À la fin de sa chronique de dimanche dernier sur la crise qui frappe la télévision québécoise, Stéphane Laporte interpelle le gouvernement : « Faites de quoi ! Notre télé a besoin de vision », écrit-il. Denis Dubois, un des professionnels les plus influents du milieu, souhaite poursuivre la discussion. Et il nous invite à sortir du cadre.

Cher Stéphane,

Comme aurait dit ma mère, « tu m’enlèves les rideaux d’la douche » ! Je fais certainement partie « des plus acharnés » dont tu parlais dans ta chronique, qui diront qu’il n’est jamais trop tard. Je voudrais poursuivre la discussion avec toi. Je reprendrai donc à ta dernière phrase, mais en y apportant quelques petits ajouts, si tu le permets.

Gens des gouvernements, diffuseurs, producteurs, syndicats et tous ceux que j’oublie qui ont une responsabilité dans notre bourbier actuel. Ça fait plus de 10 ans qu’on se le dit : « Faisons de quoi ! » Notre télé a besoin de vision et de coopération.

Tu as mis le doigt sur le mot, cher Stéphane. Nous avons manqué de VISION et nous en manquons toujours. Nous perdons trop de temps à réagir plutôt qu’à agir.

Il faut regarder devant, cesser de nous plaindre et de renvoyer la responsabilité de notre inaction à tout un chacun.

Laisse-moi te proposer trois pistes de réflexion. Il y en a beaucoup d’autres (C-11, C-18, et cie), mais voici les miennes :

– ne pas résister aux changements ;

– faire du public notre seule priorité ;

– produire moins, mais produire mieux.

Ne pas opposer de résistance aux changements

Du changement, il y en aura toujours. La responsabilité première de toute personne en poste de décision est d’être visionnaire, d’imaginer l’avenir et de prendre des risques, sinon, merci de céder votre place !

Trop longtemps, nous nous sommes assis sur des acquis : la barrière de la langue et un star-système fort. Comme aurait dit ma mère, Stéphane, « la meilleure façon de faire fondre quelque chose, c’est de rester assis dessus ».

On me reprochera de faire de l’âgisme, mais il manque dangereusement de jeunes têtes pensantes aux postes décisionnels.

Nous avons la responsabilité de renouveler nos auditoires. Les plateformes numériques étrangères sont là pour de bon. Il faut composer avec. Soyons audacieux ! Les lignes sont ouvertes, nous prendrons tous les appels !

Faire du public notre seule priorité

Il faut revoir nos stratégies actuelles, tournées vers une protection de notre industrie, des diffuseurs, des associations et des syndicats. Notre unique priorité en ce moment, cher Stéphane, devrait être de garder contact avec le public qui nous déserte, y investir temps, argent et protection. Il faut que le public nous trouve sur son passage, partout, tout le temps. C’est urgent ! Il faut faciliter son chemin vers nous. Laisse-moi proposer deux idées qui vont dans ce sens, mais qui demandent beaucoup de coopération et d’ouverture d’esprit. Comme dirait ma mère, « ça va en faire vomir plus d’un dans leur sacoche ».

– Créons une plateforme commune, où le public trouverait l’ensemble de notre production télé, cinéma, numérique et dont nous, l’industrie, aurions le contrôle et la mise en marché.

– N’attendons pas que les diffuseurs s’entendent ! Que le gouvernement impose la création d’une telle plateforme. Avec tout financement public viendrait un droit de diffusion sur cette plateforme en deuxième fenêtre.

– Créons une enveloppe à la performance sur cette plateforme pour les productions des diffuseurs et producteurs afin d’encourager la qualité.

– Rendons cette plateforme gratuite pour les étudiants afin de créer tôt des habitudes d’écoute, de les fidéliser.

Jamais nous n’avons eu autant besoin de gouvernements investis et de diffuseurs publics solides. L’apport de ceux-ci est incontournable dans le maintien d’une identité culturelle forte.

Deuxième proposition : que le seul objectif de nos gouvernements et des télédiffuseurs publics (Radio-Canada et Télé-Québec) soit d’exposer notre culture et nos contenus à un maximum de monde. Télé-Québec mérite plus qu’un 3 % de part de marché !

Pour y arriver, les productions publiques devraient toujours être en codiffusion avec d’autres partenaires pour maximiser l’écoute.

– Abolissons la concurrence entre le public et le privé afin de faire place à un partenariat entre diffuseurs pour une plus grande visibilité de notre culture.

– Partageons les coûts de production.

Je te garantis, cher Stéphane, qu’avec ces propositions, Québecor serait le premier à monter aux barricades pour défendre la pertinence de Radio-Canada. Comme dirait ma mère, « c’est onirique, non » ?

Imaginons ensemble une façon de faire de l’information régionale en coproduction et diffusion entre les bureaux régionaux de Télé-Québec, Noovo et TVA. Vaut mieux une information régionale partagée que pas d’information régionale, non ?

Produisons moins, mais produisons mieux

Nous n’avons pas les moyens de maintenir le niveau de production actuel.

Les plateformes américaines nous ont habitués à des productions que nous pouvons difficilement égaler.

Nous devons relever les investissements dans le contenu. Je connais trop de bons projets qui ne verront jamais le jour, faute de moyens. Comment ? Nous dispersons l’argent public dans divers petits programmes de financement complexes dont l’efficacité est souvent discutable. Nous avons des programmes de « bonification » pour rejoindre le marché international, mais qu’en est-il de nos stratégies pour rejoindre notre propre public ?

Notre priorité actuelle, je le répète, c’est de garder le contact avec les 12 à 54 ans : c’est du monde, ça !

Bien sûr, il y a aussi beaucoup à faire en stratégie de contenu. Je travaille actuellement sur deux projets afin de rejoindre des générations de moins en moins captives, dans un langage et sur les plateformes qu’elles connaissent, histoire que mes bottines suivent mes babines.

Cher Stéphane, j’aurais encore tant à te dire, mais j’ai largement dépassé le nombre de mots qu’on m’avait alloué. Allons prendre un verre !

– Denis Dubois, ex-VRAK, ex-TVA, ex-Télé-Québec, ex-Québecor

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