(Québec) Le chef conservateur, Éric Duhaime, s’engage à mettre sur pied un registre public des délinquants sexuels dans la première année de mandat s’il forme un gouvernement. Or, selon des correspondances obtenues par La Presse, le gouvernement Legault a déjà tenté l’an dernier d’obtenir les informations nécessaires à la création d’un tel outil, mais il s’est heurté à un refus net du gouvernement Trudeau.

Le chef du Parti conservateur du Québec a annoncé son engagement lundi devant l’hôtel du Parlement, en compagnie de l’avocat Marc Bellemare et de Sophie Dupont, une femme qui milite depuis près de 20 ans. Elle a créé son propre registre sur Facebook à partir des informations diffusées dans les médias sur des délinquants sexuels libérés après avoir purgé leur peine.

« Il y a quatre ans presque jour pour jour, on m’a fait la promesse ici que, dans un premier mandat, on mettrait un registre public des délinquants sexuels à portée de main pour les familles, a-t-elle rappelé. Aujourd’hui, je suis déçue. »

Lors de la dernière campagne électorale, le chef caquiste, François Legault, et la candidate dans Louis-Hébert, Geneviève Guilbault, avaient promis de créer un registre public des délinquants sexuels. Il n’a finalement jamais vu le jour une fois que la CAQ a formé le gouvernement.

« De toute évidence, le gouvernement a renié son engagement », a constaté Éric Duhaime. Il promet de créer un registre public qui pourrait être consulté par la population en quelques clics de souris. « Qu’on puisse comme personne savoir qui sont les parents des enfants chez qui notre fille va garder, qui sont les personnes qui nous entourent », a expliqué MBellemare.

« On a regardé effectivement pour le faire, a reconnu M. Legault. Ça pose des défis juridiques à cause de la protection des données personnelles. Donc ce n’est pas aussi simple que le dit M. Duhaime. »

La Sûreté du Québec administre déjà un registre des délinquants sexuels au Québec, mais ses données ne sont pas publiques et ne contiennent pas celles des criminels incarcérés dans des pénitenciers (qui sont fédéraux).

Demande d’accès aux données fédérales

Selon des correspondances obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, c’est le 16 avril 2021 que la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, a écrit à son homologue fédéral de l’époque, Bill Blair, pour lui demander son aide.

« Le gouvernement du Québec explore la possibilité de mettre sur pied une plateforme numérique d’information publique permettant aux citoyens d’être informés de la présence de délinquants sexuels jugés à haut risque de récidive dans leur collectivité », écrivait-elle, en soulignant que les autorités québécoises alimentent déjà le Registre national des délinquants sexuels (RNDS), un outil réservé aux corps de police.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique du Québec

Mme Guilbault expliquait au ministre Blair que les informations du RNDS étaient nécessaires pour que Québec mette sur pied son propre registre et l’alimente « adéquatement ». Selon les travaux déjà réalisés par le gouvernement de la CAQ, la collaboration du Service correctionnel du Canada et de la Commission des libérations conditionnelles du Canada s’avérait « essentielle ». La ministre demandait donc que M. Blair lui transmette les coordonnées de responsables au sein des deux organismes fédéraux qui pourraient aider le gouvernement du Québec pour son projet.

Dans sa réponse, envoyée plusieurs semaines plus tard, le ministre fédéral refuse toute assistance au gouvernement québécois.

« Il existe des mécanismes en place pour informer le public lorsqu’un délinquant à risque élevé revient dans sa collectivité », dit M. Blair, sans préciser lesquels. Il ajoute que la police locale est toujours avisée par les autorités fédérales lorsqu’un délinquant sexuel jugé dangereux est remis en liberté. Les données du RNDS doivent servir à prévenir les crimes et enquêter à leur sujet, ajoute-t-il.

« Par conséquent, seuls les services policiers peuvent avoir accès à la base de données du RNDS », tranche-t-il. Il prévient ensuite le gouvernement québécois que toute initiative provinciale, même lancée sans aide du fédéral, devrait obligatoirement respecter la protection de la vie privée des personnes fichées.

Impossible d’avoir un portrait complet

« Les provinces peuvent avoir leur propre registre des délinquants sexuels et systèmes de notifications publiques si ces derniers tiennent compte du cadre législatif national existant, des droits à la protection de la vie privée et de la Charte en matière de partage d’informations », écrit M. Blair.

L’attaché de presse de la ministre Guilbault, Louis-Julien Dufresne, a déclaré lundi qu’un registre complet de la répartition géographique des délinquants sexuels jugés dangereux est impossible à mettre sur pied sans l’aide d’Ottawa.

« Le partage proactif d’information nécessaire à la mise en place d’un registre par le fédéral aurait permis d’avoir un portrait complet. En ce sens, le refus du gouvernement fédéral d’y participer est décevant », a-t-il dit.