Pierre Céré refait l’histoire de la Fonderie Horne et livre un vibrant plaidoyer à la défense de la santé de la population de Rouyn-Noranda.

À l’été 2022, la Fonderie Horne a occupé l’avant-scène de l’actualité. C’est comme si tout à coup, le Québec découvrait l’existence de cette fonderie productrice de cuivre au cœur de la vie économique de Rouyn-Noranda.

Grâce au travail de citoyens sur le terrain et aux enquêtes journalistiques, les détails des ententes entre la multinationale Glencore et le gouvernement du Québec étaient révélés au grand jour. Le grand public découvrait avec effroi qu’une entreprise étrangère avait un genre de laissez-passer pour polluer au détriment de la santé de la population locale et de l’environnement. Une situation qui dure depuis des décennies et qui est bien connue des gens de la région.

Une année a passé et on ne parle presque plus de la Fonderie Horne qui est aussi le plus grand centre de récupération de déchets électroniques en Amérique du Nord. Pourtant, malgré les nombreuses sonnettes d’alarme, peu de choses ont changé.

Pour prendre un pas de recul et mieux comprendre ce qui est en jeu en Abitibi-Témiscamingue, il faut lire le livre de Pierre Céré.

Le nom vous dit peut-être quelque chose : coordonnateur du Comité chômage de Montréal pendant plus de 20 ans, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses, il s’était présenté à la course à la chefferie du Parti québécois en 2015 contre Pierre Karl Péladeau. Céré est un homme de gauche, engagé, qui a consacré sa vie à la défense des intérêts des travailleurs et des plus démunis.

Ce n’est pas un historien, mais il a interviewé des historiens pour rédiger son livre. Ce n’est pas un spécialiste de la qualité de l’air, mais il en a rencontré pour mieux comprendre les enjeux. Son bouquin s’appuie sur une trentaine d’entrevues.

Il y a quelque chose de très personnel dans sa démarche puisqu’il est aussi un enfant de la région. Ses grands-parents maternels s’y sont installés au milieu des années 1920. Son père a travaillé à « la Noranda ». Céré lui-même est né, a grandi et étudié à Rouyn-Noranda. Il connaît intimement cette mine, la dépendance de la région à son égard, et les déchirements qu’elle provoque au sein de la communauté.

Dans son livre, il nous décrit cette « ruée vers l’or » qui s’avère ici être une ruée vers le cuivre, seule raison pour laquelle des familles ont fait le sacrifice de s’installer dans ce coin de pays rude et rocailleux il y a 100 ans. Céré nous rappelle aussi ce que sont les company towns, ces villes construites autour d’une seule industrie avec comme résultat que la communauté se développe sous le joug d’une omnipuissante entreprise qui va jusqu’à nommer les maires de la ville et payer ses employés pour manifester contre toute intention de réforme gouvernementale. Une entreprise qui possède aussi les infrastructures qui alimentent la ville en eau…

Cette relation d’interdépendance explique en partie la situation actuelle. Mais il y a d’autres raisons : le manque de transparence des propriétaires de la mine au fil des décennies, le manque de courage des gouvernements aussi. Et le fait que les connaissances à propos des impacts environnementaux n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui.

Pierre Céré décrit les boues orange de son enfance, le lac trop pollué pour qu’on puisse s’y baigner, la fumée nauséabonde comme une fatalité du quotidien. Personne ne se doutait à l’époque qu’elle pouvait aussi rendre malade.

Jusqu’en 1980, lorsqu’une étude réalisée par des chercheurs de l’École de médecine Mount Sinaï de New York révèle les impacts de la mine sur la santé des travailleurs. C’était il y a 40 ans et si peu de choses ont changé depuis.

Le livre de Pierre Céré est traversé par l’indignation. Avec raison.

Même si les nombreux reportages journalistiques de 2022 ont alerté la population, le gouvernement a adopté des mesures bien modestes pour limiter les impacts des rejets toxiques sur la santé de la population locale. Et la députée de Québec solidaire Émilise Lessard-Therrien a perdu son siège pour avoir porté la lutte citoyenne de ceux et celles qui demandaient à Glencore de prendre ses responsabilités. Et de payer la facture.

On ne peut pas accuser Pierre Céré d’être de mauvaise foi, son livre s’appuie sur des faits. Il est mauditement convaincant. Et révoltant.

Extrait

« J’ai été ramené à ce qui composait notre quotidien et notre normalité quand j’étais jeune. La sirène de la mine qui se déclenchait à l’heure du midi le vendredi pour annoncer qu’elle rejetterait sur la ville une épaisse fumée suffocante et puante. On mettrait, un jour, des mots sur cette fumée : anhydride sulfureux. Mais en attendant, ça faisait partie “des affaires normales”. Du moins pour un enfant. Pour les adultes aussi, je crois. Comme si c’était dans l’ordre des choses. »

Qui est Pierre Céré ?

Écrivain, militant, porte-parole du Conseil national des chômeurs et chômeuses. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Les pots cassés : une histoire de l’assurance-chômage (Somme toute) et Une gauche possible (Liber).

Voyage au bout de la mine – Le scandale de la Fonderie Horne

Voyage au bout de la mine – Le scandale de la Fonderie Horne

Écosociété

276 pages