Dans un nuage de poils, un chat déguerpit à toute vitesse.

Peut-être est-il à la poursuite d’un écureuil envahisseur ? Peut-être fuit-il le chien du voisin ? Ou le voisin tout court ?

Un poteau est en vue. Ou un arbre.

Voilà le chat qui sort ses griffes et qui s’élance à la verticale.

Plus l’élan est fort, plus il grimpe, et grimpe, et grimpe…

Puis, tout à coup, il s’arrête.

Et le chat regarde en bas.

Que se passera-t-il ?

L’ancien président de la FTQ, Michel Arsenault, usait de l’analogie du « chat dans le poteau » pour illustrer la délicate opération de négociation et de compromis qui suit la mobilisation des troupes. Pendant les grèves de 2012, il a accompagné les leaders étudiants lors des négociations avec le gouvernement. Il avait par la suite raconté à mon ancienne collègue Michèle Ouimet une discussion qu’il avait eue avec eux.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Un militant pendant le mouvement étudiant de 2012

« Je leur ai expliqué que négocier, c’est du give and take. Il faut trouver des consensus. […] J’ai dit à Martine [Desjardins, alors présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec] : “Vous avez réussi à mobiliser votre monde. C’est ce que j’appelle monter le chat dans le poteau. Mais après, il faut le redescendre et ça, c’est une autre histoire, n’oublie jamais ça. C’est le conseil d’un vieux routier.” »

(Bon. Puisqu’il faut appeler un chat un chat, le rôle joué par Michel Arsenault au cours du conflit a aussi été controversé. Son intervention auprès du Congrès du travail du Canada pour freiner un élan de solidarité syndicale canadien envers les étudiants québécois avait fait, pour le moins, sourciller les acteurs de l’époque. Son attitude à l’endroit des leaders étudiants a aussi été perçue comme paternaliste. Mais revenons au chat.)

Monter le chat dans le poteau, « crinquer » son monde, chauffer le poêle… L’idée est la même : afficher la mobilisation la plus forte, la plus rassembleuse possible pour obtenir des gains. « La mobilisation des gens crée des attentes », dit le politologue Thomas Collombat, de l’Université du Québec en Outaouais, spécialiste du mouvement syndical. Une fois qu’on a fait monter la pression, il est important de savoir l’utiliser si on l’estime nécessaire.

Dans le cas des négos du secteur public, avec un mandat de grève accordé à 95 % pour le front commun, le degré de mobilisation est assez évident. Le chat, pour reprendre l’expression, est maintenant bien haut sur sa branche et il admire la vue. Bonne chance au pompier qui voudrait tenter de le ramener au sol de force…

Comment convaincre le chat de redescendre du poteau ?

Comment gérer les attentes élevées des grévistes galvanisés ?

C’est la délicate gymnastique à laquelle s’adonnent tant les dirigeants syndicaux que les patrons.

Personne n’a intérêt à voir un chat – ou, dans ce cas-ci, des travailleurs mobilisés à ce point – dégringoler lamentablement de son poteau, surtout si c’est pour retrouver une situation misérable au sol…

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Des grévistes devant le collège Ahuntsic, mardi

Pas que du bruit

On parle beaucoup du sacrifice de la grève, de l’absence de salaire et des conséquences sociales. On parle moins des liens humains très forts qu’elle permet de tisser entre participants, souligne Thomas Collombat. Des collègues qui se côtoient peu en raison de leurs horaires ou de la nature de leur travail apprennent à se connaître, ils échangent sur leurs expériences. « Ça participe à créer une identité collective qui n’existait pas nécessairement de façon aussi définie auparavant. »

La grève est indissociable du dialogue, rappelle l’observateur, et celui-ci ne s’exprime pas seulement sur les piquets de grève.

La grève n’est pertinente et n’est utile que lorsqu’elle est articulée avec la table de négociation. La grève, c’est l’arrêt de travail, mais ce n’est pas l’arrêt de la négociation. Et on est toujours conscients que c’est une négociation, qu’il y a des concessions, et qu’on n’obtient jamais exactement ce qu’on veut au départ.

Thomas Collombat, politologue

Ne pas faire la grève peut aussi laisser l’impression que la conversation n’est pas allée assez loin, dit Thomas Collombat. « L’un des risques, qui s’est produit d’ailleurs dans plusieurs négociations du secteur public par le passé, c’est qu’on fait monter la pression, on prend des votes de grève, on crée des attentes chez les membres, mais que, finalement, on conclut une entente de principe sans utiliser ce moyen de pression. »

C’est le cas des récentes ententes dans le secteur automobile, rappelle M. Collombat. Chez Ford Canada, malgré un mandat de grève en poche, le syndicat a conclu en septembre une entente de principe sans avoir à descendre dans la rue. L’entente a cependant été adoptée par une très faible majorité, soit 54 % d’appuis. « Ça nous dit que les membres étaient probablement prêts à aller encore plus loin que leur comité de négociation. »

Mince consolation dans le cas où des grèves longues et pénibles débouchent sur des gains qui semblent insignifiants : à moyen terme, elles engendrent parfois des changements sociopolitiques importants.

PHOTO JEAN GOUPIL, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation violente à la United Aircraft de Longueuil, au milieu des années 1970

La grève à l’usine United Aircraft de Longueuil, en 1974, est devenue un cas d’école. Pendant la vingtaine de mois qu’a duré le conflit, des briseurs de grève ont remplacé les syndiqués. « Les travailleurs sont finalement rentrés sans aucune avancée significative, rappelle Thomas Collombat. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement du Québec a fait adopter une loi anti-briseurs de grève qui était beaucoup justifiée par ce conflit-là. »

En 2012, Michel Arsenault laissait entendre que les étudiants devaient s’inspirer du mouvement syndical pour faire « redescendre le chat ». « Je pense que le mouvement syndical pourrait aussi beaucoup apprendre du mouvement étudiant qui avait réussi à élargir la mobilisation », dit Thomas Collombat.

Avec 70 % d’appui des Québécois aux syndiqués du secteur public, le chat du poteau, pour le moment, ne manque pas de compagnie…

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