Il y a peu de choses qui sont plus précieuses que le temps du président des États-Unis. Il y a des élus américains qui passent une carrière complète à Washington sans jamais avoir un tête-à-tête de quelques minutes avec l’occupant de la Maison-Blanche.

Aussi, quand le président des États-Unis vient pour une visite officielle de deux jours à Ottawa, c’est significatif.

Juste pour comparer avec ses prédécesseurs récents, si on ne compte pas la présence à des sommets internationaux dont le Canada était l’hôte comme le G7, il n’y a pas eu trop d’intérêt dans cette relation.

Ainsi, le président Trump n’est jamais venu en visite officielle au Canada.

Son prédécesseur, Barack Obama, était venu pour une partie de journée. Il était arrivé en matinée. Un discours à la Chambre des communes en après-midi et il était rentré à Washington pour l’heure du souper. George W. Bush a fait une visite à Ottawa et Halifax après sa réélection, en 2004.

C’est une marque d’amitié envers le Canada que M. Biden vienne pour deux jours et cela montre combien il a toujours eu des affinités avec le Canada. L’un de ses derniers gestes comme vice-président d’Obama fut d’ailleurs de venir à Ottawa rencontrer Justin Trudeau. Et quand il était sénateur et président du comité des affaires étrangères, son bureau était un arrêt obligé pour les politiciens canadiens en visite à Washington.

Cela étant dit, les relations canado-américaines ne sont jamais simples. Jean Chrétien avait déjà dit que la chose la plus frustrante pour un premier ministre canadien était d’avoir quelque chose à demander au président.

« Tu as l’homme le plus puissant du monde avec toi et tu lui demandes de t’aider à régler un problème mineur mais qui est devenu une grosse affaire ici. Et il te répond : “ Je voudrais bien t’aider, mais tel sénateur de tel État est vraiment contre et… j’ai besoin de son vote pour passer le budget… ” »

Comme quoi, ce n’est pas parce qu’on a du temps avec le président des États-Unis qu’il est en mesure de régler les problèmes qui embêtent le Canada.

Ce qui nous amène au chemin Roxham. Au Québec, on croit facilement que le sujet sera au haut du programme de la rencontre entre MM. Biden et Trudeau.

Mais voyons plutôt ce que disait le communiqué de la Maison-Blanche, qui faisait la liste des sujets qui seront abordés :

  1. La coopération en défense et le NORAD
  2. La sécurité des chaînes d’approvisionnement
  3. Les défis des changements climatiques
  4. Les défis régionaux, en particulier Haïti
  5. La guerre en Ukraine
  6. La crise des opioïdes
  7. Et, au tout dernier rang… l’immigration illégale

On va donc parler du chemin Roxham… mais quand on lit entre les lignes, on est presque tenté d’ajouter : « si on a le temps ».

Évidemment, la partie canadienne aura son mot à dire sur l’ordre du jour. Et il est évident qu’on va aborder la question de l’immigration et de Roxham, mais on ne peut penser qu’on va pouvoir rapidement renégocier l’Accord sur les tiers pays sûrs.

De toute façon, les Américains feront rapidement remarquer à leurs amis canadiens que l’accord en question a été conclu à la demande du Canada, dans le cadre d’une série d’ententes de sécurité après le 11 septembre 2001.

Il faut aussi savoir que le chemin Roxham est en voie de devenir un enjeu partisan aux États-Unis également. Un groupe d’une trentaine d’élus républicains a formé le Northern Border Security Caucus. Ils veulent, pour l’essentiel, politiser la question en montrant que le problème d’immigration illégale n’est plus seulement à la frontière sud.

Il est vrai que le nombre – relativement modeste comparé à la frontière sud – de passages illégaux du Canada vers les États-Unis a augmenté au cours des derniers mois. Mais parler de crise ?

« C’est la crise frontalière de Joe Biden et on n’entend jamais parler de ce que Joe Biden va faire », dit Elise Stefanik, numéro trois des républicains à la Chambre des représentants et élue du 21e district de l’État de New York, qui comprend Plattsburgh et le sentier pour le chemin Roxham.

Tout cela pour dire que le président Biden a ses propres enjeux sur la question de l’immigration et qu’il ne faut pas voir le dossier du chemin Roxham en oubliant cet angle américain.

En fait, s’il faut s’attendre à voir les deux dirigeants aborder un dossier plus urgent, il faut probablement regarder du côté d’Haïti.

Les Américains ont suggéré fortement au cours des derniers mois que le Canada devrait diriger une force multinationale en Haïti où sévit une crise politique et sociale majeure.

Mais le Canada refuse et, encore cette semaine, le chef d’état-major, le général Wayne Eyre, a rappelé que la capacité des Forces canadiennes était très limitée, surtout qu’on allait bientôt doubler le contingent en Estonie, qui a une frontière avec la Russie et la Biélorussie.

Précision :
Dans une version précédente de la chronique, il était écrit que George W. Bush n’avait jamais fait de visite officielle au Canada. Or, c’est plutôt son père, le président George H. W. Bush, qui n’est jamais venu en visite officielle au pays. George W. Bush a fait une visite à Ottawa et Halifax en 2004. Nos excuses.