La démission de la mairesse de Chapais, Isabelle Lessard⁠1, nous donne l’occasion, et la responsabilité, de réfléchir à l’aide dont les élus ont besoin avant, pendant et après la gestion d’une crise. Voici quelques pistes de réflexion.

« Et vous, comment allez-vous, monsieur le maire ?

— Un peu fatigué, mais ma maison est au sec, je ne peux pas me plaindre », répondais-je chaque fois qu’on me posait la question. Je gardais l’air concentré, l’attitude du chef qui est au travail, qui s’occupe de son monde, inébranlable.

Lors des inondations de 2017, j’ai menti comme cela pendant des semaines.

PHOTO MARTIN ROY, ARCHIVES LE DROIT

Maxime Pedneaud-Jobin, alors maire de Gatineau, discute avec un membre des Forces armées canadiennes au printemps 2017.

En vérité, j’étais stressé, presque toujours fatigué, souvent en colère ou triste, complètement imbibé de la souffrance de gens qui perdaient leurs maisons, leurs souvenirs, les investissements d’une vie.

Mais j’avais raison de mentir. D’abord parce que c’était insulter la souffrance des sinistrés que de la comparer à la mienne. Je n’avais rien perdu et, oui, ma maison était au sec. Mais ce n’est pas l’essentiel. Mes mots et mon visage devaient dire aux sinistrés : « Votre ville s’occupe de vous, les élus et le personnel ne vous laisseront pas tomber. Jamais. »

Pour rester fort, je ventilais avec mon équipe au cabinet, ce qui me permettait d’être calme et sûr de moi devant les citoyens et devant les médias. Quand l’équipe a senti que son appui ne suffisait plus, mon épouse a été appelée à la rescousse (elle n’habite pas la même ville que moi, elle s’est installée chez moi pour quelques jours). Elle est toute-puissante, tout s’est replacé.

En situation de crise, les chefs doivent montrer de l’empathie, mais aussi inspirer confiance, rassurer, être forts tout à la fois. Immense défi.

L’ancienne mairesse de Lac-Mégantic Colette Roy Laroche a porté sur ses épaules les souffrances de sa ville, victime de barbares industriels. Le maire Régis Labeaume a tenté de retricoter sa communauté après les assassinats à la mosquée de Québec. L’été dernier, lors des incendies de forêt, Manon Cyr, mairesse de Chibougamau, et des dizaines d’autres élus sont restés à leur poste, sans répit, pour protéger leur municipalité.

La plupart des élus resteront marqués à jamais par ces expériences.

J’invite tous ceux que les difficultés du leadership en situation de crise intéressent à écouter une vidéo préparée à la demande de l’Union des municipalités du Québec (UMQ). Stéphan Bureau y anime une discussion entre la psychologue Rose-Marie Charest et moi⁠2.

Permettez-moi maintenant de donner quelques conseils aux élus, présents et futurs.

PHOTO PATRICK WOODBURY, ARCHIVES LE DROIT

Inondations à Gatineau, en mai 2017

Conseil no 1 : connais-toi toi-même

Avec vos proches ou avec votre équipe municipale, demandez-vous dès maintenant comment vous réagiriez à un stress extrême. Parlez de ce qui vous permettrait de faire votre travail sans craquer (type d’appui administratif, présence d’amis, sommeil, présence ou absence des enfants, etc.). N’ayez pas peur de carrément vous demander si vous seriez vraiment capable de jouer certains rôles : il est, par exemple, possible de trouver un autre porte-parole (le responsable des mesures d’urgence) ou encore de se faire accompagner par un élu qui a plus d’expérience. Si vous pensez faire de la politique municipale un jour, faites cet exercice tout de suite.

Conseil no 2 : n’essayez pas de tout faire

Quand je visitais des sites où des bénévoles construisaient des digues, des citoyens me posaient parfois une question qui se voulait aussi une dénonciation : « Vous ne faites pas de sacs de sable, Monsieur le Maire ? » J’ai fini par répondre directement : « Si je fais des sacs, il y aura un bénévole de plus, mais nous n’aurons plus de maire. Il y a des décisions à prendre, si je suis ici, sur le terrain, c’est pour être certain qu’on prend les bonnes, c’est ça mon travail. Merci de ce que vous faites. »

Conseil no 3 : occupez-vous aussi des conseillers

On parle beaucoup des maires en situation de crise, mais la réalité des conseillers est, elle aussi, difficile. Pourquoi ? À cause de leur impuissance. En situation de crise, le maire a une responsabilité claire et des pouvoirs spéciaux. Le conseiller, lui, n’a du pouvoir que lorsque le conseil siège (c’est aussi vrai pour les députés). Il faut les associer, d’une façon ou d’une autre, à la gestion de la crise. La Ville de Gatineau a un bon guide sur le rôle des élus en situation d’urgence. À lire.

Conseil no 4 : soyez indulgent envers vous-même

J’ai vu des élus ne pas vouloir se coucher le soir, car il y avait encore du travail à faire. Ne pas trouver le sommeil parce qu’ils se demandaient si leurs décisions, si leurs gestes, si leurs mots du jour avaient été les bons. Se lever le matin, honteux d’avoir un peu dormi, car des gens souffraient encore. Soyez indulgent envers vous-même, faites votre possible, c’est tout ce que les gens demandent vraiment.

Un dernier mot. La mairesse de Chapais a eu le courage de parler publiquement de ce qu’elle a vécu. Nous devons, collectivement, en tenir compte. À toutes les municipalités : ajustez tout de suite vos pratiques, la prochaine crise viendra et vos chefs auront besoin d’aide.

1. Lisez l’article « Épuisée, la mairesse de Chapais démissionne » d’Henri Ouellette-Vézina 2. Voyez une captation de la conférence Gérer le chaos, organisée par l’UMQ Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue