Étape cruciale de l’évolution, l’homme et la femme sont passés de la marche à quatre pattes à celle à deux pattes. Qu’ont-ils fait de leurs deux bras ainsi libérés d’une tâche, jusque-là essentielle, à la locomotion ? Les tendre au voisin en signe d’amitié ? Nenni. Ils les ont armés en guise d’hostilité.

Cette réflexion de Boucar Diouf dans son nouvel ouvrage, Ce que la vie doit au rire, rappelle que l’humain n’a rien perdu de son côté belligérant et guerrier. De sa crainte atavique de perdre ses acquis et de sa quête d’accumulations, qu’elles soient sexuelles, matérielles ou virtuelles (comme les « J’aime » sur les réseaux sociaux).

Tout ça parce qu’il y a très longtemps, l’humain consacrait tout son temps à combler des besoins extrêmement simples liés à la survivance. Pendant ce temps, dans le cerveau, une structure, le striatum, s’irriguait de dopamine à chaque besoin fondamental satisfait. Avec pour effet le goût de recommencer ! Appliquez la formule à la société de consommation du XXIsiècle et concluez.

Cet héritage biologique, très utile à une époque lointaine parce qu’il permettait de vivre un autre jour, nous prédispose « aujourd’hui au malheur », soutient Boucar.

On laissera à d’autres, plus savants, le soin d’appuyer ou de pulvériser cette façon de voir les choses qui constitue la première partie de son ouvrage – et la plus réussie.

Pourquoi réussie ? Parce que, dans cette partie, le désir de l’auteur d’allier rire et science est parfaitement réalisé. Dans un style unique alliant mots scientifiques et langage du terroir, Boucar démontre que notre cerveau, aussi génial soit-il, peut parfois (souvent) être une « machine de création et de destruction massive ».

Une fois le diagnostic sur la table, il propose la thérapie par le rire, un « ventilateur qui chasse les énergies négatives ». C’est là que ça dérape un peu. On a soudain l’impression d’assister à un spectacle où les blagues s’enchaînent, s’étirent, se répètent. Certaines blagues grivoises sont dignes du XXsiècle. Ici et là, des jeux de mots sont convenus.

Heureusement, la finale, se développant à partir du chapitre joliment titré Africassée, revient à des considérations plus tendres, plus sages. Elle nous renvoie aux idées développées en ouverture pour mieux réfléchir.

Boucar Diouf a la main heureuse dans sa façon d’esquisser les valeurs de la diversité, du vivre ensemble, de la simplicité. Cette main que nous tend Boucar n’est jamais armée. Sinon d’une bonne blague.

Bref, le striatum reste, mais le rire gagne.

Extrait

« Est-ce que le ver de terre souffre quand on le coupe en deux ? Vous riez, mais cette dernière grande question divise l’humanité depuis si longtemps. Pourtant, seuls les lombrics peuvent y répondre. Encore faudrait-il savoir à quel bout il faut tendre le micro pour l’interroger si on veut éviter d’obtenir une réponse sans queue ni tête. »

Qui est Boucar Diouf ?

Scientifique, humoriste, conférencier et essayiste québécois, Boucar Diouf est né en 1965 à Fatick, au Sénégal. Arrivé au Québec en 1991 avec une maîtrise en biologie végétale de l’Université de Dakar, il obtient un doctorat en océanographie de l’Université du Québec à Rimouski en 1998. De la salle de classe où il pimentait ses cours d’une bonne dose d’humour, Boucar Diouf est passé à la scène. Aussi auteur et animateur, il est un collaborateur régulier de La Presse.

Ce que la vie doit au rire

Ce que la vie doit au rire

Les Éditions La Presse

272 pages