Il se passe quelque chose de beau au Théâtre La Licorne ces jours-ci. Une expérience humaine qui sollicite nos neurones-miroirs, aussi appelés « neurones de l’empathie », et qui fait appel à notre ouverture au dialogue.

Il s’agit de la pièce de théâtre 5 balles dans la tête, écrite par Roxanne Bouchard et mise en scène par François Bernier.

À l’origine, le texte de cette pièce est un livre publié aux éditions Québec Amérique. Son autrice, Roxanne Bouchard, aussi connue pour ses romans policiers mettant en vedette l’enquêteur Moralès, avait fait une première incursion dans l’univers militaire grâce à une correspondance entretenue avec un soldat du Royal 22e Régiment, Patrick Kègle. Stationné en Afghanistan, Kègle avait le mal du pays et s’était confié à Roxanne Bouchard, alors prof de littérature au cégep. Leur échange épistolaire est devenu un livre, En terrain miné : correspondance entre une romancière et un soldat, qui a mené son autrice à prononcer quelques conférences.

C’est lors d’une de ses allocutions qu’elle a été interpellée par d’autres militaires qui avaient, eux aussi, envie de raconter ce qu’ils avaient vécu en Afghanistan. S’en est suivi un deuxième livre, 5 balles dans la tête, qui donne une voix à leurs témoignages.

Du papier à la scène

J’ai interviewé Roxanne Bouchard en décembre 2017, à la sortie du livre 5 balles dans la tête, une lecture qui m’avait remuée. La parole des militaires – cette antimilitariste affichée en avait rencontré une trentaine – était saisissante et dérangeante.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Roxanne Bouchard, autrice de 5 balles dans la tête

Certains des témoignages étaient très intimes, certaines confidences étaient prononcées du bout des lèvres. J’étais curieuse de découvrir comment ce texte si fort avait été transposé à la scène.

Le résultat est une réussite et donne lieu à une performance tout aussi puissante que le livre. Sur scène, les acteurs incarnent avec beaucoup de justesse et d’humanité ces militaires écorchés, abandonnés par la société, conscients d’être allés faire la sale job dont personne ne voulait, au nom d’une cause qui leur semblait plus ou moins justifiée. Revenus au pays avec leurs blessures physiques et psychologiques, ils se sont retrouvés seuls avec leur syndrome post-traumatique. Une vraie tragédie.

Le pouvoir de l’empathie

Il y a un abîme entre la réalité des militaires et la nôtre, civils habitués à vivre dans notre confort et à nous fermer les yeux quand il est question de l’armée, de ses moyens et de sa réalité.

Pourtant, l’espace de 1 heure 40 minutes, la magie du théâtre fait en sorte qu’on se glisse dans leurs bottines et qu’on vit par procuration leurs peurs et leur douleur.

Grâce à nos fameux neurones-miroirs, nous ressentons leurs déchirements et leurs frustrations. C’est ça, l’empathie : être capable de se mettre à la place d’autrui. Ce qui ne veut pas dire qu’on devient promilitariste pour autant. Comme le dit l’autrice Roxanne Bouchard, « je suis plus que jamais pacifiste ».

Le dialogue provoqué par la pièce 5 balles dans la tête est triple. Il y a un échange entre les comédiens et les militaires qu’ils incarnent. Il y a l’échange entre le public et les comédiens. Puis il y a une troisième conversation, très riche, entre le public et un ancien militaire invité par la production de la pièce pour répondre aux (nombreuses) questions des spectateurs.

Dimanche après-midi, les questions se bousculaient et j’ai l’impression qu’on aurait pu passer la soirée dans la salle La Grande Licorne tellement le désir d’échanger était palpable. L’ancien combattant Alexandre Auclair, qui a séjourné six mois en Afghanistan, répondait sans tabous aux questions de la salle lors d’un échange riche, respectueux et très instructif.

Quand je lui ai demandé ce que cela lui avait fait de voir la pièce, il m’a répondu sans hésiter : « Si on veut comprendre ce qui s’est passé en Afghanistan, il faut la voir. C’est ça ! Tout est là. » Il a également confié que la lecture du livre de Roxanne Bouchard, il y a quelques années, avait provoqué chez lui une réaction qu’il n’avait pas prévue : « Je lisais et c’est comme si j’étais ramené là-bas. Je sentais la chaleur des rayons du soleil sur ma peau, j’entendais le vent… »

Cette lecture lui a fait réaliser que même s’il était de retour de mission depuis longtemps, il n’allait peut-être pas aussi bien qu’il le croyait. Le livre de Roxanne Bouchard a ouvert une porte qui lui a permis de revenir sur ce qu’il avait vécu, et qu’il avait enfoui.

À l’écouter parler dimanche, je me disais que de participer à ces échanges était tout aussi bénéfique pour lui que pour les gens dans la salle.

Quand a-t-on l’occasion d’échanger librement avec un ancien militaire dans un contexte où tout le monde se sent accueilli et écouté sans jugement ? Rarement.

Roxanne Bouchard a fait œuvre utile, il n’y a aucun doute.

Je me suis mise à rêver à un exercice semblable pour les personnes itinérantes, les personnes souffrant de problème de santé mentale, bref pour tous les gens qui sont marginalisés dans notre société et qu’on écoute rarement.

La pièce 5 balles dans la tête nous rappelle que l’empathie est au cœur du dialogue. Peu importe le fossé qui nous sépare, il existera toujours un point de rencontre.

5 balles dans la tête est présentée à La Licorne jusqu’au 6 avril.

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