En ce mois de déprime hivernale, à quelques jours de la vague de sensibilisation annuelle à la santé mentale, voici mon témoignage : à pareille date l’an dernier, j’étais en manie avec épisodes psychotiques.

Fin décembre 2022. Au lendemain d’une retraite de méditation, je me réveille en croyant que les résidants de la place sont la version réelle des X-Men. L’enseignant guide, un homme chauve, le professeur X. Dans les jours qui suivent, je m’investis d’une mission inspirée de La Matrice.

J’ai quelque peu calmé mes esprits pendant le temps des Fêtes, en attribuant mes délires à des effets inusités de la retraite de méditation. Puis, fin janvier 2023, il pleut à Montréal. Je suis convaincu d’en être la cause. Dans mon appartement, j’avais fait la danse de la pluie au son de Make It Rain de Fat Joe et Lil Wayne.

J’ai donc passé une semaine à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (autrefois l’hôpital Louis-H. Lafontaine). C’est cloîtré là que j’ai célébré mon anniversaire, qui correspondait ironiquement à la journée Bell Cause pour la cause. La veille, j’ai regardé le Canadien en attendant qu’un hommage me soit rendu à la télé.

Au terme de mon séjour, j’avais reçu un diagnostic : maladie affective bipolaire de type 1. Ça se caractérise, grossièrement, par un ou plusieurs épisodes de manie accompagnés ou non d’épisodes dépressifs. C’était pour moi une surprise, parce que je n’avais jamais soupçonné dans ma vie la bipolarité, généralement diagnostiquée au plus tard au début de l’âge adulte. Aujourd’hui, après une terrible année riche en découvertes, je m’estime chanceux et privilégié de bien me porter.

Pourquoi donc ce coming out ?

Je ne m’y sens pas obligé. En fait, quelques personnes m’ont déconseillé de le faire, considérant une certaine stigmatisation persistante. À mon avis, voilà justement une raison de prendre la parole afin que la maladie mentale soit davantage normalisée. À 40 ans, près de 50 % de la population canadienne souffre ou a souffert d’une maladie mentale. Souvent en cachette. Comme si tout le monde souffrait, tout seul.

Or, c’est parce que les maladies mentales sortent des tabous que j’ai moi-même accepté mon diagnostic relativement ouvertement. Grâce à des personnes comme Varda Étienne et Michel Mpambara, la bipolarité m’était vaguement familière. À mon tour, je souhaite contribuer à faire tourner la roue de la parole afin que les personnes et les familles vivent la maladie mentale avec plus d’information et moins de honte.

Je ne souhaite pas circonscrire ma vie publique à la promotion de la santé mentale. Par contre, il me semble qu’elle a un lien avec la plupart des enjeux sociétaux et planétaires. Comme l’expérience de la maladie influence mes opinions sur ces enjeux, je préfère être transparent.

D’emblée, je constate que la médecine traditionnelle traite la bipolarité strictement comme une pathologie. Sans rejeter la psychiatrie, j’ai l’intime conviction que certains pans du phénomène lui échappent, d’autant plus que ma crise s’est déclenchée à la suite d’une aventure spirituelle encore mystérieuse pour moi. En décantant le tout, une question demeure : dans une ère où la pensée rationnelle domine, quelle place pour le sacré ?

Plus tangiblement, j’ai réfléchi au fait que notre sort dépend des autres et de notre environnement. J’ai le souvenir encore saillant de cette migrante haïtienne aux urgences de l’Institut de santé mentale. Dans sa recherche de refuge, quels évènements l’avaient menée là ? Et quelles ressources pour elle dans les circonstances ?

Aux repas, j’ai eu une réflexion similaire, alors que la nourriture, infecte pour moi, semblait délicieuse pour mes compagnons de table les plus poqués, ceux qui avaient besoin d’une maison de transition après l’hospitalisation, faute de logis.

De mon côté, mes proches ont été d’un précieux soutien. À toutes les étapes de la crise, ma copine a fait preuve d’une compréhension et d’un amour sans bornes. Mes parents, quant à eux, m’ont offert leur présence attentionnée, loin des pires préjugés. Tous les trois étaient là pour m’épauler au palais de justice de Montréal lorsque l’Institut a sollicité au tribunal une ordonnance de garde visant à poursuivre l’évaluation de mon état. C’était en salle 14,11, la même où j’ai représenté un hôpital dans des dossiers similaires plus de dix ans auparavant.

L’éducation aura joué en ma faveur pour me débrouiller avec ces procédures. Mais aussi pour comprendre la maladie et naviguer dans le système, que ce soit pour raccourcir des délais de rendez-vous déraisonnables, insister sur des soins ou remettre en question des traitements.

Alors que notre société échappe parfois des vies, l’ensemble de mes privilèges (éducation, réseau de proches, stabilité financière) aura peut-être sauvé la mienne, d’autant plus que la manie de janvier a cédé sa place à la dépression en février. Mon épuisement extrême du jour rencontrait mon insomnie tout aussi extrême la nuit. Je n’étais confortable ni assis, ni debout, ni couché, nulle part. C’était la première fois que j’avais des pensées suicidaires, sans raison autre que l’envie d’arrêter cette souffrance rampante partout dans mon corps. Je me suis senti loser chaque fois que j’ai composé le 1 866 APPELLE, mais je n’ai regretté aucun appel.

Des encouragements d’amies aux sourires de mes neveux et nièces, bien des bonheurs m’ont aidé à traverser cet enfer. Entre autres, la musique a été un magnifique refuge. L’album Inscape d’Alexandra Stréliski pour me calmer et m’insuffler une dose de beau, la chanson Invaincu de Stromae pour célébrer que j’étais en vie, et, pour m’encourager à la poursuivre, la chanson Carry on de mon frère Imposs.

Aux personnes qui traversent une rude épreuve, je dirais comme lui :

Quand les cloches carillonnent

Mais ton cœur dit ; Carry on

Carry on

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Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, appelez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553).

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide