Ils aspirent à être élus premier ministre du Québec, le 3 octobre prochain. Au cours des prochains jours, les chefs des cinq principaux partis répondront aux questions de nos journalistes.

La façon de penser la politique est encore « très traditionnelle » et « masculine » aux yeux de Dominique Anglade. À l’approche du scrutin, la leader libérale joue plus que jamais la carte féminine pour se distinguer de ses adversaires. Elle veut parler moins du troisième lien et plus de la charge mentale des femmes.

« Selon vous, lequel a le plus d’impacts ? Lequel, si on était capable de le régler, changerait drastiquement les choses pour le Québec ? Je pense que de poser la question, c’est y répondre », lance la cheffe du Parti libéral du Québec (PLQ) dans une entrevue accordée à l’équipe éditoriale de La Presse, lundi.

« Pour moi, ce n’est pas jouer une carte », rétorque-t-elle. « C’est faire de la politique à ma manière » avec un « leadership au féminin » qui viendrait « teinter » les politiques publiques d’un gouvernement Anglade. Elle cite la « charge mentale » comme sujet « qu’on n’a pas l’habitude d’aborder » encore aujourd’hui.

Elle l’a fait une première fois lors du dernier débat des chefs.

Depuis la mi-campagne, Dominique Anglade a opté pour un style plus décontracté, voulant faire connaître la « vraie Dominique ». Elle courtise aussi plus ouvertement l’électorat féminin en s’adressant à lui et en parlant de ses expériences personnelles.

La campagne publicitaire de la dernière ligne droite de sa campagne n’y échappe pas. Le slogan, « Tu votes libéral ? Oui, madame ! », n’est pas sans rappeler le jour du déclenchement des élections lorsque François Legault avait refusé de la nommer en l’appelant « cette madame ».

Celle qui a pris les commandes du PLQ en 2020 n’en démord pas : les femmes sont les plus affectées par la pandémie et la pénurie de main-d’œuvre, qui touche des secteurs traditionnellement plus féminins comme l’éducation et la santé.

La crise de la main-d’œuvre est d’ailleurs au cœur de sa campagne.

Elle accuse son adversaire caquiste de ne pas la reconnaître et de manquer de « considération » envers les femmes.

« Ce qu’on vit aujourd’hui, c’est un recul. Je sais que François Legault n’aime pas ça quand je dis ça, mais ce n’est pas mon problème », décoche-t-elle.

« C’est difficile [pour les femmes] au travail parce que tu compenses pour le manque de personnel, tu rentres à la maison et c’est peut-être difficile parce que tes enfants n’ont pas [accès] aux services nécessaires pour leur apprentissage… Tu as une charge mentale qui est énorme », illustre Dominique Anglade.

Mais ce sont des enjeux qui ne sont pas assez mis de l’avant pendant la campagne électorale. Dominique Anglade, seule candidate en lice pour le poste de premier ministre parmi les principaux partis, déplore du même coup que la politique soit encore pensée de façon « très traditionnelle » et « masculine ».

Elle cite en exemple justement le traitement de la crise de la main-d’œuvre qu’il faut voir comme un enjeu pas seulement économique, mais « social ».

Elle revient sur les effets de la pénurie sur les secteurs de l’éducation, de la santé et du communautaire, qui sont « largement portés par des femmes ».

Plus tôt en journée, elle faisait valoir lors d’un point de presse en compagnie de ses candidates Madwa-Nika Cadet et Filomena Rotiroti que les femmes tenaient « à bout de bras le filet social » du Québec. Elle mettrait l’accent sur cette question de façon « majeure » dans les 100 premiers jours d’un gouvernement libéral.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Dominique Anglade répondant aux questions de l’équipe éditoriale de La Presse

Depuis le début de la campagne, Dominique Anglade oppose d’ailleurs son style de leadership, qu’elle qualifie de collaboratif et d’inclusif, à celui de François Legault. « C’est radicalement différent », lance-t-elle.

