(Saint-Jérôme) La Coalition avenir Québec (CAQ) prévoit, si elle forme le prochain gouvernement, creuser le déficit du Québec au-delà de ce qui était prévu au rapport préélectoral sur l’état des finances publiques de la province.

Le chef caquiste François Legault a présenté samedi le cadre financier de son parti. Le rapport préélectoral prévoyait des déficits oscillants entre 1,6 et 1,9 milliard au cours des quatre prochaines années, après versements au Fonds des générations. En excluant ces versements, qui servent à rembourser la dette, le Québec retrouvait dès 2022-2023 des surplus budgétaires.

Désormais, en intégrant les engagements de la CAQ prévus pour un potentiel second mandat, le parti de François Legault creuse le déficit après versements au Fonds des générations. Par exemple, le déficit prévu au rapport préélectoral était de 1,6 milliard en 2022-2023, il passe à 7,6 milliards dans le cadre financier. En 2023-2024, le déficit était de 1,2 milliard, il passe à 5,1 milliards.

La CAQ estime malgré tout que le ratio dette nette/PIB continuera de descendre. Le parti estime qu’il passera de 38 % (donnée de mars 2022) à près de 36 % dans quatre ans. Selon M. Legault, ce ratio est « la clé » qui explique pourquoi son parti se permet de promettre des budgets signés à l’encre rouge.

« La moyenne canadienne est actuellement de 33 %. Ce qu’on montre dans notre cadre financier, c’est que dans un horizon de 10 ans, notre dette par rapport au PIB passerait de 38 à 31 %. Il serait donc inférieur à la moyenne canadienne », a ajouté samedi le candidat de la CAQ dans la circonscription de Groulx et ministre sortant des Finances, Eric Girard.

Mais une période de dix ans est une éternité en politique. La CAQ pourrait perdre le pouvoir, un parti avec de nouvelles priorités pourrait augmenter l’endettement et la moyenne canadienne du ratio dette nette/PIB pourrait aussi fluctuer au cours des prochaines années. « Il n’y a aucune [certitude] que la moyenne des provinces canadiennes va diminuer [ce ratio] au cours des dix prochaines années. Toutes les provinces canadiennes font face à des pressions fiscales importantes », a répondu M. Girard.

Croissance des dépenses 

La CAQ prévoit une croissance annuelle des dépenses en santé de 4,5 % en santé et de 3,5 % en éducation. « Par ailleurs, afin de financer nos engagements en matière d’infrastructures, le Plan québécois des infrastructures (PQI) 2023-2033 sera augmenté de 7,5 milliards pour atteindre 150 milliards », écrit le parti dans son cadre financier.

Face aux incertitudes économiques mondiales, liées entre autres à la guerre en Ukraine et à la menace d’une récession, le cadre financier caquiste « prévoit une provision pour les risques économiques et autres mesures de soutien et de relance de 8 milliards auxquelles s’ajoute un Fonds de suppléance de 2 milliards ».

Pour y parvenir, la CAQ table que « l’amélioration de la croissance économique rapportera 3 milliards de plus durant le mandat, ou 1,7 milliard à terme en 2026-2027 », et ajoute que « la poursuite de nos efforts en matière de révision des programmes générera 4 milliards au cours des quatre prochaines années, et 1,5 milliard à terme en 2026-2027 ».

« Nous ferons un suivi des engagements annuels du gouvernement afin d’éviter que des sommes ne dorment dans les coffres des ministères. Nous prévoyons ainsi de pouvoir réutiliser l’équivalent de 1 % des dépenses annuelles pour les engagements du gouvernement. Aucun service ne sera affecté par cette approche », promet le parti.

La CAQ prévoit une croissance économique légèrement supérieure de 2024 à 2027 comparativement à ce qui était prévu au rapport préélectoral. « Cette augmentation prévue de 0,5 % du PIB réel est réaliste et prudente considérant ce que nous avons accompli depuis quatre ans », justifie le parti.

À ce sujet, François Legault défend qu’il est prudent selon lui de tabletter sur une croissance plus élevée que ce qu’anticipent les économistes en raison du dynamisme, dit-il, de son équipe économique. « Je serais gêné de prévoir moins que ce qu’on met dans notre cadre financier parce que je veux qu’on soit ambitieux », a-t-il affirmé samedi.

