Ils se sont réinventés, ont pris des risques et ont été créatifs : ode aux Québécois qui luttent pour nous sortir de la pandémie.

L’enquêteur de la  COVID-19

Dany Simard, policier à la retraite, recruté pour des enquêtes épidémiologiques à la Direction régionale de la santé publique de la Capitale-Nationale

Dany Simard a travaillé toute sa vie dans la police. Il était à la retraite depuis un an quand, en juin 2020, il a vu un appel de la Direction de la santé publique de Québec aux policiers retraités. « Ça ressemblait à une mobilisation pour éteindre un incendie de forêt. Sauf que le feu a été plus long que prévu : ça a duré six mois ! »

Comme beaucoup d’ex-collègues policiers, il a levé la main et s’est enrôlé pour réaliser des enquêtes épidémiologiques. Les cas positifs étaient réservés au personnel ayant une formation en santé, les ex-policiers se chargeaient plutôt des cas contacts.

« Pour tout le monde, ç’a été un défi. On est sortis de notre zone de confort. On est sortis du monde de la sécurité publique pour entrer dans celui de la santé. » Son expérience de policier – entrer en contact avec les gens, leur poser des questions, émettre des directives avec une certaine autorité – lui a beaucoup servi.

Au fil de ces journées où il enchaînait les appels, il a fait face à toutes sortes de situations. Des gens en détresse, des cas de problèmes de santé mentale, d’autres qu’on avait vraiment du mal à joindre, certaines personnes qu’il fallait convaincre de se conformer aux règles de la santé publique. Et d’autres encore, complètement fermées à l’idée de respecter les normes sanitaires.

On est portés à penser que les gens allaient être en rébellion, qu’ils allaient nous envoyer paître. Pas du tout. En général, les gens étaient compréhensifs. Mais dans deux cas, je sais que j’ai prêché dans le désert. Il a fallu que je me parle, que je m’oxygène devant leurs raisonnements de bottine.

Dany Simard

Forcément, Dany Simard a fini par être impliqué dans le traçage des cas des deux plus grandes éclosions de Québec, le bar Kirouac et le Mega Fitness Gym. Il a d’ailleurs été renversé par la vitesse à laquelle le virus s’est propagé lors de ces deux éclosions. « Ça fait peur, de telles propagations à partir d’un seul point de chute. »

Le stratège et la cheffe des opérations

Martin Koskinen (à droite) et Claude Laflamme (à gauche), directeur et directrice adjointe du cabinet de François Legault

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Martin Koskinen (à droite) et Claude Laflamme (à gauche), directeur et directrice adjointe du cabinet de François Legault

Devant les projecteurs, il y a le trio Legault-Arruda-Dubé. Dans les coulisses, il y a toute une armée qui l’a appuyé dans la lutte contre la COVID-19. Des acteurs importants qui sont restés dans l’ombre… et qui préfèrent généralement y rester. Le directeur et la directrice adjointe de cabinet de François Legault ont accepté, non sans réticence, d’en sortir à l’occasion de ce reportage spécial.

« On ne veut surtout pas porter ombrage à tous ceux qui ont eu un rôle très important ! lance Martin Koskinen. Il y a eu beaucoup de monde dans la fonction publique et dans les cabinets politiques qui ont mis des heures interminables, et ils n’auront jamais la reconnaissance, alors que leur travail a été essentiel. »

Martin Koskinen, 47 ans, est le fidèle allié de François Legault depuis près de 20 ans. L’avocate Claude Laflamme, 53 ans, a travaillé chez Air Transat au moment où M. Legault en était le PDG. Elle a poursuivi sa carrière chez Astral Media, Stingray et Attraction Média avant d’accepter l’offre du premier ministre de se joindre à son équipe en 2018.

« Martin Koskinen, c’est le grand stratège, alors que je me vois comme la cheffe des opérations » dans la cellule de crise, affirme Claude Laflamme. « Les grandes décisions se prenaient lors de la rencontre matinale. Quand on en sortait, avec la grande complicité du secrétaire général Yves Ouellet, c’était ma job de réunir les cabinets et les ministères pour exécuter les décisions. »

On sous-estime les efforts déployés par l’administration publique, selon elle.

On entend des fois : “Ah, le gros paquebot de la santé ! Ah, le gros paquebot de l’éducation !” Mais si vous saviez… Les gens ont travaillé fort pour sortir des sentiers battus parce qu’on était obligés d’aller assez rapidement.

Claude Laflamme, directrice adjointe du cabinet de François Legault

Elle donne l’exemple de la formation de 10 000 préposés aux bénéficiaires en un temps record.

