Vous trouvez que la mairesse Valérie Plante mène la « guerre à l’auto » et favorise trop les vélos et le transport collectif à Montréal ?

Déposez votre tasse de café et asseyez-vous avant de lire ce qui suit.

C’est vrai, il y a une injustice dans la façon dont on répartit l’espace public pour le transport à Montréal.

Une injustice… à l’égard des cyclistes et des usagers du transport collectif qui prennent l’autobus.

Ces deux modes de transport sont nettement désavantagés par rapport à l’auto : on leur consacre beaucoup moins d’espace sur la voie publique qu’on le devrait.

Ce n’est pas une question idéologique, mais bien mathématique.

Les pistes cyclables occupent 1,3 % de la voie publique pour le transport, alors que le vélo représente 2,6 % des déplacements en kilomètres, selon les chiffres calculés par la Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal.

De leur côté, les voies réservées aux autobus prennent 1,0 % de la voie publique, alors que les autobus représentent 10,7 % des déplacements en kilomètres.

L’auto, elle, est le seul moyen de transport qui n’est pas vraiment désavantagé : les routes occupent 74 % de l’espace, et l’auto représente 76 % des déplacements*.

Et les piétons ? Les trottoirs occupent 18,8 % de l’espace public, pour seulement 11 % des déplacements pour la marche.

Les piétons seraient donc avantagés ? Pas vraiment.

Premièrement, les répondants au sondage sur les déplacements ont tendance à sous-estimer leurs déplacements à la marche.

Deuxièmement, les trottoirs ont d’autres fonctions que le transport (aménagement urbain, plantation d’arbres). Ils sont absolument nécessaires pour l’aménagement urbain. Imaginez une ville sans trottoirs…

Par contre, les routes et les voies réservées pour les autobus ont un point en commun : elles servent uniquement à transporter les citoyens. Elles n’ont pas d’autre fonction.

Selon la directrice de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal, ces chiffres démontrent qu’on utilise mal notre espace sur la voie publique pour les transports. « On est en déficit [d’espace] pour l’ensemble des modes de transport durables [autobus et vélos]. On alloue mal les priorités », dit la professeure Catherine Morency.

PHOTO CAROLINE PERRON, FOURNIE PAR CATHERINE MORENCY

Catherine Morency, directrice de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal

On a depuis toujours un biais pro-auto, proconducteur. L’autre jour, on était 60 personnes dans l’autobus et il y avait, à côté, deux voies remplies d’autos avec un seul passager à bord. Ça ne tient pas la route mathématiquement. Ce n’est pas parce que quelqu’un décide qu’il occupe un gros espace qu’il faut lui en donner plus.

Catherine Morency, directrice de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal

Pourquoi je m’intéresse à cette question ? Il y a un mois, alors que le débat sur l’aménagement d’une piste cyclable sécuritaire à Parc-Extension faisait rage, je me suis demandé quelle place prennent réellement les pistes cyclables à Montréal.

Heureusement, je n’ai pas eu à parcourir la ville avec mon « galon à mesurer ».

La Chaire Mobilité de Polytechnique Montréal avait la réponse : les pistes cyclables occupent 1,3 % de l’espace public. J’ai publié ce chiffre, avec la répartition en pourcentage de l’espace public occupé par chaque mode de transport (vélo, marche, autobus, auto)1.

Ma boîte courriel s’est vite remplie. Et plusieurs lecteurs m’ont posé la même question : il y a peut-être seulement 1,3 % de l’espace public consacré au vélo, mais quelle est la part des déplacements en vélo ? Si les pistes cyclables occupent 1,3 % de l’espace, mais qu’il n’y a que 1,3 % de cyclistes, c’est juste, non ?

Très bonne question, amis lecteurs.

Encore une fois, la Chaire Mobilité avait la réponse.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Avec de meilleurs aménagements, la part du vélo passerait d’environ 2 % à 10 % des déplacements en kilométrage, calcule la Chaire Mobilité.

Première conclusion : les cyclistes sont désavantagés. Il faudrait deux fois plus de pistes cyclables pour que l’allocation de l’espace reflète la popularité actuelle de ce moyen de transport.

Deuxième conclusion : les usagers des autobus sont encore plus désavantagés. En théorie, il faudrait 10 fois plus de voies réservées.

Ces chiffres, les plus récents, datent de 2018. L’enquête sur les déplacements est effectuée tous les cinq ans**.

La Chaire Mobilité ne m’a pas seulement donné le portrait actuel de la situation des transports. Elle a aussi calculé la demande potentielle pour le vélo et le transport collectif. Elle a cherché à savoir qui utiliserait ces modes de transport si c’était possible, raisonnable et compétitif en temps de parcours pour eux de le faire.

Par exemple, si vous devez accompagner votre mère à l’hôpital, ce déplacement continuera de se faire en auto. Il n’est pas transférable, peu importe la distance parcourue.

Les résultats de cette analyse sont fascinants. (Cette fois-ci, la Chaire a inclus les déplacements en métro, ce qui modifie les chiffres du tableau précédent pour tous les modes de transport.)

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le transport collectif (métro et autobus) a le potentiel d’être aussi populaire que l’auto, avec chacun 41 % des déplacements en kilométrage, estime la Chaire Mobilité.

La Chaire calcule que le transport collectif (métro et autobus) a le potentiel d’être aussi populaire que l’auto, avec chacun 41 % des déplacements en kilométrage. Actuellement, c’est environ 61 % pour l’auto et 30 % pour le transport collectif.

Le vélo, lui, passerait d’environ 2 % à 10 % des déplacements en kilométrage.

Selon ce scénario, plusieurs Montréalais délaisseraient leur voiture pour un combo vélo-transport collectif l’été, et du transport collectif l’hiver.

Évidemment, on est très loin de tout ça en pratique.

Mais ça donne une idée à quel point on n’exploite pas assez le potentiel du vélo et du transport collectif.

* Les espaces de stationnement dans les rues sont comptabilisés dans l’espace des routes.

** L’enquête sur les déplacements est effectuée l’automne (septembre à décembre). Pour le vélo, ça donne des chiffres relativement représentatifs de l’ensemble de l’année. Il y a beaucoup de cyclistes en septembre, un peu moins en octobre, peu en novembre, et seuls les cyclistes hivernaux roulent en décembre.

1. Lisez « Ces pistes cyclables qui occupent 1 % de l’espace… » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue