Faut-il baisser ou hausser les seuils d’immigration ? En plein débat de chiffres entre les partis politiques, des experts se prononcent. Pour la plupart, il serait bénéfique d’augmenter le nombre de nouveaux arrivants au Québec, mais à une condition : que les infrastructures d’accueil de la province soient prêtes, dans toutes les régions.

« Il y a beaucoup de personnes qui veulent immigrer au Québec. Et on peut les accueillir. Mais il faut se donner les moyens. Il y a encore des efforts à faire pour que tous les services d’accueil soient adéquats, et que la capacité de francisation soit là, partout », explique la sociologue Julia Posca.

Depuis lundi, le débat des chiffres est lancé sur la scène politique. Actuellement, le Québec accueille 50 000 immigrants par année. La Coalition avenir Québec et les conservateurs veulent maintenir ce seuil, bien que, cette année, 70 000 nouveaux arrivants aient été accueillis en raison des retards accumulés durant la pandémie. Le Parti québécois, lui, veut l’abaisser à 35 000, tandis que les libéraux veulent le hausser à 70 000. Québec solidaire, de son côté, promet une cible « entre 60 000 et 80 000 ».

Mme Posca soutient que l’immigration fait certes « partie de la solution » pour pallier la pénurie de main-d’œuvre, mais qu’elle ne doit pas non plus y être « réduite ». « Le contexte est favorable à l’intégration économique [des immigrants], mais ce n’est pas tout de donner un emploi. On a aussi une crise du logement, en ce moment, et il faut les loger. Il y a d’autres enjeux à régler pour accueillir convenablement tout le monde », remarque la chercheuse associée à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS).

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Julia Posca, sociologue et chercheuse à l’IRIS

On entend souvent un discours comme quoi il faut en accueillir moins, vu nos installations. Mais en fait, c’est le Québec qui n’en fait probablement pas assez pour en accueillir plus.

Julia Posca, sociologue et chercheuse à l’IRIS

« Sur le plan démographique, si on veut une province forte, ça me semble difficile avec des niveaux d’immigration plus bas que les niveaux actuels, et même avec les niveaux actuels », dit la professeure Adèle Garnier, membre de l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs (ERIQA). « La population vieillit plus vite ici. On est dans une transition démographique importante. Si on met tout ça ensemble, avec la pénurie de main-d’œuvre, viser plus bas en immigration pourrait causer certains problèmes », estime-t-elle.

80 000, dit le milieu économique

Le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn, affirme que dès l’an prochain, il faudra accueillir 80 000 immigrants. « Ce sont des données basées sur le marché du travail, sur les besoins, sur la réalité finalement », dit-il.

Le Conseil du patronat base ses calculs sur des données du gouvernement datant de 2017. Québec avait estimé cette année-là que pour combler 1,4 million de départs imminents à la retraite, 22 % des besoins devraient provenir de l’immigration. « En 2017, ce 22 % correspondait à environ 64 000 immigrants. On a donc actualisé ce manque à gagner parce que depuis 2018, on n’a jamais atteint ce seuil, et on a donc accumulé un retard. En répartissant sur les années, on arrive à 80 000 », affirme M. Blackburn.

Ce dernier déplore que le débat politique entourant l’immigration soit « malheureusement souvent galvaudé par des images chocs et des phrases creuses ».

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Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec

Pour moi, associer les problématiques de la langue française à l’immigration, c’est faire porter le chapeau aux mauvais acteurs ; 80 % de l’immigration allophone, depuis 2001, choisit le français comme langue de travail.

Karl Blackburn, président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec

De l’importance de la régionalisation

À l’Institut du Québec, la directrice générale Emna Braham rappelle que « le gros enjeu » derrière les seuils d’immigration est la « régionalisation » de celle-ci. « Aujourd’hui, la quasi-totalité des immigrants s’installe à Montréal. Or, les plus gros enjeux de rareté de main-d’œuvre sont à l’extérieur. Le vieillissement est encore plus rapide en région, le nombre de postes vacants aussi. Il faut travailler sur ces éléments-là avant de rehausser les seuils », plaide-t-elle.

Si elle salue la « prise de conscience » de la CAQ envers la régionalisation, Mme Braham rappelle toutefois que « les chiffres ne bougent pas ». « Il y a encore 85 % des immigrants qui s’installent à Montréal. On n’arrive pas encore à faire bouger les livres, et il faut que ça change », dit-elle.

Avocate et chercheuse en défense des droits des travailleurs étrangers temporaires à l’Université McGill, Me Myriam Dumont-Robillard prévient aussi que de réduire les seuils d’immigration « risque d’augmenter l’accueil de travailleurs temporaires, dont les droits sont malheureusement très souvent violés ».

« Ils ne coûtent pas cher aux entreprises et ils ne peuvent rien faire, rien dire, alors les abus sont innombrables. J’entends la CAQ dire qu’elle veut en prendre moins et en prendre soin, mais ce parti augmente en même temps l’accueil de travailleurs temporaires sans changer quoi que ce soit. C’est un double discours », dénonce la juriste.

En savoir plus
  • 62 ans
    C’est l’âge moyen auquel les Québécois prennent leur retraite, actuellement. C’est plus bas que la moyenne canadienne, qui est de 64 ans. Les fonctionnaires québécois de l’État tirent d’ailleurs leur révérence plus tôt, à 61 ans.
    Source : Conseil du patronat du Québec
    5,3 %
    C’est le taux de chômage chez les immigrants québécois, en date d’avril 2022. Il s’agit d’une baisse considérable en 10 ans. En avril 2012, ce chiffre était d’environ 12,7 %.
    Source : Institut du Québec