Coût des engagements

Au total, les engagements de la CAQ au cours de la campagne électorale totalisent 29,6 milliards de dollars sur quatre ans. De ce montant, l’ensemble des mesures du « bouclier anti inflation » du parti totalisent 21 milliards, ce qui inclut la baisse d’impôt de 1 % des deux premiers paliers d’imposition dès 2023.

La principale préoccupation des gens, quand on se promène sur le terrain, c’est de lutter contre l’inflation. Je pense que ça doit être la priorité dans tous les cadres financiers. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour les autres. Il faut être déconnecté pour ne pas comprendre que les Québécois […] souffrent beaucoup actuellement et que c’est le temps de les aider.

François Legault, chef de la CAQ

Pour financer sa baisse d’impôt, le chef caquiste propose d’utiliser 39 % des versements prévus au cours des prochaines années au Fonds des générations, en limitant ceux-ci à 3 milliards à la fin du prochain mandat. À titre comparatif, le rapport préélectoral sur l’état des finances publiques du Québec, déposé par le ministère des Finances le mois dernier, indiquait que le gouvernement verserait près de 5 milliards dans le Fonds en 2026-2027.

M. Legault, qui accuse depuis des jours ses adversaires d’endetter les générations futures avec leurs engagements, fait-il la même chose ? Le chef de la CAQ réplique en rappelant que le ratio dette nette/PIB devrait diminuer au cours des quatre prochaines années.

Des réactions

Dominique Anglade ne s’est pas fait prier pour réagir au cadre financier de François Legault qui l’avait accusée de s’être « disqualifiée » en présentant un cadre déficitaire, alors qu’il fait la même chose.

Elle observe que la CAQ « prend le Fonds des générations pour essayer de faire moins de déficit » en plus de faire des prévisions de revenus « absurdes ». « La CAQ s’invente des revenus qui sont basés sur absolument rien sinon que du vent ! » a-t-elle lancé au terme d’un bain de foule de deux heures à la Fête des vendanges de Magog.

Elle a même repris des mots qui ont servi d’attaques contre son parti sous la gouverne de Philippe Couillard pour qualifier le cadre financier caquiste. « Une révision de programmes, c’est la même chose que des coupures. C’est de l’austérité caquiste qui nous est annoncée ! 1,5 milliard de coupures : où vont-ils couper ? »

Dans le cadre financier caquiste, « non seulement il y a des déficits, mais ils n’arrivent pas à réduire le ratio dette/PIB comme nous on est capables de le faire ». Réduire les versements au Fonds des générations revient à « hypothéquer l’avenir de nos enfants », a-t-elle ajouté.

Gabriel Nadeau-Dubois de Québec solidaire accuse pour sa part son adversaire caquiste d’être un politicien du passé. « Récemment, Québec solidaire a présenté sa vision 2030. Aujourd’hui, François Legault nous présente sa vision 1990. C’est un cadre financier d’une autre époque, pour un homme d’une autre époque », a-t-il affirmé.

« J’en reviens pas qu’une personne se présente devant les Québécois et Québécoises pour être premier ministre du Québec au 21e siècle et qu’il n’y ait même pas le mot “changement climatique” dans son cadre financier. Ça me renverse, ça me met sur le derrière », a ajouté M. Nadeau-Dubois.

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, a été le premier à réagir samedi au cadre financier de la CAQ. Il s’est attaqué aux déficits prévus par François Legault.

« Ce n’est pas vrai qu’on va laisser François Legault continuer à hypothéquer l’avenir de la prochaine génération pour acheter sa prochaine élection », a-t-il déclaré devant des partisans à Québec. M. Duhaime prévoit présenter son cadre financier la semaine prochaine et promet d’équilibrer le budget sur cinq ans.

« Ce qu’il faut retenir du cadre financier de la CAQ, c’est la baisse d’impôts. On réduit notre capacité à financer nos services publics et c’est un aller simple vers l’austérité, qui plus est, on utilise le Fonds des générations pour financer une baisse d’impôts, je ne trouve pas ça responsable, c’est une attaque contre les services publics », a conclu Paul St-Pierre Plamondon du Parti québécois.

Avec Tommy Chouinard, Mylène Crête, Charles Lecavalier et Fanny Lévesque, La Presse