Lau Ga, c’était le pseudonyme sous lequel Tricia Murray avait raconté son histoire en commission parlementaire l’an dernier. Elle était loin de se douter à l’époque qu’elle laisserait tomber l’anonymat pour finalement voir son visage en format géant imprimé sur des pancartes électorales.

« Un jour, je me suis dit que je n’avais plus à avoir honte, que j’étais passée à travers quelque chose de très difficile », affirme la candidate dans Lac-Saint-Jean, qui est sortie de l’ombre après avoir demandé à la cour de lever l’interdit de publication qui protégeait son identité. « Je voulais aussi que les gens voient que derrière Lau Ga se cachait une vraie femme qui avait souffert et qui s’en était sortie », ajoute-t-elle.

Tricia Murray fait partie des employés politiques du Parti libéral du Québec appelés au sacrifice électoral. La formation politique a eu de la difficulté à recruter 125 candidats et ses chances de ravir la circonscription de Lac-Saint-Jean sont quasi nulles. Les rouges n’y ont pas fait élire de député depuis près de 50 ans et la Coalition avenir Québec (CAQ) y a le vent dans les voiles, selon le site de projections électorales Qc125.

Les libéraux m’ont toujours ouvert la porte. Je suis allée avec des gens de cœur.

Tricia Murray, candidate du Parti libéral dans Lac-Saint-Jean

La députée Christine St-Pierre l’a prise sous son aile après son témoignage dans le cadre de la réforme du programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC). Tricia Murray militait alors pour que l’indemnisation nouvellement accordée aux victimes d’exploitation sexuelle soit rétroactive à l’élection de la CAQ en 2018.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Christine St-Pierre, députée sortante du Parti libéral du Québec

La jeune femme avait qualifié de « sans cœur » la réforme du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, lors d’un échange avec la députée lors des consultations législatives. La loi 84, adoptée en mai 2021, reconnaît désormais le droit à une indemnisation pour les victimes d’exploitation sexuelle, mais seulement depuis son entrée en vigueur.

Christine St-Pierre avait souligné son témoignage percutant à l’époque. « On s’est liées d’amitié parce que je la sentais très déterminée, très battante dans sa cause », raconte celle qui a été vice-présidente de la Commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineurs. « Elle est très, très, très forte et c’est assez remarquable », soulève la députée.

Lorsqu’un de ses attachés politiques a quitté son emploi l’hiver dernier, Christine St-Pierre lui a offert le poste pour « lui donner un coup de pouce ». Elle l’a aussi accompagnée au palais de justice en avril lorsque Tricia Murray a dû raconter à la cour les sévices qu’elle avait subis.

« J’ai eu peur de mourir. C’est pour ça que je suis allée à la police », se rappelle la jeune femme de 29 ans qui a trouvé le courage de dénoncer en février 2020, après avoir passé deux ans dans le milieu de la prostitution.

« Elle va peut-être trouver ça dur »

La vie de Tricia Murray a basculé au début de la vingtaine, quelques années après sa rencontre avec Samuel Nichol Lafortune par l’entremise de connaissances communes. Elle tombe amoureuse de lui et le craint en même temps. Il l’incite à se prostituer et la force à voir une dizaine de clients par jour pour finir par empocher la moitié de l’argent.

J’ai vu la difficulté de se rendre à un procès en tant que victime, même quand on veut.

Tricia Murray, candidate du Parti libéral dans Lac-Saint-Jean

Changement d’enquêteur, changement de procureur, conclusion d’une entente à l’amiable sans consultation… Même si elle a eu la satisfaction de voir son proxénète menotté sous ses yeux, Tricia Murray est demeurée insatisfaite. Samuel Nichol Lafortune, 34 ans, a reçu une peine de 12 mois en plaidant coupable d’avoir obtenu un avantage matériel provenant de la prostitution.

La peur ne la quitte plus depuis qu’elle l’a dénoncé, bien qu’elle ait quitté la région de Montréal par mesure de sécurité et pour se rapprocher de sa famille au Lac-Saint-Jean. Elle tient à se construire une nouvelle vie malgré le trouble de stress post-traumatique qui la tourmente et la crainte de croiser un ancien client.

Lorsque l’exécutif du Parti libéral a voulu la sonder pour qu’elle devienne candidate, Christine St-Pierre était inquiète. « Je disais : la politique, c’est méchant. Les gens sont méchants, elle va peut-être trouver ça dur », raconte-t-elle.

Tricia Murray en est très consciente et elle est bien entourée. « Je n’ai pas à me cacher ou à me freiner dans une carrière parce que j’ai été victime d’un proxénète », tranche-t-elle.

Je lui ai dit : “Tu seras la voix des survivantes.” Les gens qui ont vécu des vraies affaires, ils ont droit à leur voix aussi à l’Assemblée nationale.

Christine St-Pierre, députée libérale sortante

La jeune candidate va donc à la rencontre des électeurs dans la circonscription de Lac-Saint-Jean avec le courage et la persévérance qui lui ont permis de sortir de l’exploitation sexuelle. « Faire entendre ma voix en politique signifie beaucoup pour moi », reconnaît celle qui a déjà cru qu’elle n’avait plus d’avenir. « Je pensais que j’étais complètement détruite, mais je me suis reconstruite et je suis très fière d’être rendue là où je suis. »

Elle veut continuer de lutter pour l’aide aux victimes et rappelle qu’elle connaît, pour les avoir vécus, des enjeux comme la pauvreté, les problèmes de santé mentale et les difficultés d’accès au système de santé.

Autres candidats dans Lac-Saint-Jean

Eric Girard, Coalition avenir Québec

Ancien vice-président régional de l’Union des producteurs agricoles du Québec, il sollicite un deuxième mandat.

William Fradette, Parti québécois

Le jeune candidat tente sa chance pour la deuxième fois après une défaite crève-cœur en 2018. Il était jusqu’à tout récemment conseiller politique du député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe.

Luc Martel, Parti conservateur du Québec

Cet entrepreneur en construction a été séduit par l’appel d’Éric Duhaime après avoir constaté l’impact du confinement sur l’économie locale.

Elsa Moulin, Québec solidaire

Cette technicienne en documentation originaire de France s’est installée au Québec il y a 12 ans. Elle s’était présentée aux élections municipales en 2021 pour le réseau Vague écologiste.

Rectificatif
À la suite d’une erreur survenue dans le processus d’édition du texte,
une version antérieure indiquait erronément que le candidat de la Coalition avenir Québec dans Lac-Saint-Jean est l’actuel ministre des Finances Eric Girard. Il s’agit d’un homonyme: deux députés caquistes actuels portent ce nom. Nos excuses.