« Quand j’ai commencé à travailler, j’étais quatre fois une minorité : une jeune fille francophone noire dans un milieu complètement différent. Je sais ce que c’est de faire en sorte que chaque personne autour de la table soit capable d’avoir une voix et qu’on entende cette voix-là », plaide la cheffe de 48 ans.

Encore des « éléments d’un boys club »

Première femme à devenir cheffe du PLQ et première femme noire à diriger une formation politique au Québec, Dominique Anglade constate qu’il y a encore « des éléments d’un boys club » en politique comme dans « tous les domaines d’activité », d’ailleurs, prend-elle le soin de nuancer.

Elle pense sur-le-champ à une question d’un journaliste après sa performance au débat de Radio-Canada. « On me dit : “Madame Anglade, ils étaient où, vos gants de boxe ?” Comment ? […] Pourquoi on est obligé de regarder la politique sous l’angle de la combativité, sur celui qui donne la meilleure clip, le meilleur coup ? », demande-t-elle.

Ses quelques pas de danse filmés avant le débat et diffusés sur les réseaux sociaux ont aussi suscité des réactions partagées.

« Globalement, [c’était] super positif », souligne-t-elle. Mais il y a eu une réaction « plus traditionnelle » qui lui a fait penser à la controverse autour de la danse de la première ministre finlandaise, Sanna Marin. « Ce sont ces mentalités-là qu’on doit changer », lance-t-elle.

Dominique Anglade hésite lorsqu’on lui demande si le fait de jouer la carte du leadership au féminin n’est pas à double tranchant. « Peut-être, peut-être pas », dit-elle, rétorquant qu’elle s’assume davantage avec l’âge.

« Ce n’est pas juste de dire que je suis une femme et que je suis noire. C’est de dire que, par ce que j’ai vécu, je sais ce que c’est. Je sais ce que c’est, moi, aller négocier mon salaire en sachant que c’est moi qui vais faire le moins d’argent et de me dire qu’il faut que je trouve une manière de négocier pour que ça marche, mon affaire. »

« Mot commençant par un N » au Face-à-Face

« Ce n’était tellement pas nécessaire », affirme Dominique Anglade. La cheffe libérale ne s’était pas encore exprimée sur l’utilisation du « mot commençant par un N » lors du Face-à-Face de TVA. Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a talonné son adversaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, pour qu’il nomme le titre du livre de Pierre Vallières. Une manœuvre inutile aux yeux de la leader libérale : « Je suis pour qu’on soit capable de dire n’importe quel mot de la langue française, je n’ai aucun enjeu avec ça. Mais il y a des mots qui sont chargés, qui ont une connotation, et est-ce qu’on peut avoir le cadre nécessaire ? À la télévision devant plus d’un million de personnes qui regardent ? » Mme Anglade estime que M. St-Pierre Plamondon a manqué de sensibilité. « Certainement, et au-delà de ça. Ça ne fait aucunement avancer le débat. “Moi, je suis capable de le dire, toi, es-tu capable de le dire ?” Come on ! Sérieusement ? »

Immigration : la moitié aux régions

Dominique Anglade commence à préciser les pourtours de son plan de régionalisation de l’immigration, un pan important de sa Charte des régions. Elle vise que la moitié des immigrants accueillis annuellement au Québec choisissent les régions, sans préciser d’échéancier pour y arriver. Pour l’heure, seulement 27 % des nouveaux arrivants s’établissent à l’extérieur de la grande région métropolitaine. Le PLQ veut accueillir 70 000 immigrants lors de la première année d’un mandat, puis chaque région déterminerait ses besoins et sa capacité d’intégration. « Je ne suis pas en confrontation avec nos villes et nos régions, je veux travailler avec les villes, je ne veux pas me pogner avec la mairesse de Montréal, m’engueuler avec le maire de Québec. Je veux m’asseoir avec eux et voir comment on peut [leur] donner plus de moyens », fait-elle valoir. La CAQ promet de limiter les seuils d’immigration à 50 000.