Ils se sont réinventés, ont pris des risques et ont été créatifs : ode aux Québécois qui luttent pour nous sortir de la pandémie.

Voir ses patients mourir

Théthé Kalanga-Mutshiaudi, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Jeffery Hale

« Il est tombé dans mes bras et j’ai crié au secours. »

Nous sommes en avril 2020. Théthé Kalanga, préposée aux bénéficiaires, est responsable des soins donnés à six patients, hébergés au sixième étage du CHSLD Jeffery Hale, à Québec. Au cours de ces semaines meurtrières qui ont ravagé le CHSLD, elle a vu mourir la totalité de ces bénéficiaires. Y compris cet homme, auquel elle était particulièrement attachée.

« Je l’aimais beaucoup. »

Après sa mort, comme c’était l’implacable règle durant la pandémie, tous les effets du patient devaient être jetés. Aucun objet issu d’une chambre contaminée ne pouvait être conservé.

Théthé Kalanga a tout de même ôté au défunt son jonc de mariage, une bague à laquelle il tenait beaucoup. Avant l’arrivée de la COVID-19, sa femme venait d’ailleurs le visiter tous les jours. « Je me suis permis de lui enlever sa bague. Je l’ai toute désinfectée. C’était la seule chose que je pouvais faire pour sa femme. »

Le virus a pénétré au troisième étage du Jeffery Hale à la fin de mars. Théthé Kalanga, 49 ans, originaire du Congo, travaille au CHSLD depuis 20 ans. Ses collègues et elle ont fait l’impossible pour que l’infection ne se propage pas au 6e, l’étage où étaient rassemblés 27 patients qui faisaient de l’errance.

« On savait que si ça arrivait au sixième, ce serait la catastrophe. »

Malgré tous leurs efforts, le premier cas y est confirmé à la fin d’avril.

On était comme dans une zone de guerre. Et croyez-moi, je sais ce que c’est que la guerre. Mais cette guerre-là était difficile parce que l’ennemi était inconnu, et invisible. Il était partout.

Théthé Kalanga-Mutshiaudi, préposée aux bénéficiaires au CHSLD Jeffery Hale

Mme Kalanga a donc vu ses patients s’éteindre, les uns après les autres. « La façon dont ils sont tombés, les uns après les autres… on se battait pour qu’ils vivent. »

Le Jeffery Hale a été l’un des établissements les plus touchés de la région de Québec. Au total, près de 115 aînés y ont attrapé la COVID-19 et 44 en sont morts. De nombreux membres du personnel, dont Mme Kalanga, ont également été infectés.

Éviter le pire dans un refuge

Émilie Fortier Et son fils Adam

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Émilie Fortier, avec et son fils Adam

Directrice des services d’urgence à la Mission Old Brewery

« J’ai longtemps eu un peu de mal à croire au déconfinement. Ça me semblait trop beau pour être vrai ! », lance Émilie Fortier.

Que la COVID-19 n’ait pas transformé les refuges pour personnes itinérantes en mouroirs peut sembler tenir du miracle.

On le savait que si ça rentrait, on était foutus.

Émilie Fortier, directrice des services d’urgence à la Mission Old Brewery

Il y a bien eu quelques éclosions, mais rien de dramatique. Si cela a pu être évité, « c’est grâce à l’excellente collaboration avec les services régionaux de santé, la Santé publique, la Ville, de même qu’entre les groupes communautaires. Et cela, c’est là pour de bon. La COVID-19 aura au moins eu cela de positif ».

Mme Fortier ne cache pas que la dernière année a été aussi traumatisante que belle, à certains égards. Elle évoque notamment tous ces masques que des donateurs privés ont envoyés au refuge, au point où il en a eu trop et en a redistribué là où se trouvaient les besoins les plus pressants.

En tout début de pandémie, lors d’une première discussion avec Mme Fortier, ses semaines étaient infernales. Veuve, elle avait dû confier son petit garçon à ses parents pour éviter toute contamination. En tout, l’enfant et la mère auront été séparés pendant deux mois.

