TikTok, « c’est essentiellement du fentanyl numérique, une arme technologique du XXIsiècle », a écrit la semaine dernière l’ancien vice-président des États-Unis Mike Pence.

Le populaire réseau social est en fait « un logiciel espion chinois qui permet au Parti communiste chinois de manipuler à volonté les esprits des jeunes Américains et compromet la vie privée de millions d’Américains », a-t-il allégué.

Il n’est pas le seul, chez nos voisins, à dénoncer TikTok.

La Chambre des représentants a récemment adopté un projet de loi pour forcer l’entreprise chinoise ByteDance à vendre le réseau social, à défaut de quoi celui-ci sera interdit sur le sol américain. Le président Joe Biden est en faveur de cette législation, qui doit maintenant être examinée par le Sénat.

PHOTO KENT NISHIMURA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Des partisans de TikTok se sont rassemblés près du Capitole à Washington le 13 mars dernier, jour de l’adoption du projet de loi pour forcer l’entreprise chinoise ByteDance à vendre le réseau social.

Devant la levée de boucliers à laquelle on assiste, j’ai cherché à savoir s’il faudrait faire la même chose de ce côté-ci de la frontière.

« Je pense que c’est tout à fait légitime de s’inquiéter de TikTok. Parce que c’est un outil extraordinaire de désinformation. Un outil qui est utilisé dans le cadre des efforts de propagande du régime chinois », m’a répondu d’emblée Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine.

« Et c’est clair aussi qu’ils s’en servent pour accumuler des données personnelles », a ajouté ce fin connaisseur de l’empire du Milieu.

Explorons dans le détail chacun des problèmes posés par le réseau social chinois.

D’abord, l’espionnage.

TikTok siphonne allègrement les données de ses utilisateurs. Je me fais ici l’avocat du diable : ne permettons-nous pas aux géants américains du numérique de se comporter de la même façon, impunément ?

« Ce n’est pas si différent de ce que font les autres plateformes. Mais la différence, et elle est de taille, c’est que TikTok est entre les mains d’un régime autoritaire », souligne Paul Charon, directeur du domaine « renseignement, anticipation et stratégies d’influence » de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire en France.

Ces données sont précieuses pour la Chine, notamment pour les entreprises qui travaillent sur l’intelligence artificielle (dans le but d’entraîner leurs systèmes), explique le chercheur.

Mais elles intéressent également « les acteurs de la sécurité ». Et à ce chapitre, la différence entre un régime autoritaire et un géant américain de la Silicon Valley est flagrante.

« Dans le cas de la Chine, c’est avec un but d’utilisation possible ultérieure, dit Guy Saint-Jacques. Parce que des gens mettent là des images qu’ils pourraient trouver gênantes s’ils devaient par exemple se présenter en politique 10, 15 ou 20 ans plus tard. »

Il serait même possible de savoir « si vous êtes allé sur des sites pornographiques, sur des sites de rencontres même si vous étiez mariés… Tout ça, c’est du bonbon pour des services de renseignement qui veulent mettre de la pression sur quelqu’un en disant : ce serait gênant si ce genre d’informations étaient connues », ajoute-t-il.

Ensuite, la propagande.

TikTok, en la matière, est un redoutable outil pour le régime de Xi Jinping.

PHOTO NG HAN GUAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le président chinois Xi Jinping

On sait que le Parti communiste chinois (PCC), qui dispose d’une agence officielle – le Front uni – pour défendre ses intérêts dans le monde, prend la chose très au sérieux.

On évoque une « stratégie d’influence à grande échelle » dans un rapport sur TikTok préparé par le Sénat français l’an dernier. Un document où l’on évoque la possibilité de suspendre le réseau social en France « pour des raisons de sécurité nationale ».

Les exigences du PCC peuvent être transmises à TikTok par l’entremise de ByteDance, indique Paul Charon.

« Il y a donc une influence sur les contenus qui sont proposés aux utilisateurs. Une censure peut se faire de manière très nette, c’est-à-dire que certains sujets sont bannis. Il y a aussi une méthode plus douce, qui consiste simplement à invisibiliser, c’est-à-dire que l’algorithme ne va pas proposer certaines vidéos qui sont jugées contraires aux intérêts, à la morale et à la vision du monde du PCC », dit-il.

On retrouve aussi du contenu qui fait la promotion de la Chine. Ou qui critique ou dénigre ses rivaux. Et selon ce que me dit ce chercheur, ça peut parfois être très insidieux.

« Je vous donne un exemple : imaginez un tiktokeur qui fait des vidéos de cuisine et au milieu de sa recette, hop, une petite critique sur les États-Unis ! […] L’attaque contre un adversaire est dissimulée dans un contenu qui semble neutre. »

De ce côté-ci de la frontière, nos élus sont jusqu’ici beaucoup plus bienveillants que leurs homologues américains. Ils ont pris certaines initiatives pour protéger leurs propres données – par exemple : on ne peut plus utiliser TikTok sur les téléphones du gouvernement fédéral –, mais guère plus.

Une fois que l’on connaît les buts du Parti communiste chinois, je pense que ça devient très difficile de permettre à TikTok de continuer à opérer

Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en Chine

Paul Charon, pour sa part, parle plutôt de mettre de l’avant « tout un tas de barrières qui vont à la fois protéger les utilisateurs et empêcher l’intervention de la Chine sur le réseau social ».

Ni l’un ni l’autre ne prônent le statu quo.

Nos élus auraient tout avantage à méditer là-dessus.

Une enquête commune

Une enquête sur TikTok a été lancée en février 2023 par le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, ainsi que par les autorités de protection des renseignements personnels du Québec, de la Colombie-Britannique et de l’Alberta.

Les résultats de l’enquête devraient être publiés « dans les prochains mois », m’a expliqué un porte-parole du commissariat, Vito Pilieci, qui dit ne rien pouvoir ajouter à ce sujet.

À la Commission d’accès à l’information du Québec, on refuse aussi de commenter « ce cas précis ». On se borne pour l’instant à affirmer que « la protection des renseignements personnels dans les médias sociaux demeure une préoccupation pour la Commission ».

Les données recueillies par TikTok

  • Contacts (si vous le permettez)
  • Contenu de la caméra et du microphone (pendant la création de vidéos)
  • Type d’appareil utilisé et résolution d’écran
  • Courriel ou numéro de téléphone
  • Certaines pages web que vous visitez en dehors de TikTok
  • Localisation approximative
  • Adresse IP
  • Contenu que vous regardez
  • Contenu du presse-papier
  • Comptes que vous suivez
  • Schémas de frappe (sur le clavier) dans l’application
  • Messages privés
  • Autres applications mobiles que vous utilisez

Source : Washington Post

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