À Ottawa, la démission du président de la Chambre des communes, Anthony Rota, a été réclamée… et obtenue. À Québec, celle du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a été exigée (en vain) la semaine dernière par Québec solidaire.

Quand est-il légitime de demander la démission d’un élu ? Sur quels critères se base l’opposition pour formuler ces exigences ?

Après avoir consulté des politiciens et des experts, je constate qu’il n’y a aucun manuel d’instructions sur l’art de réclamer des têtes.

Marwah Rizqy, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation, se souvient de la première fois qu’elle a réclamé la démission d’un ministre. C’était celle de Simon Jolin-Barrette.

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Marwah Rizqy, du Parti libéral, a déjà réclamé la démission du ministre caquiste Simon Jolin-Barrette sur un coup de tête.

Nous étions en 2019 et Mme Rizqy admet qu’elle n’avait consulté personne avant sa sortie.

« À l’époque, j’étais nouvelle et je n’avais pas compris que chacun parlait de ses dossiers. J’étais en mêlée de presse et j’avais parlé du fond de mon cœur, spontanément », raconte-t-elle.

Elle avait pris par surprise son propre caucus libéral… y compris le chef intérimaire d’alors, Pierre Arcand.

« Le lendemain, Pierre Arcand est venu dire la même chose que moi, parce qu’il ne pouvait pas me désavouer ! continue-t-elle. Il avait dit qu’on pourrait lui retirer son dossier d’immigration. »

À l’époque, Simon Jolin-Barette était ministre de l’Immigration et venait d’abolir le Programme de l’expérience québécoise, ou PEQ, qui facilite notamment le processus d’immigration des étudiants étrangers (et qui a été restauré récemment).

C’est le « manque de sensibilité » du ministre qui avait poussé Mme Rizqy à conclure qu’il s’était disqualifié pour le poste.

« Des erreurs, tout le monde va en faire, dit-elle. C’est quand on s’entête, qu’on s’enlise et qu’on refuse d’écouter que la ligne est franchie. Dans ce cas, ce que j’ai trouvé le plus désolant, c’est que les étudiants concernés sont venus à Québec et Simon Jolin-Barette n’est même pas allé les voir. C’était comme s’ils n’étaient plus des humains pour lui, il parlait d’eux comme de numéros. »

Un élément déclencheur

Vendredi dernier, Québec solidaire a exigé la démission du ministre de l’Environnement, Benoit Charette.

« On ne se lève pas un bon matin en se disant : on va demander la démission de tel ou tel ministre. Ce n’est pas un objectif en soi quand on fait de la politique », explique Stéphanie Guévremont, directrice des communications de l’aile parlementaire de Québec solidaire.

Ces demandes, dit-elle, sont toujours discutées avec l’ensemble du caucus.

« Il va souvent y avoir un élément déclencheur, mais aussi un historique », précise-t-elle.

Dans le cas de Benoit Charette, « l’élément déclencheur » est survenu lors d’une conférence de presse tenue au mois d’août, au cours de laquelle le ministre a omis de mentionner que les normes sur la concentration de nickel dans l’air ont été dépassées dans le quartier Limoilou, à Québec. Le ministre s’est défendu en disant que ces informations étaient publiques.

Selon Québec solidaire, cet évènement s’ajoute à l’incapacité du ministre Charette d’amener le Québec vers ses cibles de réduction de gaz à effet de serre.

Le parti est conscient qu’il ne peut réclamer des têtes trois fois par semaine. Il donne l’exemple de la ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. Québec solidaire juge qu’elle ne fait pas les bons gestes pour s’attaquer à la crise du logement. Mais pas question pour l’instant d’exiger sa démission.

« M. Charette est là depuis cinq ans, compare Mme Guévremont. On a eu le temps d’essayer de l’amener ailleurs […]. On a essayé de travailler avec lui, ça n’a pas fonctionné. Mme Duranceau n’est pas là depuis si longtemps. On commence [à étudier] le projet de loi 31 [sur l’habitation] et on a encore espoir qu’on va pouvoir l’améliorer. »

Marwah Rizqy, quant à elle, dit s’être « assagie » avec le temps.

« J’ai compris que la pire façon d’obtenir la démission d’un ministre, c’est de la demander », dit l’élue libérale. Elle dit observer qu’un gouvernement se « braque » lorsqu’il doit faire face à de telles demandes.

André Lamoureux, chargé de cours au département de sciences politiques de l’UQAM, est dubitatif face aux demandes de démission de l’opposition.

Quand il y a un grave problème éthique, un ministre doit démissionner. Pour ce qui est de la gestion courante des affaires publiques, on ne peut pas demander la démission à hue et à dia d’un ministre.

André Lamoureux, chargé de cours au département de sciences politiques de l’UQAM

Selon lui, ces demandes relèvent strictement de la joute politique. L’expert rappelle que c’est à l’électorat, ultimement, de juger de la performance des politiciens.

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En faisant applaudir un ancien combattant nazi en plein parlement, Anthony Rota s’est discrédité devant ses pairs et devait démissionner, selon André Lamoureux, chargé de cours au département de sciences politiques de l’UQAM.

M. Lamoureux juge le cas d’Anthony Rota, qui vient de démissionner à Ottawa, complètement différent. C’est que le président de la Chambre des communes doit avoir la confiance de tous les partis. En faisant applaudir un ancien combattant nazi en plein parlement, M. Rota s’était discrédité devant ses pairs et devait démissionner, selon M. Lamoureux.

Quand un ministre se peinture dans le coin

À Québec, la demande de démission la plus truculente est sans contredit celle d’Éric Caire. Il faut dire que le ministre de la Cybersécurité et du Numérique a un peu (beaucoup) couru après.

En 2011, alors qu’il était député adéquiste, M. Caire avait déposé un projet de loi qui aurait permis aux électeurs de montrer la porte à un élu avec une simple pétition.

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Le ministre Éric Caire, député de La Peltrie, avait promis de démissionner si le troisième lien ne se concrétisait pas.

M. Caire avait aussi promis de démissionner si le troisième lien ne se concrétisait pas. Lorsque le gouvernement Legault a abandonné le projet, le chef conservateur Éric Duhaime s’est fait un malin plaisir de lancer une pétition réclamant la démission d’Éric Caire. Ce dernier est toujours en poste (et a refusé de revenir sur les évènements en entrevue).

Utiles, donc, les demandes de démission ? Je pense que lorsqu’un élu ou un ministre a perdu la confiance des parlementaires avec qui il travaille, elles peuvent représenter un symbole fort et nécessaire. Mais pour avoir cet impact, elles doivent être utilisées avec extrême parcimonie – ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.

Quelques demandes de démission récentes

En 2019, le Parti libéral du Québec réclame la démission du ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, dans la foulée du traitement réservé au lanceur d’alerte Louis Robert.

En 2019, l’élue libérale Marwah Rizqy réclame la démission du ministre Simon Jolin-Barrette.

En 2020, les conservateurs et le Bloc québécois réclament la démission de Justin Trudeau à la suite du scandale de WE Charity.

En 2021, le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et le Parti québécois demandent la démission du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge.

En 2022, Dominique Anglade réclame la démission du ministre du Travail, Jean Boulet, après des propos controversés sur l’immigration.

En mai 2023, les partis de l’opposition à Québec réclament la démission du ministre Éric Caire.

En juin 2023, le Parti conservateur du Canada exige la démission du ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, après le transfert de prison du tueur en série Paul Bernardo.

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