Aussi bien dire que le petit a une raison supplémentaire d’avoir vraiment détesté cette COVID-19. « Au début, il était fier de moi, mais après un moment, il a trouvé cela difficile. »

Mme Fortier a-t-elle prévu de belles, de longues, de somptueuses vacances ? « Je n’ai rien réservé. L’été, ça me paraissait tellement, tellement loin ! »

Inventer un respirateur en 10 jours

Erick Fortin, ingénieur chez CAE

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Erick Fortin, ingénieur chez CAE

Erick Fortin et les ingénieurs de CAE, une entreprise connue pour ses simulateurs de vol, sont arrivés à concevoir un respirateur artificiel en 10 jours. Plus de 8200 appareils Air1 ont été livrés dans les hôpitaux du pays.

Dès le début de la pandémie, l’Université McGill et la Fondation de l’Hôpital général de Montréal ont lancé un défi appelé « Code vie » aux entreprises. Le défi consistait à développer un respirateur artificiel peu coûteux, simple et facile à utiliser en 14 jours. CAE s’est lancée dans la course avec quelques jours de retard.

On est arrivés à un prototype intéressant en 10 jours. Puis ça a déboulé. Il y a eu un appel du gouvernement canadien aux entreprises pour fabriquer des respirateurs et CAE s’est lancée dans cette nouvelle voie.

Erick Fortin, ingénieur chez CAE

Alors que les premières semaines de confinement étaient difficiles à vivre, ce grand projet a stimulé l’équipe de travail. Surtout, elle a permis de sauver des centaines d’emplois autant chez CAE que chez ses fournisseurs de pièces.

« Quand on a travaillé au Code vie, on était 12 ingénieurs. Puis, on est devenus une équipe de 50, 60, 70. Les collègues de l’aviation sont venus nous donner un coup de main et on a atteint 500 personnes dans l’équipe », explique M. Fortin, directeur ingénierie, innovation et gestion de projet chez CAE.

Durant la pandémie, CAE a également développé une application pour former les vaccinateurs. Elle a aussi été la première entreprise à mettre sur pied une clinique de vaccination pour les membres du personnel et les membres de leur famille, à son siège social de Saint-Laurent, afin d’accélérer la vaccination de masse.

Se consacrer à « un devoir innu »

Stanley Vollant, chirurgien à l’hôpital Notre-Dame, d’origine innue

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Stanley Vollant, chirurgien à l’hôpital Notre-Dame, d’origine innue

Sans grand bruit, le chirurgien Stanley Vollant, qui pratique à l’hôpital Notre-Dame, a mis ses connaissances au profit de « ses frères et sœurs » innus de la Côte-Nord pendant la pandémie.

Le DVollant a été l’un des artisans de la « cellule de crise innue » qui a réuni à la même table des intervenants fédéraux et provinciaux, de la Santé publique de la Côte-Nord ainsi que les chefs des huit communautés innues.

À ce jour, cette cellule stratégique fait le point virtuellement encore une ou deux fois par semaine et prévoit rester active pendant encore au moins une année pour gérer l’après-crise et le volet psychosocial.

Les chefs ont besoin d’avis médicaux pour guider leurs décisions. Je suis prêt à les assister aussi longtemps que je peux. Pour moi, c’était un devoir innu. Je m’oblige à être là.

Stanley Vollant, chirurgien à l’hôpital Notre-Dame, d’origine innue

Le DVollant a aussi recruté son ami de longue date, le DAmir Khadir, spécialisé en microbiologie-infectiologie. Les Innus auront agi rapidement, de façon concertée et souvent même avant le gouvernement du Québec pour protéger leur population hautement vulnérable. Les rares éclosions ont été contrôlées avec succès.

Le DVollant a poursuivi son engagement en se posant comme leader pour encourager la vaccination chez les autochtones. Il a multiplié les entrevues dans les radios communautaires. « Je savais qu’il y avait beaucoup de réticence, de méfiance envers l’establishment médical à cause du racisme systémique », a-t-il indiqué en rappelant le cas récent de Joyce Echaquan, mais aussi l’époque des pensionnats, des sanatoriums et de la stérilisation forcée.

« Venant de Pessamit [sur la Côte-Nord], je connais la vulnérabilité de mon village et le potentiel explosif d’une éclosion majeure. Je pensais à mes oncles et à mes tantes, et mon but, c’était qu’ils ne meurent pas de cette pandémie-là. Je pensais à eux plus qu’à moi. »

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