Je me souviens encore de l’espèce de vertige qui m’avait assailli. Je sortais d’un auditorium de l’Université de Montréal où Hubert Reeves s’était adressé à une assemblée formée en majorité d’étudiants comme je l’étais.

« Nous sommes tous des poussières d’étoiles », nous avait-il dit avec ses éternels petits yeux brillants et ce léger sourire qui ne le quittait jamais.

J’avais déjà lu la phrase dans ses bouquins. Et je savais que les atomes de carbone, d’oxygène et d’azote qui composent les êtres vivants ont été formés au cœur des étoiles il y a des milliards d’années, puis catapultés dans l’Univers lors des supernovæ.

Mais entendre Hubert Reeves l’énoncer de sa voix douce et si particulière m’avait atteint au plexus.

Soudain, son affirmation était plus qu’une magnifique phrase (et ça en est tout une, il faut le dire). C’était aussi davantage qu’une information scientifique. C’était quelque chose que je ressentais.

Entre le pavillon de l’université et ma minuscule chambre des résidences du même campus, j’avais levé les yeux au ciel pour voir des étoiles. J’avais dû en apercevoir deux ou trois à travers les lumières de la ville. C’était assez pour me faire sentir l’immensité du cosmos. Et pour ressentir, en comparaison, mon extrême, absurde et presque grisante petitesse.

Je venais de goûter à la touche magique d’Hubert Reeves.

Depuis l’annonce de sa mort, vendredi, on dit beaucoup qu’Hubert Reeves fut un grand vulgarisateur. C’est indéniable. L’astrophysicien fait partie de ces chercheurs qui ont choisi de sortir du cercle restreint de leurs pairs pour faire partager leurs connaissances au grand public. Il sera toujours un géant de la vulgarisation scientifique.

Mais le terme de vulgarisateur me semble presque réducteur tellement il occulte une dimension fondamentale de son travail.

Parce qu’Hubert Reeves a fait beaucoup plus que nous faire comprendre des notions sur le cosmos et, plus tard, sur la nature et la crise écologique.

Il s’est adressé à nos émotions comme peu de scientifiques l’ont fait.

Il suffit d’avoir lu ses livres ou écouté ses conférences pour comprendre que lorsqu’Hubert Reeves faisait partager ses connaissances, c’était dans le but de nous transmettre quelque chose d’encore plus important pour lui : son émerveillement face à l’Univers.

PHOTO LOÏC VENANCE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Hubert Reeves, en 2016

« J’ai voulu donner à contempler et à comprendre », écrit-il sur la quatrième de couverture de Poussières d’étoiles, affirmant que ce livre « voudrait être une ode à l’univers ».

Dans mon cas, le truc a si bien marché que ce livre, avec d’autres, a contribué à me propulser vers des études en physique qui ont occupé une bonne partie de ma vie de jeune adulte.

Le virage écologique d’Hubert Reeves s’inscrit dans le même désir de communiquer son attachement pour la beauté de la Terre et ses préoccupations face à la fragilité des écosystèmes.

« Attentif aux sons et aux odeurs, je m’éveille à la présence tranquille du monde végétal. Je me sens vivant, à la surface de la planète Terre, à l’instant présent de l’évolution de l’univers », écrit-il dans Malicorne, faisant le pont entre astronomie et écologie avec ce regard toujours très personnel.

Sous les concepts scientifiques qui auraient pu être complexes et désincarnés, il y avait toujours ce retour à l’humain, à ce que nous sommes, à la façon dont le monde nous interpelle et nous fait vibrer. Hubert Reeves voulait nous faire comprendre pour nous faire ressentir.

Pour moi, son chef-d’œuvre reste son premier livre de vulgarisation pour adultes, Patience dans l’azur, comme un condensé de ce qu’il développera dans ses ouvrages subséquents. J’ai complètement usé mon exemplaire à force de le feuilleter et de le pousser dans les mains de mes amis. Je ne l’ai d’ailleurs pas retrouvé, vendredi – j’espère que celui ou celle qui l’a gardé l’a lu et apprécié.

En nous disant que nous sommes des poussières d’étoiles, Hubert Reeves nous a fait réaliser que nous ne sommes rien de plus que des assemblages d’atomes. De brèves structures temporaires dont les composants, comme des blocs Lego, ont servi à fabriquer d’autres structures avant nous et prendront d’autres formes après notre mort.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Hubert Reeves, en 1973

C’est maintenant au tour d’Hubert Reeves de redonner à la nature les atomes fabriqués dans les étoiles qui lui ont permis de vivre 91 ans sur Terre.

L’émerveillement qu’il nous a transmis, lui, reste. Tout comme ce sentiment de mieux comprendre – et de mieux apprécier – notre place dans l’Univers.

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