Des minihôpitaux privés pour désengorger les urgences québécoises ? La promesse de la Coalition avenir Québec (CAQ), annoncée la fin de semaine dernière, laisse perplexes des analystes du système de santé.

Deux centres médicaux du genre, à mi-chemin entre des groupes de médecine familiale (GMF) et des hôpitaux, verront le jour dans l’est de Montréal et à Québec si le parti est réélu le 3 octobre prochain. Les soins seront entièrement couverts par la RAMQ, mais la construction et la gestion de ces minihôpitaux relèveront du privé.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, espère ainsi réduire de 30 % à 40 % l’achalandage dans les urgences en redirigeant les « cas mineurs » vers les GMF et les minihôpitaux privés.

Or, pour François Béland, coauteur de l’essai Le privé dans la santé : les discours et les faits, ces minihôpitaux n’amélioreront pas le temps d’attente dans les urgences pour bon nombre de patients.

« C’est vrai qu’une partie du goulot d’étranglement, ce sont les patients ambulatoires. Mais il y a aussi tous les patients qui attendent sur des civières dans les couloirs des urgences, faute de lits disponibles », dit-il en citant les exemples des hôpitaux de Mont-Laurier et de Saint-Jérôme, où le taux d’occupation des civières aux urgences a atteint 240 % et 155 %, mardi.

« Il manque de lits dans les hôpitaux. On a de la difficulté à faire monter les patients vers les étages. Quand on se compare aux pays où le système de santé va plutôt bien, on remarque que nous avons moins de chambres par tranche de 100 000 habitants et souvent moins de médecins », explique le chercheur à l’Institut Lady Davis à l’Hôpital général juif.

Roxane Borgès Da Silva, économiste et professeure de santé publique, se demande où sera recruté le personnel de ces minihôpitaux dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre.

On risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul. On risque de nuire à notre système public.

Roxane Borgès Da Silva, économiste et professeure de santé publique

La chercheuse est d’avis qu’il aurait été préférable de s’attarder aux conditions de travail du personnel de la santé et à la rétention de celui-ci plutôt que d’investir dans une nouvelle structure.

« À court terme, c’est une solution qui semble intéressante, mais à long terme, ça ne règle pas le problème du personnel qui quitte les hôpitaux », dit-elle.

Plus efficace, mais à quel prix ?

Louis-Martin Rousseau, professeur à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en analytique et logistique des soins de santé, croit que la construction de ces minihôpitaux est une bonne nouvelle pour les patients. Et pour les contribuables ? Il en est moins sûr.

« D’avoir cette structure intermédiaire qui sera spécialisée dans les cas plus simples, les cas qui n’ont pas besoin d’une hospitalisation, c’est une bonne idée d’un point de vue organisationnel. D’autres pays dans le monde ont ce genre de structure qui est davantage axé sur le volume que sur les cas lourds et diversifiés », explique-t-il.

Mais la participation du privé dans ces nouveaux petits hôpitaux titille les trois experts consultés par La Presse.

Les entreprises devront faire des profits, contrairement aux CISSS et aux CIUSSS qui ne cherchent pas à faire de l’argent. 

Roxane Borgès Da Silva, économiste et professeure de santé publique

En conférence de presse samedi, le ministre Christian Dubé a estimé à 35 millions le coût de construction de chacun des deux minihôpitaux. Il a affirmé que la facture sera assurée par le privé. « Mais à la fin, ce sont les contribuables qui vont payer, car aucune entreprise ne va se lancer dans une aventure déficitaire », soutient le professeur François Béland.

Ce dernier affirme que l’annonce de la CAQ laisse plusieurs questions en suspens : comment les entreprises impliquées vont-elles récupérer leurs 35 millions investis dans la construction de ces minihôpitaux ? Les gestionnaires auront-ils le même salaire que ceux des hôpitaux ? Traiter une infection urinaire — au public comparativement au privé – coûtera-t-il le même prix à l’État ?

« En fait, pourquoi ces minihôpitaux ne sont pas gérés par le public ? Est-ce qu’on a tellement peu d’argent au Québec que le gouvernement ne peut pas investir lui-même ? », se demande M. Béland, sceptique.

« Est-ce que le privé est tellement efficace que même en lui payant des profits, ça va nous revenir moins cher ? Moi, je n’y crois pas et je demande qu’on me le démontre ! », lance-t-il.