Vous souvenez-vous des petites maisons offertes par Mike Ward en janvier 2022 ? Ébranlé par le sort tragique de Stella Stosik, une femme de 64 ans trouvée morte de froid près de la station de métro Berri-UQAM, l’humoriste les avait proposées à la Ville de Montréal.

On peut résumer ainsi la réponse de la mairesse Valérie Plante à l’époque : « merci, mais non merci ». Il valait mieux trouver des solutions « encadrées et adaptées » aux problèmes d’itinérance, disait-elle.

Presque deux ans plus tard, la crise du logement fait des ravages, le nombre de personnes en situation d’itinérance s’est multiplié dans nos villes et les campements aussi. Soudain, l’idée des minimaisons semble pas mal moins farfelue qu’elle ne l’était.

Quatre experts en ont discuté mercredi dans le cadre du colloque Architecture + itinérance : habiter la ville sans ancrage au logement, organisé par Architecture sans frontières. Devant une salle pleine, des experts sont venus faire part de leur expérience et de leurs réflexions à propos des campements de personnes itinérantes. En 2021, dans le seul arrondissement de Ville-Marie, on en a démantelé 600.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Les « minimaisons » proposées par Mike Ward ont été brièvement installées sur le terrain de l’organisme Ensoleilvent de Drummondville, en 2022.

Quand on démantèle les camps, on invoque presque toujours des raisons de sécurité. « On peut se demander de quelle sécurité on parle », se demande Anna Kramer, professeure adjointe à l’École d’urbanisme de l’Université McGill. Est-ce qu’on s’inquiète de la sécurité des personnes itinérantes ou de la population en général ? demande-t-elle en substance. Car si on s’inquiétait vraiment de la sécurité des personnes itinérantes, on les laisserait vivre en groupe plutôt que de les forcer à se cacher davantage.

Le démantèlement cache aussi une volonté d’invisibiliser l’itinérance. Mais rappelons-nous que ces gens sont en première ligne de la crise du logement. Ce sont eux qui la rendent visible aux yeux du monde.

Anna Kramer, professeure adjointe à l’École d’urbanisme de l’Université McGill

À Portland, la plus grande ville de l’Oregon, on compte déjà une quinzaine de villages de minimaisons qui accueillent entre 20 et 30 personnes chacun, explique Todd Ferry, directeur associé et chercheur au Center for Public Interest Design de la Portland State University.

« On a invité une quinzaine de firmes d’architectes à participer à concevoir des prototypes de minimaisons qu’on a exposés au centre-ville pour que la population les observe, et ce, avant même d’avoir une entente avec la Ville », raconte-t-il. Une façon de dédramatiser le concept et d’ouvrir la conversation avec l’éventuel voisinage de ces villages.

PHOTO ZACH PUTNAM, FOURNIE PAR LA PORTLAND STATE UNIVERSITY

À Portland, la plus grande ville de l’Oregon, on compte déjà une quinzaine de villages de minimaisons qui accueillent entre 20 et 30 personnes chacun.

Pour nous aider à imaginer à quoi peuvent ressembler ces « pods » (c’est ainsi qu’on les appelle à Portland), l’architecte évoque… le Village de Noël sur la place des Spectacles (!). Todd Ferry ne fait pas référence aux queues de castor et aux verres de vin chaud, mais bien à la disposition des maisons en cercle ou en demi-cercle. « Il faut voir ces maisons – qui sont mobiles – comme des véhicules qu’on peut déplacer au besoin, dit-il. À Portland, chaque minimaison est dotée d’une porte et de fenêtres et peut accueillir une personne. On les dispose autour d’un bâtiment commun qui abrite une cuisine, des salles de bains et un lieu de rassemblement. »

Pour Ferry, ce projet représente un retour aux sources de l’architecture et de l’urbanisme, car il a forcé les concepteurs à réfléchir à ce que veut dire « vivre dans la dignité » et « vivre ensemble ».

Vous me direz qu’il fait plus chaud en Oregon qu’à Montréal, et que les minimaisons sont parfaites pour le climat de la côte Ouest. Mais sachez qu’on trouve aussi plusieurs villages de minimaisons en Ontario, preuve qu’un tel projet est réalisable dans des pays qui connaissent l’hiver.

Il serait temps que Montréal aussi s’intéresse aux minimaisons comme une des solutions aux campements, plutôt que de mettre toutes ses énergies dans les démantèlements.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Démantèlement d’un campement de sans-abri sur un terrain sous l’autoroute 136 au centre-ville de Montréal, en juillet dernier

« Un démantèlement, c’est un traumatisme pour les personnes en situation d’itinérance, observe Khaleel Seivwright, un menuisier à l’origine de Toronto Tiny Shelters, un projet de minimaisons construites durant la crise de la COVID-19. Les démantèlements obligent les personnes itinérantes à se relocaliser dans un lieu plus caché et ne changent strictement rien au problème des gens qui refusent de dormir dans des refuges. On déplace des gens, c’est tout. »

Il y a plusieurs raisons qui expliquent que des gens ne se sentent pas bien en refuge et les intervenants communautaires les citent souvent. Permettez-moi de les répéter ici : quand les personnes ont un animal de compagnie, quand elles sont en couple et souhaitent rester avec leur partenaire, ou quand elles ont des problèmes de consommation, le refuge n’est pas une solution pour elles.

Même l’approche Housing First – privilégiée par plusieurs organismes de Montréal – ne convient pas à tout le monde, rappelle David Chapman, directeur exécutif de l’organisme Résilience Montréal qui donne l’exemple de personnes qui ont été évincées de ces programmes. « Les minimaisons sont une idée qui vaut la peine d’être étudiée, dit-il, mais l’ajout de toilettes près des campements serait un bon point de départ. Il faut répondre aux besoins des gens sur le terrain. »

Il y a plusieurs routes qui mènent à l’habitation, mais il n’y a pas de ticket magique.

David Chapman, directeur exécutif de l’organisme Résilience Montréal

Il n’y a pas une seule solution à l’itinérance, et cette vérité a été martelée encore et encore par les panélistes réunis au Cœur des sciences de l’UQAM mercredi. Toutes ces initiatives partent d’une même intention : la bienveillance et l’empathie.

À l’époque où Mike Ward avait proposé ses minimaisons à la Ville de Montréal, la directrice de la Mission St-Michael, Chantal Laferrière, avait lancé l’idée d’un projet-pilote. C’est encore une très bonne idée deux ans plus tard.

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