Chaque vendredi, nous revenons sur la semaine médiatique d’une personnalité ou d’une institution qui s’est retrouvée au cœur de l’actualité.

Il ne faisait pas bon s’appeler Anthony Rota cette semaine. Le président de la Chambre des communes s’est illustré pour les mauvaises raisons, attirant la honte sur ses collègues et le Canada tout entier. Quand vos collègues, y compris Diane Lebouthillier, qui est loin d’être la députée la plus féroce à Ottawa, réclament votre démission haut et fort devant les caméras, c’est que les choses vont très mal. Et quand tous les médias du pays se mettent de la partie, disons que le message ne peut être plus clair.

PHOTO DAVE CHAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, serrant la main d’Anthony Rota à la Chambre des communes, vendredi dernier

Rappelons les faits pour ceux qui auraient été privés de WiFi au cours des derniers jours : vendredi dernier, à l’occasion de la visite au pays du président ukrainien Volodymyr Zelensky, le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, avait invité quelques personnes à sa tribune, dont un dénommé Yaroslav Hunka, citoyen de sa circonscription. Or, il s’est avéré que durant la Seconde Guerre mondiale, M. Hunka était membre de la 14division de la Waffen-SS, créée par le régime nazi, ce que les élus fédéraux présents ce jour-là ignoraient. M. Hunka, 98 ans, a donc eu droit à une ovation à laquelle a participé le président ukrainien. L’image a fait le tour du monde, provoquant un vrai incident diplomatique. La honte, disions-nous.

L’information a été connue dès dimanche, mais il faut croire que M. Rota n’a pas bien mesuré la gravité de son erreur et l’ampleur de sa responsabilité. Sous pression, il a attendu à mardi pour démissionner. C’est tard.

Et ça donnait la malencontreuse impression que le président s’accrochait aux avantages liés à sa position (maison, chalet, chauffeur…). Rien pour diminuer le cynisme à l’endroit des politiciens. J’aurais bien aimé en discuter avec lui, mais son bureau a décliné ma demande d’entrevue.

PHOTO PATRICK DOYLE, ASSOCIATED PRESS

À droite, l’ancien soldat nazi Yaroslav Hunka, à la Chambre des communes vendredi dernier. Durant la Seconde Guerre mondiale, M. Hunka était membre de la 14division de la Waffen-SS, en Ukraine.

Un conseil venu de l’Inde

Soyons honnêtes, avant la semaine dernière, la majorité des Canadiens ignorait le nom d’Anthony Rota. Il faut dire que la fonction de président de la Chambre exige tact et discrétion.

« Les gens ne regardent pas un match pour voir l’arbitre », me rappelle Geoff Regan qui a occupé ce poste de 2015 à 2019. Élu député d’Halifax-Ouest une première fois en 1993, réélu à toutes les élections sauf celle de 1997, Geoff Regan a quitté la vie politique en 2021.

Lorsqu’il a été élu président de la Chambre, M. Regan se souvient d’avoir reçu les conseils des greffiers ainsi que de sa directrice des communications qui avait servi sous trois présidents avant lui. « Après une période de questions de laquelle je suis ressorti passablement frustré, me raconte M. Regan, elle m’avait raconté que mon prédécesseur, Gilbert Parent, avait un jour demandé au président de la Chambre basse du Parlement indien comment il faisait pour contrôler plus de 500 personnes. Il avait répondu : “Je ne les contrôle pas, je me contrôle moi-même.” C’est un très bon conseil dont je me suis toujours souvenu. »

La responsabilité du président

M. Regan a eu lui aussi l’occasion d’inviter des gens à la Chambre des communes pour assister à la visite d’un personnage célèbre. Dans son cas, il s’agissait du président américain Barack Obama, et il avait invité des leaders de la communauté noire de sa circonscription. Avait-il vérifié leurs antécédents ? « La responsabilité des services de protection parlementaire est de vérifier les enjeux liés à la sécurité, mais en ce qui concerne leur passé politique ou personnel, ça devient la responsabilité du président et de ses adjoints », rappelle-t-il.

M. Regan n’a pas voulu commenter spécifiquement le cas de M. Rota, mais il croit que cet incident va forcer la Chambre des communes à revoir ses pratiques. « On pourrait créer un comité, dit-il, et mettre en place un processus pour éviter qu’une situation aussi grave se reproduise. »

Peut-être pourrait-on prendre exemple sur le bureau de la présidence de l’Assemblée nationale, à Québec ? Vérification faite auprès de l’équipe de l’actuelle présidente, Nathalie Roy, on me dit qu’un citoyen ordinaire ne pourrait pas être ovationné au Salon bleu. La présidence peut inviter un citoyen de sa circonscription, mais seules certaines catégories d’invités (chefs d’État, parlementaires étrangers, ambassadeurs ou dignitaires des Premières Nations et Inuits, etc.) peuvent bénéficier d’une présentation officielle, m’a précisé Béatrice Zacharie de la Direction des communications de l’Assemblée nationale.

Des excuses tardives

Si M. Rota a mis trop de temps avant de démissionner, il n’est pas le seul à qui on reproche d’avoir réagi trop tardivement. Le premier ministre aussi. Il aura fallu attendre cinq jours après les évènements et plus de 24 heures après la démission de M. Rota avant que Justin Trudeau prenne la parole. « C’est beaucoup trop tard », acquiesce Geneviève Tellier, professeure titulaire à École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Il aurait dû s’excuser dès la démission de M. Rota. »

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau a présenté mercredi ses excuses pour l’ovation à un ancien soldat nazi durant la visite du président ukrainien Volodymyr Zelensky.

Nous sommes plusieurs à penser que ses excuses n’étaient pas à la hauteur de la situation. Qu’en pense la professeure Tellier ? « Il aurait fallu qu’il s’excuse au nom de tous les Canadiens et pas seulement au nom du Parlement », confirme-t-elle.

Mme Tellier estime que M. Trudeau consulte trop avant de parler alors que dans ce cas précis, il aurait dû être plus spontané, même si, ajoute-t-elle, ce n’est pas dans ses habitudes.

Les conservateurs de Pierre Poilievre aimeraient bien que ce scandale colle à la peau du premier ministre, mais Geneviève Tellier n’y croit pas trop. « Il y a d’autres choses qui vont coller davantage, croit-elle. Dans ce cas-ci, il n’était pas responsable. Je pense que les Canadiens vont se dire qu’il s’agissait d’une erreur malheureuse et qu’ils vont passer à autre chose. »

J’aurais tendance à penser la même chose. Même si, ouf… c’était quand même embarrassant d’être Canadienne cette semaine.

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