« Mettez-vous sur la camomille ! » C’est le conseil qu’avait donné le stratège Jacques Wilkins à Bernard Landry lors des élections de 2003. Une réplique immortalisée dans le documentaire À hauteur d’homme de Jean-Claude Labrecque, cette incursion inédite dans les coulisses d’une campagne électorale.

Le principe était simple : éviter les dérapages, ne pas faire de vagues, mener une campagne peinarde et espérer ainsi garder le pouvoir.

Les adjoints du chef péquiste ne s’en cachaient même pas. C’était une campagne « camomille », de leur propre aveu. Ils ont constaté au bout d’une trentaine de jours le danger d’une surdose.

Presque 20 ans plus tard, le souvenir de cette expression revient en tête en constatant l’allure de la campagne de François Legault. Une nuance : on n’est pas rendu au point de demander au chef caquiste s’il fait la sieste !

Après avoir fermé la porte à un jour férié pour les funérailles de la reine Élisabeth II — contrairement à Ottawa —, François Legault s’est offert un quasi-congé lundi. « Par respect » pour la défunte, a-t-il soutenu. Il s’est limité à un point de presse en début d’après-midi. Sa journée de campagne s’est terminée bien avant l’heure du thé.

Pour les journalistes qui sont passés de la caravane libérale à celle de la Coalition avenir Québec (CAQ) après le Face-à-Face de jeudi, le contraste est saisissant. Ce n’est pas du tout le même rythme. Bien sûr, la situation des deux partis est différente, mais François Legault donne l’impression de se laisser porter par l’élan des sondages.

La campagne du chef caquiste se déroule dans un environnement contrôlé. On prend peu de risques. Certes, il peut y avoir deux points de presse par jour — ce que Dominique Anglade fait parfois également. Mais on n’est plus à l’époque des longs exercices devant les journalistes. On parle aujourd’hui d’opérations de 15 ou 20 minutes. La CAQ utilise une formule plus expéditive, le scrum, comme on le dit dans le milieu.

C’est comme si l’on cherchait à protéger François Legault contre lui-même, exactement comme dans le cas de Bernard Landry en 2003. Ça peut se comprendre : les controverses de la campagne caquiste sont le fruit de déclarations de M. Legault — sur l’immigration, les Autochtones et le troisième lien, par exemple.

Les caquistes doivent se faire la même réflexion que l’attaché de presse de M. Landry en 2003. « Les journalistes attendent juste que vous pétiez ! », lançait Hubert Bolduc – aujourd’hui à la tête d’Investissement Québec International à la suite d’une nomination du gouvernement Legault.

Note aux néophytes : les politiciens croient en général qu’ils perdent à cause des journalistes et qu’ils gagnent malgré les journalistes. On s’y habitue. Et on n’aime pas moins la politique et ses acteurs pour autant.

Troisième lien

Le chef caquiste ne prend pas de bain de foule. C’est une poignée d’électeurs — bien souvent des caquistes — qu’il rencontre lors de petits arrêts sympathiques. Dans une crèmerie, par exemple. Pour reprendre une expression associée aux réseaux sociaux, François Legault reste dans une chambre d’écho.

Le chef caquiste est mal à l’aise lorsque la discussion avec des citoyens va plus loin que les formules d’usage.

Quand Hugo d’Astous, de la distillerie Ubald, a déploré que le gouvernement finance des distilleries québécoises qui achètent leur alcool en Ontario, François Legault lui a donné une réponse étonnante : « Ça n’a pas de bon sens, OK. Mais dites-moi donc une chose, je vais changer un petit peu le sujet : le vin. […] Y aurait-tu moyen, si on mettait de l’argent du gouvernement, d’avoir plus de production de vignes pour le vin ? » La réplique ne s’est pas fait attendre : « Moi, je vais vous ramener aux spiritueux. » M. d’Astous a eu un aperçu du quotidien d’un journaliste…

En campagne, ce que font les chefs est aussi important que ce qu’ils disent. Ainsi, le jour où François Legault a parlé de Gabriel Nadeau-Dubois comme de son principal adversaire, il visitait deux circonscriptions de la grande région de Québec où son concurrent est… le Parti conservateur !

Après avoir reproché en boutade aux journalistes de le relancer sans cesse au sujet du troisième lien, François Legault est allé à la rencontre du maire de Lévis, Gilles Lehouillier, l’invitant de façon peu subtile à dire devant les caméras tout le bien qu’il pense de son projet de tunnel.

Il y a une forme de tabou autour de ce projet à la CAQ. Sa candidate dans Rimouski, Maïté Blanchette-Vézina, a refusé de répondre aux questions sur le sujet. Elle disait aux médias locaux que les citoyens ne lui en parlent pas. Pourtant, l’un des arguments de la CAQ, c’est que le projet est attendu même dans l’est du Québec.

Quand François Legault martèle son refus de dévoiler les études concernant le troisième lien, un autre souvenir de 2003 remonte à la surface.

Talonné par Jean Charest au sujet de sa promesse de semaine de quatre jours, Bernard Landry lui avait envoyé par FedEx une boîte d’études sur la conciliation travail-famille pour tenter de prouver que son engagement n’était pas improvisé.

François Legault aura-t-il son moment FedEx d’ici le 3 octobre ?