(Montréal) Sur la défensive pendant la majeure partie de la soirée, François Legault a fait de Gabriel Nadeau-Dubois sa principale cible lors du deuxième et dernier débat des chefs jeudi, l’accusant de vivre au « pays des merveilles ». Le co-porte-parole de Québec solidaire lui a reproché de « sortir les décorations d’Halloween » pour « faire peur au monde ». Paul St-Pierre Plamondon a fait mouche dans des attaques contre M. Legault, alors que Dominique Anglade a fait sortir de ses gonds le chef caquiste.

La joute diffusée sur les ondes de Radio-Canada s’est déroulée sans cacophonie. Les chefs ont été disciplinés en général. La formule a permis d’aller un peu plus en profondeur dans les enjeux et de mettre en relief les différences entre les visions des cinq partis.

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C’est une évidence : François Legault s’était donné pour objectif de détricoter des promesses de Gabriel Nadeau-Dubois. Dès le lever de rideau sur l’environnement, puis dans chacun des thèmes, il s’en est pris directement au co-porte-parole de Québec solidaire, qui n’a pas manqué de répartie par ailleurs. « Les Québécois ont le droit de savoir » les impacts réels des promesses solidaires, a-t-il martelé, accusant son adversaire d’être irréaliste et de vivre au « pays des merveilles ». « Arrêtez de sortir les décorations d’Halloween, arrêtez de faire peur au monde ! » a répliqué à deux reprises Gabriel Nadeau-Dubois.

François Legault a peu amélioré son langage non verbal par rapport au Face-à-face de la semaine dernière. Il a continué de faire la moue et n’avait pas le sourire facile.

Dominique Anglade a pris plus de place par rapport à la joute de la semaine dernière. Elle a regardé directement la caméra, de façon quasi systématique, pour s’adresser aux téléspectateurs. Elle a consacré plus de temps à présenter ses engagements, parvenant tout de même à décocher quelques flèches en direction de François Legault. Le chef caquiste a mal paru en tentant de l’interrompre à un certain moment : « laissez-la parler ! » a ordonné l’animateur Patrice Roy. Seule femme au débat, elle a joué la carte féminine : on l’a entendue désigner ses rivaux en parlant de « tous ces messieurs ».

Le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon a gardé un ton posé, y compris lorsqu’il s’attaquait les propositions de ses adversaires, à l’image de son style depuis le début de la campagne. Cela ne l’a pas empêché de viser juste à quelques reprises dans des salves contre François Legault. De façon plutôt inusitée, on l’a vu faire équipe avec Gabriel Nadeau-Dubois pour s’en prendre au chef caquiste-en environnement, en santé et en éducation.

De son côté, le chef conservateur Éric Duhaime a été plus effacé par rapport à la semaine dernière. Il a retenu l’attention avec ses sorties en faveur du privé en santé et au moment de son accrochage avec François Legault sur la gestion de la pandémie, par exemple.

Échanges corsés sur l’environnement

En environnement, François Legault est immédiatement passé à l’attaque et a pourfendu les « taxes orange » de Québec solidaire qui visent selon lui les familles souhaitant s’acheter des minifourgonnettes ou des VUS. Il estime que le plan environnemental du parti de Gabriel Nadeau-Dubois relève de la « magie » et du « pays des merveilles ».

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Mais cette attaque s’est rapidement retournée contre lui. M. Nadeau-Dubois a rétorqué que le premier ministre sortant passe tout son temps à critiquer les autres partis plutôt que « d’inspirer ».

« Vous devriez ranger les décorations d’Halloween un petit peu, arrêter de faire peur aux gens. Vous devriez inspirer les Québécois, proposer des solutions […] Au lieu d’encourager les Québécois et Québécoises avec un projet positif, vous voyez tout le temps que vous prenez ce soir pour attaquer Québec solidaire au lieu de proposer un projet positif », a dénoncé le chef parlementaire de QS, Gabriel Nadeau-Dubois.

Au dernier débat, la semaine passée vous avez accusé M. Duhaime d’avoir tiré dans la chaloupe durant la pandémie. Bien en environnement, c’est exactement ça que vous faites.

Gabriel Nadeau Dubois

À l’inverse, Paul St-Pierre Plamondon, Dominique Anglade, Gabriel Nadeau-Dubois ont présenté leur plan. « Au fond de vous, la lutte aux changements climatiques, ça ne vous habite pas », a dénoncé Dominique Anglade.

Le chef péquiste s’en est aussi pris au projet fétiche de la CAQ dans la région de Québec, le tunnel autoroutier entre Québec et Lévis. « Il y a deux partis sur cinq qui ont déposé un plan complet chiffré sur le plan des GES [Le PQ et QS]. Ce n’est pas le gouvernement, qui pourtant avait 28 millions de dollars pour des études qu’on n’a jamais vus sur le troisième lien », a-t-il dit.

