L’économie n’est pas ce qui m’alarme en ce début de 2024, mais plutôt les risques géopolitiques qui s’accroissent, notamment Trump 2.0, l’utilisation malfaisante de l’intelligence artificielle (IA) et le réchauffement climatique.

Même si je suis porté à voir le verre à moitié plein, je suis plus inquiet que jamais, malgré le confort personnel d’une semi-retraite.

Après plusieurs années à qualifier la situation économique de « sans précédent », peut-être reviendra-t-on à une relative normalité, quoique par définition, on ne puisse écarter les surprises, et que les défis demeurent nombreux.

Sur le plan géopolitique, toutefois, pas besoin de surprise pour sentir des palpitations.

Pile ou face, Trump sera réélu ou pas en novembre. La version 2.0 serait pire sans la poignée d’adjoints compétents et intègres de son premier mandat pour contenir ses pulsions fascistes et revanchardes. Au contraire, des radicaux rassemblés par l’Heritage Foundation lui planifient un programme rétrograde.

Le risque géopolitique numéro 1 dans le monde est le grave dysfonctionnement politique des États-Unis, estime Ian Bremmer, patron d’Eurasia, un influent cabinet de consultants⁠1. L’élection présidentielle imposera à la démocratie américaine son plus grand test depuis la guerre civile. Mais pile ou face, la moitié des Américains seront furieux du résultat, augurant des lendemains périlleux.

La grande enquête annuelle du World Economic Forum (WEF) auprès de 1500 spécialistes du risque place la désinformation en tête de la liste des dangers les plus menaçants au cours des deux prochaines années, et le clivage social qu’elle exacerbe, au troisième rang⁠2.

L’hypertrucage de l’information facilité par l’intelligence artificielle menace l’intégrité d’élections partout dans le monde, alors que 3 milliards de personnes seront appelées aux urnes en 2024.

L’élection de Trump pourrait mener au retrait des États-Unis de l’OTAN et à une complaisance envers Moscou, aux dépens de l’Ukraine et des alliés européens. Dans un monde plus fragmenté, l’action concertée pour relever les grands défis deviendrait encore plus difficile.

L’année dernière aura probablement été la plus chaude depuis au moins 100 000 ans, estime Copernicus, l’agence climatique européenne. Avec El Niño, 2024 pourrait battre ce record et son cortège de catastrophes.

PHOTO OLIVIER MORIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Iceberg au large du Groenland en août dernier

Les évènements météo extrêmes sont le deuxième risque en importance dans la liste du WEF. Sur un horizon de dix ans, les questions environnementales accaparent les quatre premières places.

On sait techniquement ce qu’il faut faire pour limiter le réchauffement, et les marchés peuvent fournir les capitaux nécessaires. Le principal obstacle est politique, comme on le constate aussi au Canada avec la bruyante campagne contre la taxe sur le carbone et en sourdine, le lobby des pétrolières.

Ces combats d’arrière-garde aggravent le sort des populations vulnérables du Sud et accroissent les pressions migratoires que nos sociétés démocratiques peinent à gérer.

La politique et l’économie s’influencent mutuellement dans les choix de société. Cependant, on surestime l’impact, souvent passager, des crises géopolitiques sur l’économie.

Le ralentissement du trafic de marchandises dans le canal de Panama, en raison du faible niveau d’eau, et dans le canal de Suez, causé par les attaques des houthis dans la mer Rouge, forcent de coûteux détours qui pourraient freiner la désinflation.

Par hasard, j’ai retrouvé un travail de session sur la guerre des Six Jours, survenue en 1967 entre Israël et ses voisins arabes, que Céline Galipeau et moi avions remis il y a 45 ans, dans un séminaire de science po à McGill. Malgré de longues pauses, ce tragique feuilleton ne finit jamais et pourrait encore embraser la région et pousser le prix du pétrole à la hausse.

L’incertitude politique complique et retarde des décisions d’investissement, pressantes pour la décarbonation de l’économie et pour accroître sa productivité. Pour autant, ces risques n’annoncent pas de crise économique en 2024.

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Grand maître de la désinformation qui exploite sans vergogne le riche filon des frustrations, Trump a lavé le cerveau d’une grande partie des Américains sans même recourir – encore – à la magie de l’IA. Par exemple, le quart de nos voisins pensent que c’est le FBI qui a fomenté la tentative de coup d’État du 6 janvier 2021, selon un récent sondage de Washington Post3.

On se berce d’illusions à se croire à l’abri des tensions américaines, qui dépassent Trump et touchent plusieurs pays. Ici également, on observe les premiers signes d’une droite plus dure, décomplexée et xénophobe.

Ce risque gravissime impose aux gens lucides de se mobiliser pour préserver la démocratie et le respect des faits. Un ami relecteur qui partage mes inquiétudes propose cette citation de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne : « Point n’est besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer. » C’est aussi, dit-il, ce qu’on appelle le courage…

1. Lisez le rapport d’Eurasia sur les principaux risques en 2024 (en anglais) 2. Lisez le Global Risks Report 2024 du World Economic Forum (en anglais) 3. Lisez l’article du Washington Post (en anglais ; abonnement requis) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue