Ils se sont réinventés, ont pris des risques et ont été créatifs : ode aux Québécois qui luttent pour nous sortir de la pandémie.

Un an de montagnes russes

Amélie Boisclair, interniste et intensiviste à l’hôpital Pierre-Le Gardeur

Au début de janvier 2021, la Dre Amélie Boisclair n’en peut plus de voir des voyageurs partir dans le Sud alors que la situation est critique dans les hôpitaux. Depuis des mois, cette interniste et intensiviste soigne des patients très malades atteints de la COVID-19 aux soins intensifs de l’hôpital Pierre-Le Gardeur. Elle côtoie la mort. Sur sa page Facebook, elle publie le 2 janvier une photo où on voit son visage marqué par le port prolongé d’un masque N95. « Ce ne sont pas des coups de soleil, mais des plaies », écrit-elle.

Son message devient viral. Aujourd’hui, la Dre Boisclair dit avoir fait cette publication pour défendre ses équipes. « Je voulais les soutenir. Leur donner une voix », dit-elle. Happée par un tourbillon médiatique, la Dre Boisclair dit avoir ensuite tenté de profiter de cette exposition pour toujours expliquer la situation précaire dans laquelle étaient plongées les unités de soins intensifs durant la pandémie. « Tout d’un coup, on m’écoutait... J’ai essayé d’expliquer l’inexplicable », dit-elle. La Dre Boisclair décrit les derniers mois de la pandémie comme « la plus longue montagne russe de sa vie ».

Et ce n’est pas terminé.

On a des infirmières et du personnel incroyables aux soins intensifs. Mais elles sont fatiguées. Je ne veux pas les perdre.

La Dre Amélie Boisclair, interniste et intensiviste à l’hôpital Pierre-Le Gardeur

« C’est urgent de prendre soin du personnel et de ne plus juste compter sur leur vocation. Je ne suis pas mère Teresa. Je veux juste que nos équipes aillent bien. » Petite consolation : le jour de l’entrevue avec La Presse, le 2 juin, l’unité de soins intensifs de Pierre-Le Gardeur ne comptait, pour la première fois depuis mars 2020, aucun patient atteint de la COVID-19. « C’est vraiment touchant. Il va y en avoir d’autres patients COVID. Mais un jour comme aujourd’hui, on l’a attendu vraiment longtemps. »

Sauver son entreprise… et des vies

François et Vincent Thériault, propriétaires de l’entreprise de vêtements pour hommes Surmesur

PHOT MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Vincent et François Thériault, propriétaires de l’entreprise de vêtements pour hommes Surmesur

19 mars 2020. Vincent Thériault, cofondateur de l’entreprise québécoise Surmesur, n’arrive pas à fermer l’œil. L’entreprise, qu’il a fondée avec son frère François, est en péril. Pandémie oblige, les boutiques du groupe, qui se spécialise en vêtements pour hommes, sont fermées, les 105 employés renvoyés à la maison. « Le hamster entre les deux oreilles, il roulait vite en tabarouette », lance Vincent Thériault.

C’est que la première vague frappe alors que la « bonne saison » commence, au printemps. « C’était une faillite imminente », tranche l’homme d’affaires. Un fournisseur de Surmesur est établi en Chine. Là-bas, les manufactures sont fermées depuis janvier. Condition pour rouvrir : fabriquer du matériel de protection. « On savait donc qu’on pourrait avoir un certain accès à des masques [chirurgicaux], on entendait aussi que le Québec en cherchait, mais le lien ne s’est pas fait sur le coup. On n’était tellement pas là-dedans. »

C’est donc en cette (autre) nuit d’insomnie que le déclic se produit. « Je me suis dit que j’allais lancer quelques perches. Je ne connaissais personne au gouvernement et encore moins comment [l’approvisionnement] fonctionnait. J’ai regardé les organigrammes, envoyé quelques courriels. Quatre ou cinq heures plus tard, j’avais un premier appel avec les acheteurs du gouvernement ! »

Première commande : cinq millions de masques. Tout est à faire. L’apprentissage est « extrêmement rapide » et les risques sont énormes.

C’était plus gros que nature, mais en même temps, tu as l’instinct de survie. Il faut que tu sauves ton entreprise !

