Cet été, nos journalistes passent chaque semaine un moment en terrasse avec des personnalités pour une discussion conviviale. Richard Labbé a bavardé avec Michel Langevin, le batteur du groupe Voivod.

On rencontre Michel Langevin dans un sympathique bar de Verdun, situé à quelques pas de chez lui. Le fond de l’air est frais et le ciel est gris, un peu ce même gris qui caractérise le monde de Voivod depuis 1982, l’année de naissance du groupe.

Cette teinte de gris vient contraster avec l’avenir immédiat du groupe, autrement plus lumineux.

Au moment de notre rencontre, Langevin et Voivod reviennent d’une tournée en Europe, encore une, et ils préparent des spectacles d’été dans la foulée d’un nouvel album paru au cours du mois, Morgöth Tales, leur 15e en carrière.

Langevin – Away pour les intimes – se présente avec un T-shirt de Genesis, époque Gabriel, comme pour nous rappeler un peu d’où il vient. Le batteur, artiste et leader de Voivod vient tout juste d’atteindre le cap de la soixantaine, mais il est encore là, solide comme le rock, avec son groupe de métal qui ne veut pas disparaître.

Il commande un cola et nous rappelle qu’il y a une vingtaine d’années, en voyant aller en concert le vétéran batteur Tommy Aldridge de Whitesnake, il s’est juré de prendre soin de lui, pour pouvoir frapper avec autant d’ardeur rendu à cet âge. Cette décision a rapporté, de toute évidence, parce que Michel Langevin a su garder la forme, et puis aussi, il se souvient pas mal de tout, des dates, des villes, des noms les plus obscurs, y compris les noms des groupes de métal québécois qui ont partagé la scène avec Voivod à ses débuts. Qui se souvient de Heavenknox ? Langevin s’en souvient.

Ce qui est drôle, tout de même, parce qu’il a déjà vécu dans la peur de tomber dans l’oubli.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Notre journaliste s’entretient avec Michel Langevin.

Dans les années 1990, c’était ma hantise. Que le groupe soit oublié, qu’on ne puisse plus parcourir la planète et enregistrer des albums avec de bons budgets.

Michel Langevin

« Surtout, j’avais peur pour ma carrière en tant qu’artiste visuel, qu’on m’oublie en même temps que le groupe, que je ne sois plus demandé, plus assez pour faire des dessins pour d’autres groupes. Je pensais comme ça dans le temps du grunge. Pendant trois ou quatre ans, le monde voulait juste écouter de la musique de Seattle. Alors j’avais peur qu’on nous oublie… mais c’est pas ça qui s’est passé. »

Il ne s’est pas passé ça, en effet, mais il s’est passé plein d’autres choses. Des choses parfois tragiques, comme la mort d’un ami et collègue en Denis « Piggy » D’Amour, le guitariste de la première heure, le départ de membres originaux ou un énorme accident de la route, en 1998, qui a mis à l’écart le chanteur d’alors, Eric Forrest. « Il a été éjecté de l’autobus et je pense qu’il a passé un an à l’hôpital… »

Alors, comment on survit à tout ça ? Les Beatles chantaient qu’on peut s’en sortir avec ses amis, et c’est peut-être ce qui est arrivé à Voivod. Au fil du temps, des amis assez célèbres ont donné un coup de pouce au groupe : de Motörhead aux Ramones aux Foo Fighters, ils ont été nombreux à chanter les louanges du groupe québécois.

Ce qui a mené à de bien belles collaborations, par exemple quand Jason Newsted, ancien bassiste de Metallica, est venu poser son équipement dans l’univers du groupe le temps de quelques années, ou quand Dave Grohl, le Foo Fighters en chef, a demandé à Langevin de dessiner la pochette de son projet Probot en 2004. Langevin se souvenait d’avoir aperçu un jeune Grohl (« le meilleur batteur que j’avais jamais vu ») jouer tel un déchaîné sur la batterie du groupe Scream, quelque part dans les années 1980.

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Michel Langevin a toujours mené de front ses deux passions : la musique et l'art visuel.

Il y a des gens beaucoup plus populaires que Voivod qui ont été influencés par Voivod. Dave Grohl et Jason Newsted nous ont beaucoup aidés à obtenir cette reconnaissance. Au Québec, maintenant, je pense qu’on est vraiment connus. Tout le monde connaît le nom… peut-être pas la musique, mais au moins le nom !

