Où trouver de l’espoir en ce début d’année ?

On vous comprendrait de ne pas miser trop fort sur un médicament qui coûte le prix d’une luxueuse maison de bord de mer (environ 3 millions de dollars canadiens), qui nécessite plusieurs semaines d’hospitalisation pour être administré et qui n’est même pas offert au Canada.

Pourtant, le Casgevy débarque dans le paysage médical entouré d’une aura de révolution. Et, fait intéressant, des chercheurs québécois ont joué des rôles cruciaux dans l’élaboration de ce nouveau traitement.

Approuvé aux États-Unis à la toute fin de l’année dernière, le Casgevy s’attaque à la maladie falciforme, aussi appelée drépanocytose.

Mais c’est surtout par son mécanisme d’action que ce médicament soulève l’enthousiasme. Il s’agit en effet du tout premier à s’appuyer sur une technique génétique qui fait énormément parler depuis quelques années. Une technique qui porte un nom de code digne d’un film d’espionnage : CRISPR-Cas9.

CRISPR-Cas9 est souvent décrit comme un « ciseau moléculaire ». Mais l’analogie que je préfère est celle du traitement de texte.

Un logiciel comme Word permet de trouver un mot parmi des milliers d’autres dans un texte, de le couper, puis de le remplacer par un autre.

CRISPR-Cas9 fait exactement la même chose avec l’ADN, le code même de la vie. Il peut repérer une séquence problématique et la remplacer par une autre, saine. C’est la fonction « couper-remplacer » de la génétique.

Après des années de battage médiatique sur les possibilités qu’ouvre cette technique permettant de remodeler le vivant, le Casgevy nous permet enfin de voir du concret. Et cela pourrait créer un précédent.

« Les nouveaux produits issus de la technologie CRISPR-Cas9 représentent une grande révolution pour la médecine. On en a pour des années à en récolter les produits révolutionnaires », estime Bertrand Bolduc, un pharmacien qui suit le développement de nouveaux médicaments de près.

Pour comprendre le fonctionnement de Casgevy, rien de mieux que de prendre l’exemple d’un patient qui l’a utilisé.

Jimi Olaghere est un Américain atteint de la maladie falciforme qui fut l’un des premiers à tester le traitement dans le cadre d’une étude clinique. Il a raconté son histoire à la MIT Technology Review1.

À cause d’un défaut génétique, M. Olaghere était incapable de produire correctement de l’hémoglobine, la protéine qui transporte l’oxygène dans le sang. Résultat : ses globules rouges déformés bloquaient sa circulation sanguine, provoquaient d’intenses crises de douleur et minaient sa santé de toutes sortes de façons.

Intervenir sur chacun des globules rouges de M. Olaghere aurait été impossible : ils sont trop nombreux et meurent et se renouvellent sans cesse. Les médecins ont donc ciblé les usines qui fabriquent ces globules rouges : les cellules souches.

Des cellules souches ont été extraites de la moelle osseuse de M. Olaghere. Elles ont été modifiées grâce à CRISPR-Cas9 pour leur permettre de générer des cellules sanguines capables de produire de l’hémoglobine correctement.

Pendant ce temps, on a fait subir à M. Olaghere une chimiothérapie intense et difficile. L’objectif : éliminer les cellules sanguines défectueuses afin de faire de la place aux cellules manipulées génétiquement. Puis on lui a transplanté ces nouvelles cellules.

Jimi Olaghere l’écrit très franchement : l’ensemble des interventions n’a pas été de la tarte et l’a fortement ébranlé. Mais la suite s’est avérée une révélation.

« J’ai échappé à l’emprise de la peur. Avant, je pensais constamment que chaque occasion pouvait être ma dernière. Aujourd’hui, le bruit et les rires de mes jumelles de 2 ans et de mon fils de 4 ans résonnent dans la maison et j’ai confiance en ma capacité d’atteindre mon objectif d’être un père pour eux », écrit-il.

Denis Soulières, directeur de la clinique d’hémoglobinopathies et thalassémies au CHUM, utilise lui aussi le mot « révolutionnaire » pour décrire le Casgevy. Il souligne toutefois qu’il faudra vérifier si le médicament reste efficace à long terme et s’il entraîne des effets secondaires imprévus.

« L’ampleur de cette avancée, on va pouvoir la mesurer dans quelques années », dit-il.

Des chercheurs travaillent déjà sur des traitements basés sur CRISPR-Cas9 qui seraient plus faciles à administrer. On pense amener la technique directement dans le corps du patient en utilisant des virus ou des nanoparticules plutôt que d’effectuer les manipulations génétiques à l’extérieur du corps.

Le Casgevy est un médicament très imparfait. Il est coûteux, complexe à utiliser et ne pourra vraisemblablement jamais être utilisé là où il serait le plus utile : en Afrique, là où la maladie falciforme est la plus répandue.

Mais je crois qu’on ne doit pas s’arrêter à ces bémols, aussi gros soient-ils. Je préfère caresser l’espoir que le Casgevy est un premier pas, certes gauche et maladroit, vers une nouvelle façon de traiter les malades.

La filière québécoise derrière le Casgevy

En 2015, deux chercheuses, l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier, remportent le prix Nobel de chimie pour avoir développé le ciseau moléculaire CRISPR-Cas9. Leur histoire est racontée dans le livre The Code Breaker, de l’auteur Walter Isaacson, qui a aussi écrit les biographies de Steve Jobs et d’Elon Musk. Mais ce qui est beaucoup moins connu, c’est que c’est un Québécois, Sylvain Moineau, qui a été le premier à décrire le mécanisme CRISPR-Cas9. En étudiant comment le lait se transforme en fromage, le professeur Moineau, de l’Université Laval, a en effet découvert que des bactéries peuvent découper l’ADN de virus qui tentent de les attaquer. « C’est incroyable, ce qui se passe ! On est loin du fromage, je vais vous le dire ! », m’a-t-il déjà lancé à propos de la révolution génétique qu’il a déclenchée à son insu⁠2. Un autre Québécois, le chercheur Guillaume Lettre, de l’Université de Montréal, a quant à lui découvert la cible qui est utilisée par le médicament Casgevy pour produire de l’hémoglobine saine.

1. Lisez le reportage dans la MIT Technology Review (en anglais) 2. Lisez le reportage « Les 10 découvertes de la décennie » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue