Pendant mon mandat comme ministre de la Condition féminine, j’ai fait la connaissance de membres du comité des femmes agricultrices de l’UPA. Les échanges avec ce groupe de femmes très engagées m’avaient sensibilisée à un milieu qui m’était assez étranger, dois-je admettre. J’aurais dû m’y intéresser bien avant.

J’ai eu l’idée d’aller rencontrer Valérie Fortier, présidente récemment nommée des Agricultrices du Québec, afin de mieux connaître – et faire connaître – celle qui parle ouvertement de la tragédie qu’elle a traversé il y a 10 ans : le suicide de son conjoint, père de leurs trois jeunes enfants. Les épreuves qu’elle a dû surmonter sont bien contemporaines des enjeux en agriculture.

Valérie est une battante à tous égards. Jeune, elle hésitait entre trois métiers : le droit, « pour défendre le monde », explique-t-elle, la mécanique et la gestion agricole, pour poursuivre le travail de son père. Même si elle a plusieurs frères, c’est finalement elle qui s’associera à son père pour poursuivre l’exploitation de la ferme laitière familiale située dans le Centre-du-Québec.

L’entreprise possède actuellement une cinquantaine de vaches et plusieurs acres de culture. Tenir une exploitation agricole, défendre des droits et réparer des moteurs, elle réussira à faire tout cela !

Valérie Fortier a 39 ans et ses enfants sont maintenant âgés de 13, 15 et 17 ans. Il y a 11 ans, elle s’est retrouvée, à la fin de sa vingtaine, seule avec trois jeunes enfants, bouleversée par la fin tragique de son conjoint.

Elle a heureusement été soutenue par son père, qui habitait la maison familiale. On peut imaginer le défi de tout concilier, à travers les horaires très contraignants.

Elle devait alors se lever à 4 h 30 pour aller à l’étable, après avoir préparé « les petits kits d’habillement des enfants » et le déjeuner que le grand-père supervisait. Par la suite, il fallait conduire les trois petits à la garderie et à l’école, pour ensuite continuer le travail à la ferme… jusqu’au retour de l’école et de la garderie où l’attendaient les devoirs, le souper, la traite et les soins pour les vaches, puis les bains, les histoires et les dodos.

Heureusement, Valérie était déjà assez organisée ! « Par exemple, j’ai allaité mes bébés partout, y compris dans les allées de l’étable. C’était plus simple que d’aller faire chauffer des biberons ! », dit-elle simplement.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Valérie Fortier est présidente des Agricultrices du Québec.

Détermination est probablement le mot qui la décrit le mieux. « Avec la force de caractère que j’avais, si je n’avais pas réussi à passer à travers l’épreuve du suicide de mon conjoint, je m’en serais voulu longtemps. Autant j’ai trouvé cela difficile, autant il fallait que je m’en sorte. J’avais une ferme et trois enfants dont je devais m’occuper. »

Elle s’est fait accompagner, ainsi que ses enfants, par des intervenants et elle a suivi une formation de sentinelle pour la prévention du suicide. La première année qui a suivi cette épreuve a été très difficile, « surtout à cause du jugement des gens », ajoute-t-elle. « J’ai été quelques mois à ne pas sortir de chez moi. C’était terrible, le jugement ! En plus, tu le prends toi-même comme un échec personnel. Qu’est-ce que j’ai fait, ou aurais dû faire ? »

Elle a décidé d’aborder publiquement la question du suicide de son conjoint et des conséquences sur la famille, « pour tenter de sauver des gens qui vivent ça et qui tentent de se remonter de cela ».

Elle aurait pu se contenter de mettre toutes ses énergies au service de ses lourdes responsabilités familiales et professionnelles. Elle a au contraire décidé, plusieurs mois après la tragédie familiale, de s’engager aussi dans la politique agricole. « Je voulais montrer à mes enfants qu’on pouvait être forte dans la vie ! ».

Elle s’est donc impliquée d’abord avec les producteurs de lait au niveau régional, puis a occupé divers postes jusqu’à être nommée, à l’automne 2023, présidente nationale des Agricultrices du Québec. Sa motivation ? « Ça va donner quoi si on se plaint tout seuls chez nous ? Il faut s’impliquer, aller aux réunions et dire ce qu’on a à dire ! »

Et des choses à dire, Valérie Fortier n’en manque pas ! Ses défis les plus importants incluent le dossier des garderies avec heures d’ouverture adaptées pour soutenir les agricultrices qui travaillent selon des horaires très atypiques, obtenir un crédit d’impôt pour le calcul du travail non salarié de ces femmes trop souvent encore dans l’ombre du mari et, finalement, faciliter l’accès au financement pour celles qui veulent créer leur propre entreprise. « Les femmes veulent développer leurs propres projets, mais les banques ne les soutiennent pas. »

Évidemment, elle s’intéresse à toutes les initiatives d’accompagnement en lien avec les enjeux de santé mentale, me précisant que les travailleuses de rang (profession essentielle en agriculture) sont très occupées à dépister et orienter les agriculteurs aux prises avec de tels défis vers des ressources appropriées.

Elle s’anime aussi lorsqu’elle parle de la robotisation, qui peut permettre, entre autres, aux agriculteurs et aux agricultrices de mieux concilier le travail et la famille. Elle regarde d’ailleurs avec plaisir son aînée maintenant âgée de 17 ans étudier en mécanique agricole.

Il faut préparer la relève parce que de la relève, il n’y en a presque plus !

Valérie Fortier, présidente des Agricultrices du Québec

Valérie Fortier impressionne. Dotée d’une énergie considérable, elle s’est impliquée dans tout : l’école, le sport, la politique agricole, la santé mentale, les agricultrices, l’entretien de sa machinerie (elle répare elle-même sa fourragère !), la robotisation de son étable, et même l’aide à des jeunes en difficulté.

Si on cherche une définition à l’engagement et au courage, je crois qu’on trouve chez cette agricultrice un modèle inspirant qui nous donne espoir en ce monde dur et individualiste. Elle s’ajoute à tant d’autres femmes dont on ne parle pas assez et qui méritent toute notre admiration.

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