Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité, d’une institution ou d’un dossier qui s’est retrouvé au cœur de l’actualité.

C’est une guerre qui, tristement, monopolise l’actualité cette semaine. Un conflit pas mal plus complexe à expliquer et à commenter que l’invasion de l’Ukraine par la Russie, où les « bons » et les « méchants », pour faire simple, sont plus facilement identifiables.

L’attaque sanguinaire du Hamas en Israël a pris le monde par surprise. Elle nous oblige à replonger dans un conflit complexe, à remonter le fil de l’histoire et à répondre à des questions difficiles.

D’emblée, il y a des choses qui sont claires : l’attaque du Hamas est horrible et il faut la condamner. Ce qu’ont fait tous les leaders politiques au Canada. Autre constat évident : les civils des deux camps souffrent et vont continuer à souffrir.

Mais il y a aussi des questions qui demandent plus de nuance, comme celle de la sympathie ressentie pour les peuples des deux côtés de la frontière. On pleure avec les Israéliens et on comprend leur colère. On pleure aussi avec les Palestiniens et on comprend leur désespoir.

Depuis quelques jours, on entend des Israéliens exprimer un désir de vengeance. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, pour qui ce conflit représente une planche de salut politique, a déclaré qu’il allait pulvériser le mouvement Hamas et on comprend qu’il ne s’enfargera pas dans les fleurs du tapis. D’autres, comme l’ancien premier ministre français Dominique de Villepin, rappellent que « le droit à la légitime défense n’est pas un droit à une vengeance indiscriminée ».

PHOTO JACQUELYN MARTIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre d’Israël, Benyamin Nétanyahou

On entend aussi des Palestiniens se demander à voix haute si leur vie vaut moins que celle de leurs voisins puisque, disent-ils, ils meurent par centaines depuis des décennies dans l’indifférence générale de la communauté internationale.

Marcher sur des œufs

J’en ai parlé avec deux experts. Je ne prétends pas avoir couvert tous les angles de cette crise. Disons qu’ensemble, on a abordé quelques pistes de réflexion.

À commencer par la difficile posture dans laquelle on se retrouve en tant que témoin de tant de violence et de douleur.

Pour Olivier Arvisais, professeur à l’UQAM, « c’est compliqué de se positionner quand des actes horribles sont commis. D’autant plus que la population ne comprend pas bien le conflit. »

Chaque côté a son traumatisme collectif et il est légitime. Cela dit, il est immoral de s’en prendre à des civils et les préoccupations des Israéliens à propos de leur sécurité sont légitimes et valides aussi. Il est important d’aborder cet équilibre.

Olivier Arvisais, professeur à l’UQAM et directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires

« On ne peut pas parler de ce conflit sans parler des causes, du blocus imposé par Israël depuis 17 ans, dans l’oubli total de la communauté internationale », observe pour sa part Miloud Chenouffi, professeur de relations internationales et directeur des études supérieures au Collège des Forces canadiennes à Toronto. Cet expert, membre de la Chaire Raoul-Dandurand, rappelle aussi que « des moyens injustes ne devraient pas être mis au service d’une cause juste », en référence à un principe bien connu en philosophie politique.

Place à la nuance

Les deux experts déplorent que depuis samedi, on entende surtout des positions extrêmes, des voix radicales.

« On va réaliser qu’il y a des voix qui proposent des alternatives à la violence, remarque le professeur Chenouffi, également senior fellow à l’École des affaires publiques et internationales de l’Université York. Pour l’instant, ces voix demeurent inaudibles. Je pense entre autres à quelqu’un comme Mustafa Bargouthi, libéral à la pensée très sophistiquée. Qui le connaît ? Qui l’écoute ? »

PHOTO HATEM ALI, ASSOCIATED PRESS

Palestiniens évacuant des blessés après une frappe aérienne israélienne dans le camp de réfugiés de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, jeudi

Miloud Chenouffi affirme qu’on refuse la parole moderne au peuple palestinien, et qu’on remet les solutions entre les mains des radicaux extrémistes. « Il est important d’écouter toutes les voix palestiniennes », martèle-t-il.

Le professeur et chercheur Olivier Arvisais est du même avis. Il connaît Gaza pour y mener des recherches auprès des enfants. « Il y a beaucoup d’universitaires et d’intellectuels parmi les Gazaouis qui ont des positions très nuancées et très critiques à l’endroit du Hamas, souligne le professeur au département de didactique de l’UQAM. Ces positions, on les entend dans les conversations de café à Gaza, mais on ne les entend pas dans l’espace public. »

« Ce que j’aurais aimé entendre, poursuit le professeur Arvisais, qui est également directeur scientifique à l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaires, ce sont des dirigeants qui s’élèvent au-dessus de la mêlée. On assiste plutôt aux décisions de quelques hommes qui détiennent le pouvoir. Et ce sont de mauvaises décisions qui font souffrir les populations civiles. »

« Il y a des gens des deux côtés qui rejettent la violence », renchérit le professeur Chenouffi.

Quelle voie de passage ?

Pour l’instant, les reportages journalistiques réalisés sur le terrain nous renvoient surtout des images et des propos remplis de sang et de colère, animés par un désir de destruction et de représailles.

« Ça s’explique, étant donné le choc que vient de vivre le peuple israélien, note le professeur Olivier Arvisais. C’est le piège de l’instantanéité. Il n’y a pas de recul, les témoignages sont recueillis à chaud, les gens sont à fleur de peau. »

PHOTO SERGEY PONOMAREV, THE NEW YORK TIMES

Soldats israéliens mobilisés près du kibboutz de Beeri, petite communauté israélienne décimée par les hommes armés du Hamas

Une fois le choc passé, il faudra bien créer un espace pour un discours plus modéré, une voie de passage.

Le professeur Arvisais prône une éthique de l’empathie et de la compassion. « Il faut considérer la souffrance de tous, avance-t-il. Le Hamas fait autant de mal aux Palestiniens qu’il en fait aux Israéliens. Réfléchir à cette crise selon une morale de justice et d’équité est un cul-de-sac, à mon avis. »

« Il faudra du courage pour parler de paix et de négociation, croit pour sa part le professeur Chenouffi. Mais il le faut. Et pour que ce soit bien clair, je ne parle pas de paix d’un point de vue moral, mais bien d’un point de vue stratégique. Il n’y aura pas de solution militaire à ce conflit. »

Trente ans après la poignée de main historique entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, le monde aurait bien besoin d’un nouveau signe d’espoir.

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