Vous l’avez peut-être remarqué, aux États-Unis, on se gêne de moins en moins pour utiliser le mot « fascisme » lorsqu’on fait référence à Donald Trump ou à ses propos.

On a lu et entendu ce mot et ses dérivés récemment à la suite de nouvelles déclarations incendiaires de l’ancien président républicain sur l’immigration.

« Ils empoisonnent le sang de notre pays », a-t-il – entre autres – déclaré au sujet des migrants en situation irrégulière.

La réplique de la Maison-Blanche, qui avait également dénoncé Donald Trump le mois dernier lorsqu’il avait traité certains de ses opposants de « vermine » (un mot utilisé par Adolf Hitler pour désigner les Juifs), a été rapide et cinglante.

On lui a reproché de « faire écho à la rhétorique grotesque des fascistes et des suprémacistes blancs violents, et menacer d’oppression ceux qui sont en désaccord avec le gouvernement ».

Ce n’est pas la première fois que Donald Trump dénonce et diabolise les immigrants.

PHOTO HERIKA MARTINEZ, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des migrants traversent le Rio Bravo – appelé Rio Grande aux États-Unis – à Ciudad Juárez, dans l’État de Chihuahua, au Mexique.

Ses plus récentes déclarations sont très certainement grossières, odieuses et haineuses. Mais est-il légitime de les qualifier de « fascistes » ?

De façon plus générale, l’ancien président peut-il lui-même être traité de fasciste ?

J’ai posé ces questions à Luca Sollai, chargé de recherche pour l’Europe au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM).

Pour y répondre avec justesse, il faut d’abord s’entendre sur ce qu’est le fascisme.

Le mot est tout particulièrement associé au régime de l’Italien Benito Mussolini. Ce dictateur a été à la tête de son pays pendant une vingtaine d’années, dans la première partie du XXsiècle.

Luca Sollai est aussi chargé de cours spécialisé dans l’histoire de l’Italie, en particulier la période fasciste. Il m’a expliqué que des historiens estiment que chaque régime qualifié de fasciste – celui d’Hitler en Allemagne ou celui de Franco en Espagne, par exemple – dispose de ses caractéristiques propres.

Mais d’autres historiens s’entendent pour « donner un caractère plus universel au fascisme ». Il existe, par conséquent, une définition générale qui comprend toute une série de traits spécifiques à un régime politique fasciste.

En voici la liste…

On parle généralement d’un « mouvement de droite » qui prône « la réduction progressive des oppositions au silence » et pour qui « la violence est utilisée comme moyen légitime », a d’abord résumé l’expert.

On parle aussi d’un régime « qui vise à une sorte d’autarcie économique et où il y a un culte de la personnalité du leader ». À cela s’ajoute un « contrôle très étroit de la société avec de la propagande », où on transmet notamment les valeurs du fascisme via le système éducatif.

Enfin, « il y a aussi une tendance à promouvoir la nation à l’échelle internationale ». Un régime fasciste cherche « à remettre le pays au centre de l’arène internationale comme puissance ».

J’écris ces lignes et je sens que vous allez froncer les sourcils en les lisant. Peut-on traiter Donald Trump de fasciste s’il ne coche pas toutes ces cases ?

« Si on prend le mot d’un point de vue plus historique et sémantique, c’est non », confirme Luca Sollai.

Mais il y a un mais. Et il est crucial.

Au fil du temps, la définition du mot « fascisme » s’est transformée. Son application s’est élargie.

De nos jours, les mots « propos fascistes » sont « appliqués plus largement à des propos particulièrement réactionnaires », précise l’historien.

Donc dans cette conception plus large, c’est sûr que les propos de Trump pourraient être étiquetés comme fascistes.

Luca Sollai, chargé de recherche pour l’Europe au CERIUM

Ça dépend donc de la grille d’analyse qu’on utilise.

J’ajouterais aussi que ça dépend… de Trump !

Il est clair pour moi qu’il s’est encore radicalisé au cours de la dernière année. Tant par ses déclarations que par les idées qu’il met de l’avant.

Et je ne suis pas le seul à le constater.

Il y a quelques mois, l’historien américain Christopher Browning, spécialiste de l’Allemagne nazie et de l’Holocauste, a dit s’en inquiéter.

Cet historien, qui a longtemps refusé de comparer le trumpisme au fascisme, est en train de revoir sa position.

« Je continue de nier que la présidence de Trump était fasciste, mais je crains que s’il remporte un autre mandat à la Maison-Blanche, il ne puisse mériter cette étiquette », a-t-il écrit dans un texte publié par le magazine The Atlantic.

Des journalistes de grands médias américains ont rapporté qu’une vision impérialiste du pouvoir présidentiel serait probablement mise de l’avant de façon décomplexée si Trump remporte l’élection en novembre prochain.

PHOTO KEVIN LAMARQUE, ARCHIVES REUTERS

Donald Trump dans le bureau Ovale, à l’automne 2020

« Les agences gouvernementales et la fonction publique qu’il a dénoncées comme étant “l’État profond” seraient purgées ou politisées, et la “vengeance” qu’il a promise contre ses ennemis serait également mise en œuvre », a résumé l’historien.

Donald Trump se retrouve sous les projecteurs bien malgré lui ces jours-ci parce qu’il a été exclu du scrutin primaire présidentiel du Colorado par la Cour suprême de cet État.

Mais l’ancien président est comme un chat : il a neuf vies.

Et il n’est pas exclu qu’il puisse vaincre Joe Biden.

Si c’est le cas, je prédis que l’utilisation du mot « fascisme » va s’intensifier.

Car Donald Trump promet maintenant aux Américains, comme l’a fort bien décrit Christopher Browning, « quelque chose de beaucoup plus proche de la dictature ».

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