Une de mes amies blanches me faisait ironiquement remarquer qu’à écouter la télévision, il n’y a plus de racisme. Les Noirs et les Noires sont dans toutes les publicités.

Lors d’une conférence, j’ai cité cette réflexion sur les limites de la représentation. J’ai été interrompue par la modératrice qui valorisait la représentativité à tout prix, disant qu’il est important que les jeunes filles se voient représentées.

Mais que vont penser ces filles lorsqu’elles verront des femmes noires pourchassées par des hordes ? C’est cette réflexion que m’a amenée le traitement récent de Claudine Gay, première femme noire à diriger Harvard.

À l’annonce de sa nomination, elle a été portée aux nues. Pourtant, sa déchéance fut précipitée, assimilable à une mort sociale.

Les femmes noires qui osent occuper des postes de pouvoir dans les espaces blancs1 sont suspicieuses. Leur crédibilité est remise en question alors que les discriminations intersectionnelles, comme la misogynoir, ne font qu’accentuer les traitements racistes.

Elles croient que leurs compétences les mettent à l’abri. Or, il s’agit d’une illusion face aux risques inhérents aux espaces blancs : elles sont une cible.

Mme Gay évoluait dans les cercles de pouvoir, espaces blancs, et avait fait preuve de respectabilité, ce qui équivaut pour les Noirs à démentir, par leurs comportements, le fondement des préjugés raciaux tout en espérant que les Blancs les traiteront de façon égalitaire.

PHOTO KEN CEDENO, REUTERS

Claudine Gay lors de son témoignage devant une commission de la Chambre des représentants, en décembre dernier

Selon la Dre Toni Tunstall, Claudine Gay était une supertoken2, une personne marginalisée dont les compétences sont recherchées par les institutions qui sont prêtes à faire fi de leur aversion envers leur identité afin de les embaucher. Tunstall écrit : « La recherche d’un supertoken apportera une diversité superficielle, mais pas nécessairement une inclusion, et certainement pas une décolonisation. »

Le supertoken, produit inattendu du système qui devait les broyer, a excellé au lieu d’échouer. On s’attend à ce que sa présence au sein des organisations ne modifie en rien ses valeurs. Dans certains cas, « le supertoken peut être celui qui maintient le système : "J’ai réussi, pourquoi n’y arrivez-vous pas" ».

Or, d’autres preuves justifiant sa présence dans cet espace blanc ont été requises de Mme Gay. Rien n’est vraiment acquis pour une femme noire. La voilà jetée de la falaise de verre.

Ces lynchages ne peuvent inciter les Noires à convoiter des postes de leadership : c’est l’objectif visé. Cette violence vise à les maintenir à la place qui leur a été assignée, qui se manifeste par une Know-Your-Place Agression3, « violence symbolique physique et discursive ». Ces assauts contre Mme Gay étaient une réponse à son succès et non à sa présumée incompétence.

Charles Blow, dans le New York Times, dit : « À l’heure où les femmes noires ont une influence […], elles sont devenues les emblèmes d’un changement inopportun ; leur présence à des postes de pouvoir représente une menace pour le pouvoir traditionnellement détenu par quelques-uns. »

Les initiatives de diversité, d’équité et d’inclusion mises en place après la mort de George Floyd font l’objet de vives attaques. Ces assauts se manifestent aussi par la démonisation du multiculturalisme. La chasse est ouverte contre tous ceux et celles qui veulent mettre en œuvre du changement systémique : les « wokes »

Une stratégie pour écarter les Noirs : le mobbing4, mécanisme par lequel la cible est condamnée à la suite d’une campagne de communication « non éthique » orchestrée par un groupe de personnes. Cette action déployée dans les médias ou au sein d’une élite gardienne du statu quo vise à démontrer que la cible a un effet délétère sur l’organisation. Alors que les preuves sont inexistantes, le tribunal de l’opinion publique a le temps de rendre son « jugement ». Cette violence équivaut à une mort sociale : la cible doit démissionner.

Dans le New York Times, Claudine Gay écrit : « ceux qui ont fait campagne pour m’évincer depuis l’automne ont souvent trafiqué des mensonges et des arguments fallacieux. Ils ont recyclé des stéréotypes raciaux sur le talent et le tempérament des femmes noires. Ils ont propagé un faux récit d’indifférence et d’incompétence ».

Comme le souligne M. Blow, l’attaque contre Mme Gay est « une attaque politique contre un symbole. C’est une campagne d’annulation. C’était et cela reste un projet d’avilissement destiné à contrecarrer le progrès et couvrir de honte les partisans de ce progrès ».

Aujourd’hui, que reste-t-il aux jeunes filles noires ? Selon Mme Gay, il reste le courage. Parce que c’est le courage qui l’a soutenu tout au long de sa carrière.

*L’auteure a négocié les termes de la Commission de vérité et réconciliation du Canada

1. Lisez « The White Space » (en anglais) 2. Lisez « Elizabeth “Dori” Tunstall shows us the path towards design reparations » (en anglais) 3. Lisez « To her opponents, Harvard's Claudine Gay’s crime was not knowing her place » (en anglais) 4. Lisez « Mobbing, ou l’extermination concertée d’une cible humaine » Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue