(Québec) En ce début de campagne électorale, une question préoccupe particulièrement les stratèges de François Legault : que feront les électeurs de l’« Adéquistan » ? Cette expression consacrée dans les officines caquistes désigne les circonscriptions qui, dès 2003, avaient appuyé le parti de Mario Dumont. C’est un terreau qui pourrait être fertile pour le Parti conservateur d’Éric Duhaime.

Une « préoccupation », pas une inquiétude. Personne ne doute qu’avec son avance écrasante dans tous les sondages, François Legault remportera haut la main les prochaines élections. Sur le tableau de bord du parti, on voit encore qu’une majorité d’électeurs estiment que le Québec « va dans la bonne direction ». Mais en politique, la colère reste un moteur très puissant, et si le chef conservateur réussit à mobiliser ses supporteurs, historiquement des citoyens peu politisés, son parti pourrait faire des avancées notables dans quelques circonscriptions. Des avancées, pas des gains pour l’instant.

C’est probablement pourquoi, un peu à contrecœur, la direction de la Coalition avenir Québec (CAQ) a convenu qu’il y devra y avoir deux war rooms pour cette campagne. La plus importante sera à Montréal, mais il y aura aussi un centre de décision formé d’une dizaine de personnes à Québec. Il faudra répondre rapidement à la guérilla que mèneront les candidats conservateurs dans la capitale nationale, en Beauce et dans Chaudière-Appalaches. Le bivouac de Québec fait d’ailleurs bien l’affaire des jeunes employés politiques de la CAQ qui ont de jeunes enfants, et qui ne voyaient pas d’un bon œil l’idée de devoir habiter des maisons de location retenues à Longueuil par un parti qui veut sabrer les dépenses de campagne.

Cet « Adéquistan », ce sont plusieurs circonscriptions dans la région de Québec où Mario Dumont avait pu planter le drapeau de l’ADQ aux élections de 2003 et 2007. La liste des circonscriptions où on trouve le plus d’appuis aux conservateurs commence par Chutes-de-la-Chaudière, où M. Legault a tenu, après avoir hésité, à colmater une brèche en choisissant une candidate d’une grande notoriété, l’ex-journaliste Martine Biron. Même chose pour Lévis, où on avait plus tôt choisi un autre gros canon, Bernard Drainville. Suivent Beauce-Sud, Chauveau et Beauce-Nord.

Chauveau surtout, où se présente Éric Duhaime, sera un champ de bataille. Mais François Legault ne devrait pas y passer, respectant la tradition de ne pas attaquer les autres chefs sur leur terrain.

M. Legault circulera dans une quarantaine de circonscriptions durant la campagne, là où on juge que son passage pourrait faire pencher la balance. Dans la première semaine, le chef caquiste sillonnera neuf régions administratives différentes.

Mais la zone où les conservateurs ont un potentiel de croissance va plus loin que la seule région de Québec. Elle pousse vers le Centre-du-Québec, les Bois-Francs, la Mauricie, où, là encore, une bonne partie des électeurs indécis ou insatisfaits pourraient être tentés par le parti de M. Duhaime. Comme en Beauce ou sur la Rive-Sud de Québec, on y trouve bien des salariés de la classe moyenne, de jeunes pères de famille, un peu en rupture avec les élites. Le courant de gauche n’y a jamais été représenté. Dans ces circonscriptions, les conservateurs ne sont pas en avance, mais font nettement mieux que les 14 % qu’ils obtiennent dans l’ensemble du Québec. Sur Twitter samedi, analysant les données de son plus récent sondage, Jean-Marc Léger relevait que les conservateurs étaient passés de 2 % à 14 % en six mois, et citait Bill Clinton : Follow the trend lines and not the headlines (« Suivez la tendance et non la une du jour »).

Mais le défi de Duhaime sera d’inciter ces électeurs à se rendre aux urnes, le 3 octobre, à aller au-delà des coups de gueule sur les réseaux sociaux. Ici, sa présence au débat télévisé des chefs pourrait être importante.

Du côté de la CAQ, on cherche un antidote. L’appui de Maxime Bernier à Éric Duhaime sera souvent souligné. Le candidat Duhaime partage-t-il les opinions du Beauceron quand il s’oppose au système de gestion de l’offre en agriculture ? Mais tous les partis sont devant le même dilemme : alors que le résultat du scrutin semble aussi prévisible, les électeurs seront-ils tentés de rester chez eux ?

Une inquiétude plus qu’une préoccupation cette fois. Les timoniers de la CAQ s’interrogent sur les risques de dérapage du patron. Un politicien qui laisse tomber qu’on s’est « débarrassé » d’un meurtrier visiblement dérangé, qui lance à un député : « Il n’est pas mort, lui ? », sème l’angoisse dans les troupes. On se rappelle avec inquiétude ses réponses erratiques sur l’immigration durant la campagne de 2018. Les excuses de M. Legault ont fait recette, mais il ne faudrait pas abuser.

Dès le début du mandat caquiste, l’entourage de François Legault cultivait l’impression que libéraux et péquistes ne pèseraient pas lourd dans la joute politique. Devant la CAQ, l’opposition est si fragmentée que bon nombre de candidats n’obtiendront pas l’appui suffisant, 15 %, pour se voir rembourser leurs dépenses électorales.

À la CAQ, on avait rapidement prédit que le véritable adversaire serait Québec solidaire. Manifestement, on se voyait occuper tout le centre de l’échiquier politique. Ce qu’on n’avait pas prévu alors est arrivé : un nouveau joueur est apparu… sur la droite.