Sur cette question, M. Legault a encore une fois été écartelé entre la gauche et la droite. Il est critiqué par le chef péquiste parce qu’il mise sur ce projet sans étude, « Ça vous dit à quel point les décisions de la CAQ sont peu fondées sur l’intérêt public », davantage sur un intérêt « électoraliste », a déploré M. St-Pierre Plamondon. Et Éric Duhaime l’accuse de faire piétiner ce projet en privilégiant le tramway de Québec, que le Parti conservateur veut annuler. « Il y a 30 % de moins d’usagers dans les autobus de Québec en ce moment. Allez-vous mettre le projet de tramway sur la glace en attendant le renouvellement des études, ou si ça, ce n’est pas pareil parce que le tramway vous êtes pour ? », a dénoncé M. Duhaime.

Le chef caquiste a bien tenté de parler de son projet énergétique de construire de nouvelles centrales hydroélectriques pour voguer vers la carboneutralité en 2050. « C’est mathématique, c’est impossible avec l’efficacité énergétique et l’éolien », a plaidé M. Legault. « Des barrages, ça peut être nécessaire, mais ce n’est pas démontré pour l’instant. Mais ça ne doit pas être un substitut à un plan en matière de changements climatiques, et c’est ça que M. Legault essaie de faire », a répliqué Paul St-Pierre Plamondon.

« Pays des merveilles »

François Legault est revenu à la charge contre Gabriel Nadeau-Dubois sur le thème de l’économie : selon lui, le co-porte-parole de Québec solidaire vit « au pays des merveilles ». Le chef caquiste critique entre autres ce qu’il surnomme la « taxe orange », soit la surtaxe que le parti de gauche propose sur certains véhicules « ultrapolluants ».

Le chef de la Coalition avenir Québec a également demandé à son adversaire solidaire quels secteurs de l’économie il veut voir décroître, afin de réduire plus rapidement les émissions de gaz à effet de serre. « On n’est plus en 1994. La nouvelle économie, c’est l’économie verte. […] Arrêtez de faire peur au monde », a répliqué M. Nadeau-Dubois.

Pour aider les Québécois à faire face à l’inflation, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, s’en est pris aux pétrolières. Son parti propose de taxer leurs « surprofits », alors qu’il estime que l’industrie s’apparente à un cartel. Cet engagement a provoqué des échanges corsés avec le chef de la CAQ. « Si on taxe les pétrolières, ils vont répercuter ça aux consommateurs. Comment ça se fait qu’il ne comprend pas ça ? », a tonné François Legault.

Selon le caquiste, le Québec doit créer plus d’emplois mieux rémunérés afin d’aider les Québécois à faire face à l’inflation. Dominique Anglade estime pour sa part que l’angle mort du gouvernement sortant est la pénurie de main-d’œuvre. En réduisant l’immigration depuis 2018, a-t-elle suggéré, la CAQ est également responsable d’avoir aggravé le manque d’employés dans plusieurs secteurs.

Éric Duhaime du Parti conservateur a pour sa part reproché à son vis-à-vis caquiste d’hypothéquer l’avenir des jeunes en promettant de réduire les versements au Fonds des générations. Il a aussi réclamé au chef de la CAQ de réduire la taxe sur l’essence, afin de donner un souffle aux automobilistes. « On aime mieux donner un montant de 400 à 600 $ et laisser la liberté aux gens. Ça vous dit-tu quelque chose, ça, la liberté ? », a répliqué M. Legault.

En matière de baisses d’impôts, Paul St-Pierre Plamondon a critiqué ses adversaires qui proposent de réduire les revenus de l’État. « C’est un aller simple vers l’austérité », a-t-il dit.

Pandémie : collision Legault-Duhaime

C’est à nouveau le sujet de la pandémie qui a provoqué des flammèches entre François Legault et Éric Duhaime. Le chef caquiste est passé à l’attaque en accusant son adversaire conservateur d’avoir « joué le rôle d’agitateur » au cours des deux dernières années.

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Le chef du Parti conservateur, Éric Duhaime

« Il a profité de la souffrance des gens au Québec, il pense que ce n’est pas vrai qu’il y a eu moins de décès au Québec, franchement ! C’est irresponsable la façon dont a agi M. Duhaime. Je veux que les Québécois le sachant », a lancé le chef caquiste déviant du thème de la santé mentale.

Ce que lui a été reproché par le chef du Parti conservateur : « On parle de la santé mentale […] vous tombez là-dedans ? Vous n’êtes pas capable d’admettre qu’il y a eu des impacts à votre confinement, vous n’êtes pas capable d’admettre que ce sont les enfants du Québec qui souffrent à cause de vos décisions », a répliqué Éric Duhaime.

François Legault y est allé d’une deuxième salve en demandant à son adversaire combien d’aînés est-il prêt « à sacrifier » en s’opposant aux consignes sanitaires. « Deux fois plus d’aînés, trois fois plus d’aînés ? », a décoché le chef caquiste. « Je ne descendrais pas aussi bas », a lâché M. Duhaime.

Le chef de la CAQ a aussi prêté flanc à la critique avec son coûteux projet de maisons des aînés que tous ses adversaires abandonneraient.