La prise de décision représentait souvent un casse-tête, témoigne Martin Koskinen. « La frustration que je vis parfois, c’est à quel point les gens ne réalisent pas qu’on est placé souvent devant l’obligation de prendre une décision ou proposer une solution qu’on sait d’emblée qu’elle est imparfaite. Il n’y avait pas un choix qui allait rallier tout le monde et réglait tous les problèmes. »

Le plus difficile durant la crise ? Recevoir chaque jour le bilan du nombre de Québécois qui ont succombé à la COVID-19. « Le bilan quotidien, ça m’a marqué et ça a affecté tout le monde. »

Les missions d’une prof

Hélène Moïse, orthopédagogue au centre de services scolaire Marie-Victorin

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Hélène Moïse, orthopédagogue au centre de services scolaire Marie-Victorin

Hélène Moïse était enseignante de français dans une école secondaire anglophone de la banlieue sud de Montréal quand les écoles ont fermé, en mars 2020. Pendant les premiers jours de la pandémie, le ministre de l’Éducation a parlé d’une période de « vacances » pour les profs, mais Hélène Moïse ne l’a pas entendu ainsi et a organisé une collecte de fonds pour aider des familles qui se retrouvaient sans travail à payer leur épicerie. « Mes collègues ont toutes embarqué, certaines allaient acheter l’épicerie, la livrer aux familles », dit-elle.

Quelques mois d’enseignement à distance plus tard, l’enseignante a fait une « grande folie de pandémie » : se lancer en administration en devenant directrice adjointe de l’école REACH, qui accueille des élèves qui ont une déficience intellectuelle ou un handicap physique. Hélène Moïse dit en riant qu’elle n’est pas une personne qui aime particulièrement suivre des règles, mais elle a fait exception cette année.

Je me réveillais la nuit en pensant au protocole sanitaire. Je me sentais une mission de protéger mes élèves et le personnel.

Hélène Moïse

Comme toutes les écoles spécialisées, son école n’a presque jamais été fermée, même quand les cas de COVID-19 grimpaient au Québec. « On est un répit pour les parents, c’est important que ces écoles restent ouvertes », dit Hélène Moïse, elle-même mère d’un garçon autiste. N’empêche, par moments, « ç’a été difficile » pour le personnel. « Ils se sentaient souvent invisibles, faisaient des sacrifices alors qu’ils avaient eux-mêmes des familles », dit-elle, en insistant pour dire que tous ceux qui ont travaillé dans le milieu de l’éducation méritent autant qu’elle d’être mis en lumière.

Récemment, une autre « belle occasion » s’est présentée. Hélène Moïse est devenue orthopédagogue auprès d'élèves nouvellement arrivés au pays. « Ce matin, j’étais avec une élève non voyante de 20 ans du Pakistan. Quand elle est arrivée au pays, elle n’avait jamais été scolarisée. » La jeune femme fait maintenant des phrases complètes en français. Aider les élèves à intégrer le réseau scolaire québécois, « c’est une responsabilité importante », dit Hélène Moïse. Une de plus, pourrait-on ajouter.

L’égérie du délestage

Karine Apreo et sa fille Zoey, infirmière au CISSS de Lanaudière

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Karine Apreo et sa fille Zoey, infirmière au CISSS de Lanaudière

Pendant les 14 mois de la pandémie, l’infirmière Karine Apreo a été déplacée à 9 reprises. Le délestage, qu’ont vécu de nombreux employés du réseau de la santé, elle pourrait certainement en être l’égérie.

Mme Apreo, qui a commencé sa carrière aux urgences, travaillait depuis six ans en clinique spécialisée sur la maladie de Lyme, aux côtés du docteur Amir Khadir. Et puis, la pandémie est arrivée.

Elle est rapidement déplacée aux urgences, où elle passe des semaines. En plein cœur de la première vague, elle est ensuite déplacée en CHSLD privé. Pendant trois semaines, elle a remplacé les employés « qui n’étaient plus là ».

Ensuite, elle travaille en zone tampon – une unité de séjour temporaire où sont hébergés les aînés qui ont dû faire un séjour à l’hôpital –, puis fait du dépistage et retourne ensuite dans une clinique de spécialité en diabète. « On a essayé de rattraper le retard perdu pendant la pandémie avec les patients. »

Ensuite, on la réaffecte à un CHSLD. À l’automne, elle est brièvement retournée à son poste, puis, rebelote : elle est réaffectée à l’unité COVID-19 de l’hôpital Pierre-Le Gardeur. De novembre à avril, elle soigne des patients infectés. Au début de décembre, elle contracte elle-même la maladie, dont elle souffrira pendant cinq longues semaines. À son retour, elle s’en va aux soins intensifs.

« C’est tout un parcours de délestée ! », s’exclame-t-elle. Difficiles, ces changements continuels ?

Dès que je commençais à prendre mes aises à un endroit, oups, on avait besoin de moi ailleurs.

Karine Apreo

Sans compter qu’au cours des 15 derniers mois, Mme Apreo, qui a deux jeunes enfants, n’a pas eu de vacances. Et elle n’en aura pas non plus cet été. « Je voulais prendre trois semaines en août… mais ça ne sera pas possible. » L’infirmière devient très émotive lorsqu’elle aborde la question de l’impact de cette année de bouleversements sur sa famille.

« Quand j’arrive chez moi le soir, je suis épuisée. Je pense aux patients 24 heures sur 24. Même la nuit, je rêve que je fais des tournées de patients ! »