Le Québec vit sa plus importante série de grèves du secteur public depuis des décennies. Qu’est-ce qui achoppe dans les négociations entre les syndicats et le gouvernement Legault ?

On est touché par un conflit de travail principalement pour trois grandes raisons.

Parce que le gouvernement Legault veut davantage de pouvoirs et de flexibilité dans les conventions collectives pour gérer le système d’éducation et le système de santé.

Parce que les syndicats demandent de meilleures conditions de travail pour les employés du secteur public.

Parce que les deux parties ne s’entendent pas sur les hausses salariales en cette période de forte inflation.

Mais concrètement, quels sont les points qui achoppent ? J’en ai discuté avec des sources impliquées des deux côtés dans les négos. Décortiquons les huit points litigieux les plus importants, en éducation puis en santé.

Les salaires

C’est un point de discorde majeur. Le gouvernement Legault offre des hausses salariales quelque part entre 11,8 % et 14,8 % sur cinq ans, et se dit prêt à bonifier cette offre en échange de concessions sur l’organisation du travail. Les syndicats demandent 23 % sur trois ans (27 % sur cinq ans si on ajoute deux années supplémentaires à l’inflation). Si on veut que les employés du secteur public ne s’appauvrissent pas face à l’inflation (en incluant l’an dernier), il faut offrir 17,7 % sur cinq ans.

Je propose de s’entendre sur des hausses salariales de 18,7 % sur cinq ans, soit l’inflation et un rattrapage salarial de 1 %1.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Selon la Fédération autonome de l’enseignement, environ 25 % des enseignantes abandonnent au cours de leurs cinq premières années d’enseignement.

La lourdeur des classes

Les syndicats en éducation souhaitent que Québec réduise la lourdeur des tâches dans les classes et révise la composition des classes. Selon la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), environ 25 % des enseignantes abandonnent au cours de leurs cinq premières années d’enseignement.

La FAE demande entre autres davantage de groupes pour les élèves ayant des besoins particuliers ; une légère diminution du temps en présence d’élèves au primaire ; une hausse du nombre de congés ; une meilleure conciliation travail-famille.

De son côté, Québec offre notamment de financer des aides à la classe (ex. : employées du service de garde qui viendraient aider dans les classes). Les syndicats considèrent que cette mesure, à elle seule, est insuffisante.

Sur le fond, je suis d’accord avec beaucoup des revendications des syndicats. Si on allège la tâche, on va freiner l’exode des enseignants. Mais avec la pénurie, je doute que Québec veuille le garantir dans les conventions collectives.

Moins d’enseignants à statut précaire

Les syndicats veulent moins d’enseignants à statut précaire, et davantage d’enseignants ayant un poste permanent. Québec offre 5000 postes permanents de plus.

Les syndicats ont raison d’insister : il faut réduire le plus possible le nombre d’enseignants à statut précaire.

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Le 28 août dernier, jour de rentrée scolaire au Québec, il manquait 776 enseignantes à temps plein.

Des affectations en juin

Vous vous rappelez, en août dernier, quand il manquait 8500 enseignants à quelques jours de la rentrée ? Québec veut éviter ces rentrées « chaotiques » en procédant à l’affectation de presque toutes les enseignantes au plus tard le 30 juin.

En théorie, c’est une bonne idée.

En pratique, c’est irréaliste, prévient la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement⁠2.

Actuellement, tous les enseignants ayant un poste régulier se font affecter à leurs tâches au printemps, lors de la première séance d’affectation. Une deuxième séance, principalement pour les contrats à temps partiel, a lieu pour les tâches restantes au retour des vacances, en août. Si on fonctionne ainsi, c’est entre autres parce que le financement des écoles dépend de leur nombre d’élèves et que les écoles ne savent pas exactement combien d’élèves elles accueilleront avant le mois d’août (surtout au secondaire avec les cours d’été).

La dernière rentrée « chaotique » est-elle la faute du système d’affectation ou de la pénurie de main-d’œuvre ? Lors de sa première sortie en août (8500 profs manquants !), le ministre de l’Éducation Bernard Drainville avait des chiffres périmés. Quand on a eu les chiffres à jour après la deuxième séance d’affectation une semaine plus tard, le 28 août, il manquait 776 enseignantes à temps plein.

La semaine dernière, il en manquait 598.

À la place du gouvernement Legault, j’abandonnerais cette demande.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Des infirmières en grève devant le Centre hospitalier de l’Université de Montréal. En santé, la mobilité des employés et les primes sont deux des points d’achoppement de l’actuelle négociation.

La mobilité des employés de la santé

Maintenant, passons à ce mammouth qu’est notre réseau de la santé.

Québec veut faciliter la mobilité des employés dans le réseau. Qu’un employé puisse demander plus facilement d’aller travailler dans un autre poste ou un autre établissement.

Québec dit que ces changements de tâche auront lieu seulement de façon volontaire. Le syndicat de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) estime au contraire que la proposition de Québec lui permettrait, dans certaines circonstances, d’exiger des changements d’affectation, que ce soit volontaire ou non. Qui a raison ? La formulation de la proposition n’est pas claire à 100 %, et on ne commencera pas ici à jouer à l’arbitre de grief…

Il faut permettre plus de flexibilité dans les affectations de façon volontaire. Il suffit de préciser que ça s’applique uniquement aux déplacements volontaires.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

En santé, Québec offre des primes différenciées le soir et le week-end dans les endroits où la pénurie de main-d’œuvre est le plus aiguë. La FIQ veut que ces primes s’étendent à l’ensemble des employés du réseau.

Davantage de primes pour les quarts défavorables

Les deux parties veulent des offres différenciées (davantage de primes) pour les quarts de travail les plus défavorables comme la nuit, le soir et le week-end. Ils ne s’entendent pas sur les modalités.

Par exemple, Québec offre des primes différenciées le soir et le week-end dans les endroits où la pénurie est le plus aiguë (ex. : urgences, secteurs 24/7, CHSLD). La FIQ veut que ces primes s’étendent à l’ensemble des employés du réseau.

Québec a raison sur ce point.

L’ancienneté des employés en agence privée

Pour faire revenir les infirmières et employées des agences privées dans le réseau public, Québec veut que leur ancienneté au privé leur soit reconnue. Les syndicats s’y opposent.

C’est injuste pour les infirmières qui tiennent le réseau public à bout de bras, mais il faut être pragmatique. Québec a raison de tenir bon sur cette question.

Des ratios de patients

Pour alléger les tâches, les syndicats demandent que Québec impose progressivement des ratios maximaux de patients par soignant, comme c’est le cas dans les hôpitaux publics en Californie et bientôt en Colombie-Britannique.

C’est une excellente idée et Québec pourrait en faire un objectif gouvernemental, mais il serait étonnant qu’il accepte de l’inscrire dans les conventions collectives.

1. Lisez la chronique « Négos : à 18,7 %, on a une entente ? » 2. Lisez l’article « Impossible d’affecter tous les profs dès juin, avertissent les gestionnaires d’écoles », de Radio-Canada Qu'en pensez-vous ? Participez au dialogue

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