Le jour de la disparition d’Hubert Reeves, ses réflexions lumineuses sur la vie et la mort nous sont revenues en mémoire. Il était l’un des 14 octogénaires et nonagénaires que nous avions interviewés, il y a deux ans, pour notre recueil 80, 90, 100 à l’heure !. À l’époque, l’astrophysicien était encore tellement occupé ! Il préparait l’écriture d’un nouveau livre, donnait des conférences… et pratiquait à temps plein l’art de l’émerveillement. Nous vous présentons aujourd’hui un extrait de cet entretien.

Votre autobiographie, que vous avez publiée en 2008, s’intitule Je n’aurai pas le temps. Un titre très évocateur pour quelqu’un d’aussi actif que vous… Pourriez-vous nous en parler ?

C’est le titre d’une chanson populaire de Michel Fugain. Ça veut dire que je n’aurai pas le temps d’explorer un si grand univers. Je surveille de très près les progrès de la science dans tous les domaines. C’est ma passion. Mais je suis frustré à l’idée que, d’ici peu de temps, je ne lirai plus ces revues scientifiques qui m’apprennent tant de choses. Vous voyez, ma frustration est de savoir que la connaissance va continuer à se développer, mais que, moi, je n’y aurai plus accès. Du moins, autant que je sache, parce que je n’ai aucune raison de penser que la possibilité d’apprendre peut se poursuivre au-delà de la mort du corps. Souvent, je me lève la nuit pour apprendre des choses, je me dis que je vais en profiter parce qu’un jour je ne pourrai plus lire mes revues Nature ou Science, celles qui me passionnent le plus.

Attendez… Vous vous levez la nuit par désir de comprendre le monde ?

Oui ! Ça m’est arrivé plusieurs fois quand, par exemple, je savais qu’il y avait un article intéressant qui avait été publié, qui explique quelque chose que je ne connais pas ou que je ne comprends pas. Il m’est arrivé de veiller tard dans la nuit pour essayer de le comprendre. Quand j’étais étudiant, même quand j’étais malade, j’assistais toujours aux cours donnés par de bons professeurs. C’était quelque chose de très important pour moi. C’est comme une urgence de vivre, l’urgence de connaître ce fameux monde dans lequel on est débarqué. J’aimerais comprendre quel est le sens de cette vie. Peut-être que je ne le saurai jamais, et c’est la chose qui me frustre le plus. Qu’est-ce qu’on fait sur cette planète où il y a, à la fois, de si belles et de si vilaines choses ? Où il y a eu les nazis et Mozart ?

Vous réfléchissez aujourd’hui beaucoup plus à ces questions que lorsque vous aviez 50 ans ?

Oui, tout à fait. Et je le vois à travers tous ces gens qui s’intéressent à l’astronomie. Elle attire beaucoup les gens âgés parce qu’ils sentent qu’ils approchent de choses difficiles à comprendre. Ils se disent que l’astronomie, l’univers, a un lien avec ces questions. Je suis moi-même très curieux de tout apprendre sur l’astronomie. Et je veux apprendre d’autres choses. Quand on est jeune, on est actif, on est occupé. Quand on est plus âgé, on revient à ces questions profondes. À quoi ça rime ? À quoi rime cette vie ? Qu’est-ce qu’on fait ici ? Et je crois que la science peut nous apprendre des choses à ce sujet. Pas sur le but ultime de la vie – ça, je crois que ça nous dépasse. Mais sur le cadre de cette vie. Quel est cet univers dans lequel nous existons ? Quelle est cette planète où la vie est apparue ? Pourquoi ne semble-t-elle pas être apparue ailleurs sur une autre planète ? Ces questions me fascinent toujours, je n’arrête pas d’y penser et d’en discuter.

Dans un de vos livres, vous citez Françoise Dolto qui disait, à ceux que sa mort prochaine plongeait dans la tristesse, que « la mort est une chose normale, c’est un évènement lié à la vie ». Est-ce que vous êtes aussi serein qu’elle a pu l’être avec l’idée même de la mort ?

Ça, je ne pourrais pas vous le dire. J’ai souvent parlé avec Françoise Dolto et j’aimais bien sa façon de dire qu’on a beaucoup de chance d’être né, d’être venu au monde, d’avoir connu la vie humaine. J’aimais beaucoup sa façon très sereine d’envisager la mort. Et je me disais qu’après tout, c’est peut-être l’attitude que nous devons prendre. Je pense qu’il faut d’abord se contenter de ce qu’on a, se dire qu’on est extrêmement chanceux, et qu’on ne peut pas en demander plus. Je ne vois pas à quel titre on pourrait le faire. D’autant plus que nous, Canadiens, avons eu des avantages fantastiques si on se compare à d’autres peuples, dont les enfants meurent de faim, où la guerre sévit. Nous sommes de vrais privilégiés. Je n’ai jamais eu faim dans ma vie, je n’ai jamais eu à dormir dehors. Pourquoi ai-je été privilégié ? Je n’en sais rien. Je peux me poser des questions, mais je ne trouverai pas de réponse. Je peux remercier… Remercier qui ? Je dirais que je peux remercier la vie. Je considère ça comme un grand bonheur, une grande chance, d’avoir vécu.

80, 90, 100 à l’heure ! 14 octogénaires et nonagénaires inspirants

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Éditions La Presse

2021