Éric Duhaime a évoqué les « chanceux de la loterie » de ce nouveau modèle d’hébergement. « Je n’accepte pas que la génération qui a construit le Québec ait peur de vieillir », a renchéri Gabriel Nadeau-Dubois. Les chefs ont tous promis d’opérer un vaste virage vers les soins à domicile.

« La meilleure maison, c’est la vôtre », a habilement résumé la cheffe libérale.

La place du privé en santé s’est aussi invitée dans ce deuxième affrontement alors que les visions de la CAQ et du Parti conservateur s’opposent à celle du Parti québécois et de Québec solidaire.

« Si le privé en santé fonctionnait, on le saurait », a répété Gabriel Nadeau-Dubois en pointant François Legault et Éric Duhaime. « Si le monopole marchait, on le saurait aussi », a soufflé le chef conservateur.

François Legault s’en est pris à Gabriel Nadeau-Dubois sur ce front : « Les dizaines de milliers de personnes qui se sont fait opérer au privé pendant la pandémie, gratuitement, qu’est-ce que vous leur dites ? Que ce n’était pas une bonne idée parce que ce n’est pas votre idéologie ? », a-t-il lancé. M. Nadeau-Dubois a rappelé le caractère sans précédent de la crise sanitaire et qu’il était d’accord d’avoir un « recours temporaire et limité au privé ».

« Laissez-la parler ! »

Les échanges se sont corsés entre François Legault et Dominique Anglade sur l’enjeu des garderies. « M. Legault sous votre gouverne, il y a eu un recul pour les femmes, un recul important… », a accusé la cheffe libérale, avant de se faire interrompre par son adversaire caquiste. Il a rapidement été rappelé à l’ordre par l’animateur Patrice Roy. « Laissez-la parler », a-t-il répété deux fois.

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La cheffe du Parti libéral Dominique Anglade lors d’un échange avec François Legault

« Non, mais c’est sérieux, cet enjeu M. Legault, a insisté Mme Anglade. C’est sérieux ! » Elle a rappelé que des femmes ne pouvaient pas retourner sur le marché du travail faute de place en garderie. Le Parti libéral veut en faire un droit « de la même manière qu’on a droit à l’éducation. »

« Je sais qu’elle aime ça sortir cette phrase-là », a répondu le chef caquiste lorsque l’animateur lui a accordé le droit de parole, avant de répéter le reproche que venait de lui faire son adversaire libérale. « C’est le contraire, s’est-il défendu. On a augmenté les salaires des enseignantes, des éducatrices, des préposées de 15 % et les garderies quand vous avez quitter le pouvoir en 2018, il y a en avait autant de places manquantes. »

Il a ensuite rappelé la bureaucratie qui avait été imposée l’ex-ministre Tony Tomassi.

« Vous avez créé une histoire de maison de fous, s’est-il exclamé. À cause de Tony Tomassi, il y avait 12 étapes avant d’ouvrir une place en garderie. »

Mme Anglade a rétorqué que la situation s’est détériorée durant le mandat caquiste.

St-Pierre Plamondon passe à l’attaque

En matière de défense de la langue française et d’immigration, Paul St-Pierre Plamondon est passé à l’attaque.

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Le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon

« Je ne suis pas un climatosceptique de la langue », a-t-il dit à François Legault. Selon lui, le chef de la CAQ est responsable de l’accélération du déclin du français au Québec, puisque la loi 96, qui réforme la Charte de la langue française, ne va pas assez loin à ses yeux. Le chef péquiste voudrait qu’elle s’applique entre autres au niveau collégial, pour que les francophones et les allophones soient exclus des cégeps publics anglophones.

M. St-Pierre Plamondon est également le chef qui propose que le Québec accueille le moins d’immigrants par année, avec un seuil de 35 000. « Arrêtons ces chicanes de chiffres. […] Donnons un mandat à un comité d’experts de tracer la ligne », a répliqué Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire, qui voudrait que la province en accueille entre 60 000 et 80 000. La cheffe libérale Dominique Anglade vise pour sa part une cible de 70 000.

Mme Anglade a déploré jeudi que le gouvernement sortant de la CAQ divise selon elle les Québécois sur les questions linguistiques et d’immigration. « On est 8,6 millions de Québécois, on est capable de se rassembler et de faire en sorte qu’on protège la langue française », a-t-elle dit.

La cheffe libérale s’oppose également à la loi 21 adoptée par François Legault sur la laïcité. À ce sujet, François Legault estime que la loi « a apaisé le peuple québécois ». Éric Duhaime du Parti conservateur l’appuie pour cette mesure législative.

« C’est qui, le peuple québécois ? C’est quoi être un Québécois aujourd’hui ? », a demandé Mme Anglade à François Legault. « Tous ceux qui vivent au Québec », a-t-il répondu.

« Il y a bien des gens qui vivent au Québec qui ne pensent pas que ça a apaisé les choses », a ajouté la cheffe libérale. Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire est d’accord. Il estime aussi que le débat n’est pas clos, rappelant que loi est contestée devant les tribunaux.

Concernant la souveraineté, M. St-Pierre Plamondon a également affirmé que le projet de François Legault est « d’éteindre l’indépendance du Québec. Le mien, c’est de le relancer. »