À l’époque où on parlait encore de ces choses, le système fédéral canadien a longtemps été accusé de favoriser les dédoublements. Permettant à Ottawa d’arriver avec ses gros sabots et d’utiliser son pouvoir de dépenser pour créer de nouveaux programmes dans les compétences des provinces.

En théorie, un système fédéral permet aux gouvernements régionaux – comme les provinces canadiennes – de prendre des initiatives qui, si elles fonctionnent bien, peuvent devenir des exemples. Une sorte de saine émulation entre les partenaires de la fédération.

En pratique, cependant, le gouvernement fédéral a trop souvent débarqué dans des compétences provinciales pour créer un programme national, le même pour tout le monde.

Le plus récent budget de la ministre Chrystia Freeland en est un bon exemple. À la décharge de la ministre, le nouveau régime de soins dentaires pour les enfants était une exigence du Nouveau Parti démocratique (NPD) pour soutenir le gouvernement libéral minoritaire jusqu’en 2025.

Mais le NPD a toujours eu la réputation – bien méritée – de ne pas trop se préoccuper des provinces ou de la Constitution quand il estime qu’il a une bonne idée. Historiquement, cela a plutôt fait l’affaire des gouvernements à Ottawa. Et tant pis pour ceux qui y voient encore plus de centralisation.

Il y a deux problèmes avec ce régime de soins dentaires. D’abord, il va coûter très cher. Le budget Freeland prévoit 13 milliards de dollars sur cinq ans, soit près du double de ce qui avait été prévu l’an dernier. Par la suite, le gouvernement estime qu’il lui coûtera 4,4 milliards annuellement.

Mais surtout, des programmes de soins dentaires gratuits pour les familles à faible revenu existent déjà dans toutes les provinces. Toutes. Ce n’est pas comme si le gouvernement fédéral a récemment découvert un besoin pressant oublié par les provinces.

Ils ont des noms divers et le plus souvent souriants : Healthy Smiles en Ontario. De beaux sourires, en version française, au Nouveau-Brunswick. Smiles Plus, au Manitoba, etc.

Et il y a des divergences régionales. Ainsi, certaines provinces ont des cliniques dentaires consacrées. L’âge maximum varie : 18 ans au Nouveau-Brunswick, 17 ans en Ontario, 14 ans au Manitoba et 10 ans au Québec, mais pour tous, pas seulement les familles à faibles revenus.

Les trois territoires ont aussi un embryon de programme pour les jeunes, mais leur véritable problème est une grave pénurie de dentistes.

Mais ce qui importe, c’est que toutes les provinces canadiennes ont un programme. Et qu’il n’y a donc aucune nécessité pressante pour le gouvernement fédéral de s’ingérer dans cette compétence provinciale.

C’est le principe même d’un système fédéral. Le gouvernement central peut avoir des objectifs. Mais les États membres, qui font le travail sur le terrain, sont les mieux placés pour juger des modalités.

On n’était donc pas surpris de voir le ministre des Finances, Eric Girard, dire que, pour le Québec, les soins dentaires ne sont pas la priorité et que les sommes que pourrait fournir Ottawa devraient aller dans le budget de la santé. « C’est certain qu’avant de créer de nouveaux programmes, il faut financer adéquatement ceux qu’on a déjà », a-t-il dit.

Ce qui est intéressant, c’est la façon bien différente dont les deux gouvernements voient la possibilité d’un retrait du Québec de ce programme fédéral.

À Ottawa, le premier ministre Justin Trudeau affirme que Québec peut bien administrer le programme, mais qu’il devra offrir la même couverture que le programme fédéral. Ce qui voudrait dire, entre autres, étendre la couverture pour les enfants de 10 à 12 ans.

À Québec, on estime plutôt que sa part de 2,9 milliards serait mieux utilisée dans le secteur de la santé en général et pas uniquement pour les soins dentaires.

Ce n’est donc pas un différend sur la portée du droit de retrait avec compensation, mais sur la conception même du fédéralisme. Qui doit décider des priorités, et les provinces n’ont-elles leur mot à dire que pour certaines modalités d’application ?

Quand le gouvernement fédéral a décidé, peu avant la dernière campagne électorale, de lancer un programme national de garderies, il avait fait un transfert de 6 milliards sur cinq ans « pour que [le Québec] puisse améliorer son réseau », avait dit M. Trudeau.

« Un transfert sans condition », avait répliqué le premier ministre François Legault, sans être corrigé par son homologue fédéral.

Évidemment, le « sans condition » était difficile à contredire, puisque le Québec a un réseau de centres de la petite enfance qu’il avait financé seul depuis un quart de siècle.

Il reste que la divergence de points de vue est majeure, elle a des effets concrets et ces points de vue sont difficiles à concilier.

M. Trudeau répète depuis plusieurs années que le débat constitutionnel n’intéresse plus personne. Mais la réalité, c’est qu’il vient de le relancer. Et, cette fois, au lieu de fuir ce débat, le gouvernement de François Legault pourrait bien lui tenir tête.

Qu’en pensez-vous ? Exprimez votre opinion