Michel Langevin

Une telle ascension devient encore plus improbable quand Langevin se met à évoquer les débuts du groupe, de la maison de sa famille au Saguenay située juste à côté d’une usine de pâtes et papiers (« J’entendais ça chaque matin, je voyais la fumée… c’est sûr que ça a eu une influence sur nous autres ! »), au premier clip du groupe, pour la chanson Voivod, filmé par un certain Dédé Fortin, qui avait eu le mandat de tourner 30 clips en 30 jours à son école.

Après tout ça, et malgré tous les obstacles sur la route, Voivod est encore là.

« Je te dirais qu’il y a eu une période, autour de 2005, 2006, 2007, où il n’était pas question qu’on monte sur scène… C’était après le décès de Denis [D’Amour]. Mais en 2008, les gens du festival Heavy MTL nous ont contactés, et c’est là qu’on a pensé à Daniel Mongrain à la guitare, qu’on avait vu jouer juste avant avec [le bassiste] Jean-Yves Thériault. Daniel était animé de l’esprit de Piggy dans son jeu, et à l’été 2008, on a décidé de faire revivre la musique. C’était censé être un seul spectacle. On avait peur que ce soit un sacrilège… »

« Faut que ce soit légitime. À un moment donné, c’est difficile d’arrêter de faire ce que tu aimes dans la vie. Alors, [le chanteur] Denis Bélanger et moi, on a choisi de continuer en 2008 avec le nom, surtout que Jean-Yves revenait. Ensuite, Jean-Yves a quitté le groupe en 2014, et on a appelé un ami d’enfance de Daniel Mongrain, Rocky (Dominic Laroche), pour jouer de la basse. C’est avec cette formation-là qu’on a obtenu le plus de succès. »

Et un groupe de métal hurlant, ça peut durer pendant combien de temps, au juste ? Sans doute encore longtemps, parce qu’au fil de notre conversation, Michel Langevin rappelle que ses idoles de jeunesse, les Kiss, Iron Maiden et autres Judas Priest, habitent encore les scènes de la planète. Langevin, de toute façon, est bien trop occupé pour se permettre de penser à la retraite ; en plus des albums et des spectacles, il y aura dans un an un documentaire sur le groupe, We Are Connected, qui sera accompagné d’un livre.

Il prend une autre gorgée de cola. La fin ne sera pas pour tout de suite.

« Je ne sais pas pendant combien de temps on va continuer, mais je regarde mes héros, qui lancent encore des albums… c’est sûr qu’une tournée, c’est exigeant. Nous autres, en plus, on a tendance à éviter les jours de congé, parce que ça coûte cher sur la route, alors on peut jouer 40 spectacles en 45 soirs. Alors, c’est embêtant de dire pendant combien de temps on va rester. Mais on va rester encore pour un bout… »

Questionnaire estival

Votre ville préférée dans le monde ?

Prague. « Un coup de cœur. Là-bas, tout est fantastique. Et le public de Prague adore Voivod ! »

Un film qui vous a marqué ?

Colossus – The Forbin Project. « Un film des années 1970, où un superordinateur américain s’associe avec un superordinateur russe, et ils prennent le contrôle des armes nucléaires pour rendre l’humanité esclave. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle et les armes nucléaires qui sont partout, on n’est pas loin de ça… »

L’évènement historique que vous auriez aimé vivre ?

« J’aurais adoré être plus vieux au moment de visiter Expo 67… j’y suis retourné dans les années 1970 et je me souviens du Pavillon des sciences, qui diffusait Rencontre du troisième type avant que le film ne sorte dans les salles. Je suis resté tout le long. Ma famille avait fait le tour du site et avait dû revenir me chercher à la fin ! »

Une personne qui vous inspire ?

« Peter Hammill, de Van der Graaf Generator. Parce qu’il a toujours été indépendant et qu’il a réussi à avancer en tant qu’artiste autonome. »

Qui est Michel Langevin ?

Né en 1963 à Jonquière, Michel Langevin est le batteur du groupe de métal Voivod depuis sa fondation en 1982.

Aussi artiste visuel, c’est lui qui signe toutes les illustrations associées au groupe. Il a également dessiné pour d’autres formations, dont le projet Probot de Dave Grohl, qui a lancé un album du même nom en 2004.

Michel Langevin a aussi collaboré musicalement à de multiples projets, dont le groupe Les Ékorchés, en collaboration avec Pat Gordon, Marc Vaillancourt et Philippe Mius D’Entremont. On peut par ailleurs l’entendre jouer de la batterie sur la pièce Sideways de Men Without Hats, sortie en 1991.