(Polson, Montana) Scott Kelley Ernest s’assoit devant moi au restaurant 4b de Polson pour m’expliquer comment il est devenu un « séparatiste blanc » – qui désigne dans la terminologie pour enfants un « néonazi ».

Et comment il a cessé de l’être.

Le menu de l’entrevue est plus costaud encore que l’énorme steak frit fumant qui le défie.

Tout ça a commencé par une histoire concernant des jumelles de 13 ans. Les filles d’une leader néonazie de la région, April Gaede, jouaient dans un groupe de musique appelé Prussian Blue, très populaire dans les cercles nationalistes blancs. Des gens se sont mis à harceler les jumelles sur les réseaux sociaux.

« S’il y a un truc que je ne supporte pas, c’est qu’on s’en prenne aux enfants », me dit Ernest.

En fait, ça a commencé avant. À l’époque, il avait 30 ans, vivait en Floride et ne faisait « pas grand-chose ». Une vie qui le décevait, mais après une enfance « sans histoire » : né au Michigan d’une mère inhalothérapeute et d’un père infirmier. Déménagements dans cinq États. Études non complétées. Un problème de surpoids. Déjà une grosse consommation du contenu du site d’extrême droite Stormfront, fondé par un dirigeant du Ku Klux Klan.

Bref, il contacte April pour la soutenir moralement. Elle l’invite à visiter la famille dans le nord du Montana. Gaede avait fondé la section locale des Pioneer Little Europe (PLE), un groupe ouvertement nazi. On pouvait les voir défiler avec des croix gammées ou se réunir pour voir des films à la gloire d’Hitler.

Depuis l’adolescence, Ernest flirtait avec « asatru », une religion odiniste, vestige d’anciennes religions nordiques populaire dans les cercles néonazis. Il était mûr pour devenir un « séparatiste blanc ». Ce qui veut dire : prôner un État ethniquement homogène.

« Pas en déportant des gens, mais en faisant venir des gens qui partagent votre vision dans la région, jusqu’à ce qu’on contrôle le gouvernement local. Et ensuite en rendant la situation assez inconfortable pour que les autres partent. » Tel était le projet de Pioneer Little Europe.

Déjà, le Montana est l’État avec la plus faible population afro-américaine, environ 0,5 %.

Devenu ami avec April, Ernest a été nommé recruteur et sélectionneur. « Je leur ai dit de se calmer », me dit-il. Finis les défilés ou les croix gammées. Mais toujours ce discours antisémite et raciste.

« Pourquoi ? Un peu la solitude. Un peu la recherche d’une communauté. C’est une mauvaise excuse pour trouver la mauvaise communauté, mais c’est ça. »

Dans sa sélection des membres, il disait que le groupe devait être acceptable aux yeux des familles.

« On veut quelque chose d’acceptable pour les familles, on ne veut pas causer de dommages à qui que ce soit.

— Vous n’aviez pas d’armes ?

— Oui, on avait des armes. Pour l’autodéfense. J’en ai eu de plus en plus. C’est une dépendance. Comme tout ce dont je vous parle, d’ailleurs. S’il y avait une catastrophe, nous pourrions nous défendre contre le gouvernement. On pensait ça. J’aime encore les fusils, comprenez-moi, je vais encore tirer régulièrement. C’est le Montana ! Tout le monde a des guns, peu importe ses idées politiques. »

Il s’est ensuite joint aux Oath Keepers, mais sans participer à la moindre activité.

« Je louais une maison mobile, et le truc, c’est que tu fais venir des gens de l’extérieur, certains ont une job, d’autres pas, et ils n’ont nulle part où aller. J’avais six gars chez moi. Je me suis mis à rencontrer en personne les gens que j’avais connus en ligne. Et là je me suis dit : qu’est-ce que je fucke ici ? Wow, c’est des gens vraiment horribles. Au moins, dans le recrutement, j’essayais d’écarter les psychopathes… »

Puis est arrivé Anders Breivik, le terroriste néonazi norvégien qui a assassiné 77 personnes – dont 69 jeunes dans un camp, en 2011.

« Je me suis rendu compte que je l’avais rencontré sur Stormfront et même sur Facebook sous le nom d’Andrew Berwick. J’ai flippé. »

Plus troublant encore, quand il demandait aux recrues des PLE ce qu’ils pensaient de Breivik, beaucoup disaient qu’ils l’admiraient.

Je leur disais qu’on ne pouvait pas accepter des gens qui admirent l’assassinat d’enfants. Je peux essayer d’expliquer ça, mais je ne comprendrai jamais. C’est des malades. L’extrême droite aime la violence.

Scott Kelley Ernest

Mais c’est qui, ces gens ? « Des jeunes hommes. Avec de l’insécurité. De la peur. De la haine. Le genre de gars qui capote si tu lui fais un câlin, parce qu’il se dit : c’est gai. Plein de gais pas sortis du placard. Comme moi je l’ai été. » (Il se décrit comme « Mx. », sans genre.)

Il est sorti du mouvement, mais on ne change pas instantanément.

« J’étais encore très à droite. Mais je n’en pouvais plus de la négativité et du discours violent. »

Il s’est déradicalisé lentement, au milieu des années 2010. Il a voté libertarien en 2016. Biden en 2020.

« J’étais chez ma tante quand il y a eu le 6-Janvier [l’assaut du Capitole]. Je connais plein de gens qui étaient là. À Charlottesville aussi, au fait. »

Maintenant, il aide ceux qui veulent se « déradicaliser ». Et il tient aux guillemets.

« On ne va pas dans les groupes extrémistes pour convertir les gens. Je ne prêche à personne. Je n’approche personne. Ce sont les gens qui m’approchent, parce que je suis très présent sur les réseaux sociaux. Je me suis excusé personnellement à des gens. Comme cette femme qui riait de nous sur les réseaux sociaux. J’ai envoyé les services sociaux faire une vérification chez elle. Elle a accepté mes excuses. »

« Je regrette plein de choses que j’ai écrites et faites. J’ai contribué à la haine. J’essaie de me racheter, mais c’est un travail jamais terminé », confie Ernest.

Récemment, un ex-membre de la Division Atomwaffen, un groupe néonazi du Montana (oui, il y en a plein), l’a contacté après sa sortie de prison – il avait été condamné pour menaces envers un journaliste. Il l’accompagne. Échange avec lui.

Les PLE n’existent plus formellement au Montana.

« Il est arrivé quoi aux membres ?

— Ils se sont fondus dans le mouvement MAGA. »

Comme tous ces groupuscules se fondent dans le décor immense de cet État.

Pendant que je regarde le lac Flathead et les montagnes encore blanches qui nous dominent, la serveuse revient, inquiète de voir l’assiette d’Ernest à peine entamée.

« Je vais emporter le reste, s’il vous plaît. »