Vincent Thériault, copropriétaire de Surmesur

Fort de son réseau de contacts, notamment, Surmesur relève le défi et livre la cargaison en sept jours. Ce sont au total 200 millions de masques et quelque 2,5 millions de blouses médicales qui seront distribués au Québec pour la somme colossale de 255 millions de dollars. Surmesur deviendra le troisième fournisseur en importance d’équipements médicaux du gouvernement pendant la crise. « Quand on a vu ce classement, c’est là qu’on s’est rendu compte qu’on a vraiment été parmi les acteurs clés [de la lutte contre la pandémie]. »

Quand il faut tout réapprendre

Marc-Antoine Rouillier, physiothérapeute aux étages rouges à l’Hôpital général juif

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Marc-Antoine Rouillier, physiothérapeute aux étages rouges à l’Hôpital général juif

Quand ses patrons l’ont contacté lors de la première vague de COVID-19 et lui ont demandé s’il voulait travailler aux étages rouges de l’Hôpital général juif, Marc-Antoine Rouillier n’a pas hésité. Même si le virus était encore peu connu, le physiothérapeute a accepté. « J’avais un peu de craintes. C’est normal. Mais j’étais surtout excité par l’adrénaline du travail », dit-il.

Après un long parcours universitaire, où il a étudié la politique, la littérature et la kinésiologie, Marc-Antoine Rouillier a fait ses études en physiothérapie et travaille à l’Hôpital général juif depuis 2018. La pandémie aura confirmé une chose à ce jeune professionnel : il a trouvé sa voie. Se disant « de tempérament plutôt relax », l’homme de 34 ans constate qu’il n’a jamais été envahi par le stress.

Je me sentais plus en sécurité sur les étages COVID, avec tout l’équipement, que sur un étage où tu ne sais pas qui a la maladie ou non.

Marc-Antoine Rouillier, physiothérapeute aux étages rouges à l’Hôpital général juif

Comme physiothérapeute, Marc-Antoine Rouillier doit évaluer les patients, commencer leur réadaptation et planifier leur congé. Des patients ayant eu un long séjour aux soins intensifs arrivaient très mal en point. « Certains étaient incapables de lever leur bras du lit », dit M. Rouillier. Le physiothérapeute devait y aller très progressivement en aidant les patients, dont plusieurs avaient le souffle court, à d’abord se redresser dans leur lit, à s’asseoir, à se lever, puis à marcher.

À travers tous ces mois de travail, l’une des choses que le physiothérapeute redoutait le plus était l’impact sur sa famille. Il craignait qu’on évite son enfant dans la ruelle, de peur que celui-ci ait été infecté par son père. « Je ne le criais pas sur tous les toits que je travaillais sur des étages COVID... Je voulais que la vie autour de moi soit la plus normale possible. » Mais aujourd’hui, Marc-Antoine Rouillier est fier de ce qu’il a accompli. « Je le referais n’importe quand », dit-il.

Livrer l’épicerie au fin fond de la campagne

Geneviève Maheux, bénévole dans la MRC du Granit

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Geneviève Maheux, bénévole dans la MRC du Granit

Dès que le Québec a été « mis sur pause », le 23 mars 2020, les 20 municipalités de la MRC du Granit ont rapidement mis sur pied un réseau de bénévoles pour venir en aide aux personnes âgées vivant dans des endroits éloignés, à la campagne.

« C’était juste naturel de les aider », raconte Geneviève Maheux, l’une des dizaines de personnes s’étant portées volontaires.

Mme Maheux, enseignante de 4e, 5e et 6e année, s’est retrouvée en congé forcé lors du premier confinement. Elle a décidé de donner de son temps libre aux autres. « On dirait que je ne me suis pas posé de questions. Les gens ont besoin d’aide. Il faut les aider ! »

Plusieurs fois par semaine, Mme Maheux s’est donc retrouvée au cœur de Saint-Sébastien pour récupérer du pain, du lait, des œufs et toutes sortes d’autres denrées alimentaires à la Coop du village. Elle a parcouru sa région pour livrer les achats aux personnes vulnérables.

Au début, on disait aux personnes de 70 ans et plus de rester à la maison. Ils étaient complètement confinés chez eux alors quand on arrivait avec leur épicerie, ils étaient bien contents de nous voir.

Geneviève Maheux, bénévole dans la MRC du Granit

« Ça arrivait qu’ils veuillent nous donner du pourboire. Il fallait qu’on leur explique qu’on le faisait pour dépanner, pas pour faire de l’argent », souligne Mme Maheux.

Une centaine de bénévoles se sont ainsi mobilisés pour livrer des aliments, des médicaments et des articles de quincaillerie un peu partout dans la région. Certains ont aussi fait des appels aux personnes âgées pour prendre de leurs nouvelles et pour leur permettre de se sentir moins isolées. « Les gens de notre région ne vivent pas tous dans un village. Le service a été développé en pensant à ceux qui habitent dans un rang », souligne Marielle Fecteau, préfète de la MRC du Granit.

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