J’aimerais qu’on m’explique pourquoi on peut transporter les caribous du Nord et qu’il semble totalement impossible de transporter les chevreuils de la Rive-Sud ? Est-ce simplement de l’entêtement ?

Michel Turgeon

Cette question, que se pose aussi un autre lecteur, Robert Vallée, soulève ce qui peut effectivement ressembler à un paradoxe.

Au début du mois de mars, le ministère de l’Environnement du Québec a annoncé qu’il allait capturer des caribous en Témiscanie, une zone à la limite du Nord-du-Québec et du Saguenay–Lac-Saint-Jean, pour les amener à Val-d’Or. Ils viendront y grossir la harde locale, qui ne compte plus que neuf individus et qui se trouve dans une situation si précaire que les animaux sont protégés par un enclos.

Le parallèle avec la saga causée par la surpopulation de cerfs au parc Michel-Chartrand, à Longueuil, est intéressant. Là-bas, la relocalisation des bêtes a été jugée inacceptable, et les cerfs en surplus seront plutôt abattus à l’arbalète, ce qui continue de soulever les passions.

Les trois experts que j’ai consultés affirment pourtant qu’il n’y a aucune contradiction dans le fait qu’on opte pour des stratégies différentes dans ces deux cas. Selon eux, cela s’explique par le fait que les caribous sont plus faciles à déplacer que les cerfs, mais aussi parce que le contexte et les objectifs des interventions sont complètement différents.

« Mon expérience avec les cerfs, surtout dans des conditions de surabondance où leur condition physique n’est pas nécessairement à son meilleur, est qu’ils sont sensibles à la myopathie de la capture. Il s’agit d’une dégradation des tissus musculaires qui mène souvent à la mort de l’animal. C’est lié entre autres à la grande nervosité des cerfs, qui les amène à s’épuiser lorsqu’on les place en contention physique », explique d’abord Jean-Pierre Tremblay, professeur au département de biologie de l’Université Laval.

Le professeur Tremblay n’a jamais fait de capture de caribous, mais il me dirige vers des documents de Parcs Canada qui montrent que la mortalité de ces animaux lors des transferts est inférieure à 1 %⁠1.

Stéphane Lair, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, convient aussi « qu’en raison de leur comportement, le transport des cerfs de Virginie est probablement plus risqué que celui des caribous ».

Pour lui, c’est toutefois le contexte entourant le transfert qui compte le plus. Dans le cas des caribous, le déplacement vise à assurer la survie d’une espèce en péril. En déplaçant six caribous du Nord vers Val-d’Or, on veut en effet faire grandir cette harde extrêmement précaire et y apporter du nouveau matériel génétique. Aux yeux de l’expert, cela justifie les risques de l’opération.

Longueuil, de son côté, fait face à une surpopulation qui cause des problèmes locaux, mais on ne parle pas du tout de la survie d’une espèce.

Dans le cas des cerfs de Longueuil, le transfert des animaux n’était basé sur aucune action de conservation. En gestion des populations animales, il est éthiquement acceptable de faire des procédures sur des animaux si la raison pour faire ces procédures est valable.

Stéphane Lair, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

J’ai aussi joint Jean-Pierre Vaillancourt, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal. C’est lui qui avait présidé le comité d’éthique qui, en 2021, avait rejeté l’option de déplacer les cerfs du parc Michel-Chartrand.

Le DVaillancourt précise une chose fondamentale : son comité ne s’est pas opposé au transfert des cerfs, mais bien au protocole qui avait été proposé par le groupe Sauvetage Animal Rescue pour le faire.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Cerfs de Virginie au parc Michel-Chartrand, en décembre 2021

« Ce n’était pas un refus de les déplacer comme tel ; c’était un refus de faire ça n’importe comment », dit-il. Le comité avait déterminé pas moins de 40 problèmes avec le protocole proposé, dont les mauvaises molécules pour anesthésier les animaux. Selon le comité, un tel transfert aurait engendré d’importants risques tant pour les cerfs que pour les humains impliqués.

Le comité d’éthique avait invité Sauvetage Animal Rescue à soumettre une nouvelle proposition pour le déplacement des cerfs, mais cela n’a jamais été fait.

On peut penser que, tant qu’à finir tué par une arbalète, un chevreuil a au moins une chance de survie si on le déplace. Mais le DVaillancourt est loin d’être d’accord avec cette interprétation.

« Mettons que la moitié des animaux meurt à cause du déplacement. On peut dire qu’on a sauvé l’autre moitié. Mais pour ceux qui meurent, on est loin de l’aide médicale à mourir ! On parle de morts spectaculaires avec possibilité de fractures ouvertes, de pneumonies par aspiration, de myopathies généralisées. Ce sont des conditions épouvantables qui ne sont pas acceptables », dit-il.

En bref, les spécialistes incitent à se méfier des parallèles trop faciles entre les deux situations.

1. Consultez un document de Parcs Canada sur les caribous (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue