Ce n’est pas juste exagéré, rendu là, c’est insignifiant », a-t-il lancé.

« À la CAQ, l’exemple vient de haut. Quand le premier ministre passe une campagne électorale à casser du sucre sur le dos des immigrants, est-ce qu’il faut se surprendre qu’un de ses ministres s’engage dans la voie qu’a ouverte le premier ministre ? », a ajouté le chef parlementaire de Québec solidaire.

Dominique Anglade accuse son adversaire caquiste de diviser les Québécois sur la question de l’immigration. L’utilisation du mot « suicidaire » la renverse.

« Après les deux jours qu’on vient de passer à parler d’Amélie Champagne, je trouve le mot particulièrement mal choisi avec un manque flagrant d’empathie », a-t-elle dit. Elle faisait référence à la mort tragique de la jeune femme, qui s’est enlevé la vie après avoir été échappée par le système de santé, selon son père.

Des propos « qui font mal »

Dominique Anglade, qui est elle-même fille d’immigrants, déplore que ce genre de propos « font mal » à ceux qui ont choisi le Québec comme terre d’accueil.

« Ils font mal parce qu’on est en train de dire à des gens, à des enfants d’immigrants, à des immigrants de plusieurs générations… À toutes ces personnes-là, on est en train de leur dire que finalement, la personne que tu es, elle ne fitte pas au Québec. C’est ça qu’on est en train d’envoyer comme message, c’est ça qui fait mal », a-t-elle expliqué devant les journalistes.

M. Nadeau-Dubois abonde dans le même sens : « Derrière les débats sur les seuils [d’immigration], il y a des gens en chair et en os. Il y a des familles. Il y a des femmes, des hommes et des enfants qui ont choisi le Québec, qui ont parfois de la misère à arriver, qui vivent avec de l’insécurité. Quand des politiciens alimentent volontairement ou involontairement des préjugés envers ces gens-là, ça a des conséquences dans la vie de ce monde-là », a-t-il lancé.

« Drôles de signaux », dit Duhaime

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Éric Duhaime

« Ce n’est pas la première fois que la CAQ envoie des drôles de signaux », a quant à lui réagi le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime. Il estime que M. Boulet a « véhiculé des préjugés » et des faussetés sur les immigrants. « Ça le disqualifie certainement pour être ministre de l’Immigration », a-t-il ajouté.

Quant aux propos de son adversaire caquiste François Legault, le chef conservateur n’a pas manqué de rappeler que le Québec a accueilli 70 000 immigrants sous la gouverne de la CAQ. « Est-ce que la CAQ a des politiques “suicidaires” en matière d’immigration ? Je ne pense pas. Je ne l’accuse pas de ça, mais la CAQ semble être en train de s’autoaccuser. »

Dans sa plateforme électorale, le PCQ ne fixe pas de cibles d’immigration, mais Éric Duhaime se dit à l’aise avec celle de 50 000 préconisée par la CAQ. « La guerre de chiffres, elle est un peu ridicule, a-t-il expliqué. S’il y a 50 000 immigrants qui ne travaillent pas, qui ne parlent pas français, évidemment que c’est un problème. S’il en a 60 000 qui parlent français et qui s’intègrent, c’est quoi le problème ? »

Il fait également une distinction entre l’immigration régulière ou irrégulière, qu’il qualifie plutôt d’« illégale ». La veille, il n’avait pas exclu la construction d’un mur à la frontière entre le Canada et les États-Unis pour empêcher les demandeurs d’asile d’entrer au Canada par le chemin Roxham.

Une fausse idée, martèle une experte

La politologue spécialisée en immigration de l’Université Concordia, Mireille Paquet, a aussi dénoncé les propos du ministre Boulet, mercredi. « Ça soutient une idée comme quoi les immigrants ne veulent pas travailler, alors que dans bien des cas, ils ne peuvent pas malgré leur désir de faire. Les délais de traitement pour l’émission de permis de travail sont encore très longs », a-t-elle rappelé. À Montréal, la mairesse Valérie Plante a aussi affirmé que M. Boulet « devait retirer ses propos, qui vont à l’encontre de tous nos efforts pour intégrer les nouveaux arrivants ». « Montréal est une terre d’accueil pour les immigrants, qui contribuent à la vitalité économique, sociale et culturelle et au dynamisme du français », a-t-elle dit.

Henri Ouellette-Vézina, La Presse